On achève bien les chevaux

On achève bien les chevauxQue le meilleur gagne!!!
Un titre avec un double sens de lecture pour commencer. Achève-t-on les chevaux en prenant soin de faire les choses bien ? Ou comme n’importe quel autre animal, on les achève aussi. Cette subtilité linguistique autour du mot « bien » laissé en suspens autour du titre sera levée par un flash-back utilisé dès le début du film aussi bien que par un flash forward récurrent tout au long du film qui verra sa conclusion dans les dernières minutes du récit. Même si le flash-back d’ouverture autour de l’enfance d’un des personnages principaux ne laisse pas de doute sur la parabole entre sort des chevaux et celui réservé aux hommes ; même si elle est clairement appuyée (analyse de cette scène en fin de critique) ; elle reflète tout le talent de Sidney Pollack pour donner du coffre au scénario dès l’entame. Autre talent d’un Pollack peu lisible malgré une carrière truffée de chef d’œuvres, c’est de concentrer son récit dans un huis clos durant 2 heures sans épuiser le spectateur. Le huis clos permet de toucher son but : montrer des personnages isolés du reste du monde et prisonniers de leur condition. Mise en scène impeccable sans pathos et ni sensationnalisme. Pollack dénonciateur dans son œuvre aussi bien du racisme, de l’anti indien, de la corruption ; dénonce ici l’exploitation de l’homme par l’homme. Et ce film tiré d’un roman de 1935 se situant en 1932 tourné en 1969 est toujours d’actualité en 2019 car il est un brûlot anti capitaliste. Il montre combien certains savent exploiter la misère via une féroce compétition entre individus qui peut prendre la forme d’un spectacle jubilatoire de la déchéance humaine. La télé du 20èmesiècle va dans le même sens que ce pathétique spectacle des années 30. Un film intense et désespéré d’une époque où les studios américains s’évertuaient à réveiller les consciences plutôt qu’à flatter l’ego des spectateurs. Un film intense, intelligent mais surtout désespéré.

Critique de Loïc Blavier : « Durant la grande dépression des années 30, aux Etats-Unis, un marathon de danse est organisé. Aucune limite de temps, quelques pauses accordées, le dernier couple à rester debout remporte la somme de 1500 dollars. Adaptation d’un livre de Horace McCoy, On achève bien les chevaux est un voyage jusqu’au bout de la détresse, de la misère, ainsi que la dénonciation de l’exploitation qui peut être faite de cette misère. Le film se concentre principalement sur le couple formé par Gloria (Jane Fonda) et Robert (Michael Sarrazin), deux personnes ne se connaissant pas, s’étant rencontrées juste avant le début du marathon. Mais pour autant, ils ne sont qu’un couple parmi tant d’autres qui sont là pour la même raison : gagner de l’argent. Aucun esprit sportif, ici, aucune passion pour la danse : les participants sont tous là pour tenter d’obtenir le maigre pécule attribué au vainqueur, quitte pour cela à se mettre en spectacle, à mettre leur santé en danger. C’est ainsi que les couples ne sont pas des professionnels, et on trouve même quelques personnes qui ne devraient même pas avoir été autorisées : un couple de vieux, une femme enceinte… La piste de danse tient en réalité bien plus du champ de course, ce qui explique partiellement le titre. Les danseurs sont au centre de la salle, ils se font sponsorisés, ils servent de spectacle à des gens souvent eux aussi dans la mouise, mais qui désirent voir encore plus malheureux qu’eux. Car aussi festif qu’il puisse paraître au début, ce marathon n’a rien d’une panacée permettant un petit moment de plaisir au milieu de cette grande crise économique. Pollack, au début du film, ne se concentre pas réellement sur la danse (fort heureusement), mais sur les pauses accordées, des pauses qui par ailleurs sont délimités par deux sonneries relevant quasiment de l’alarme militaire. C’est là qu’il en profite pour approfondir davantage les personnages principaux, qui, loin de faire verser le film dans le misérabilisme, l’oriente au contraire vers une aprêté collant parfaitement avec le pessimisme ambiant. Il n’y a pas vraiment d’esprit de solidarité, quelques conseils circulent, certes, mais personne n’ira étaler son propre malheur à autrui. Gloria, incarnée par une excellente Jane Fonda, est au contraire méchante comme la galle, hautaine et même volontiers abjecte, lorsqu’elle persécute gratuitement une concurrente enceinte. Robert, lui, est un jeune homme très naïf, sans grande personnalité. Ils forment pourtant le couple sur lequel se braque Pollack, et à ce titre, le film se révèle plutôt audacieux. Plus le film avancera et plus les scènes de danse seront aussi importantes que ces pauses vécues dans les coulisses. Encore une fois, elles ne seront pas importantes pour la danse en elle-même, qui a cessé d’être de la danse pour se transormer en une lutte pour rester debout, mais elles serviront à Pollack pour montrer la souffrance physique. Les visages sont cadavériques, les partenaires se soutiennent les uns les autres, se dorment dessus, à tel point que l’on croit parfois que de véritables zombies sont sur la piste. Un sort particulier sera reservé à une certaine Alice (Susannah York), une future actrice à la destinée brisée par la dépression de 1929, qui s’est inscrite au marathon pour éventuellement attirer l’attention d’un producteur hollywoodien. Au début elle se révèle fraîche et glamour, dans une robe à paillettes. Puis le temps passant elle deviendra grise, laide, folle, et sa robe sera volée par l’organisateur pour renforcer encore le côté « éprouvant » du spectacle. Car son objectif, à cet organisateur, est bel et bien de vendre le spectacle de la misère sous l’hypocrite couverture de l’épreuve sprotive. En privé, lorsque ses candidats seront trop fatigués pour réfléchir, il ne s’en cachera même plus : il cherche à abuser des participantes, il avoue que des 1500 dollars à gagner, il se saisira de quoi rembourser ses frais… Les scènes les plus cruelles du film seront sans aucun doute celles des « derby » : des épreuves qui n’ont rien à voir avec la danse, mais qui consistent en une course à pied de dix minutes où les deux membres de chaque couple sont attachés ensemble et doivent tout faire pour ne pas finir dans les trois derniers, position éliminatoire. C’est là que la nature « hippique » de ce marathon de danse prendra toute sa force : les participants seront considérés comme du bétail, leur course sera commentée au public comme si il s’agissait effectivement du « PMU » et la douleur physique culminera dans une mort tenue secrète du public.
Pollack reste en permanence d’une grande froideur, il n’utilise que quelques uns des couples de la compétition (et encore, hormis le couple principal, l’intérêt qu’il porte à certains autres sera inconstant) et à ce titre il représente effectivement l’ensemble comme du bétail. Le dénouement de quelques destinées individuelles ne saurait entraver en rien le déroulement à rallonge du marathon (qui dure plusieurs semaines, sinon mois) qui à la fin du film ne sera pas fini. Mais les exemples qu’il prend s’achèvent tous de façon très cruelle, illustrant ainsi le titre du film à la perfection, après l’avoir déjà illustré littéralement dans l’introduction où Robert, encore enfant, assiste à la mise à mort de son cheval à la jambe brisée, à la nécessité d’en finir. Un mystérieux « flash-forward » employé tout au long du film sera également là pour confirmer la fin tragique de sa propre participation au marathon. On achève bien les chevaux n’est pas un film très joyeux. »

Et l’analyse du premier flash-back : La scène d’ouverture, très étrange, ne laisse pas de doute quant à la parabole, peut-être un peu trop appuyée, voulue par Pollack. Dans un paysage naturel, constitué par des plaines et des bois, un homme et un enfant (Robert ?) se lancent à la poursuite d’un cheval qui s’est enfui, visiblement épris de liberté. Pollack filme ensuite Robert errant sur une plage déserte, une voix off martelant les règles du marathon de danse. Retour sur la fuite du cheval qui finit par tomber, épuisé ; puis de nouveau plan de Robert sur la plage, avec la voix off qui continue de donner les règles du marathon. Enfin, retour sur l’enfant et l’homme, qui finit par abattre le cheval d’une balle dans la tête, réduisant ainsi à néant la quête de liberté de l’animal, mais le libérant malgré tout de sa condition de cheval d’étable.

Sorti en 1969

Ma note: 16/20