[CRITIQUE] : Jessica Forever

Par Fuckcinephiles
 

Réalisateur : Caroline Poggi et Jonathan Vinel

Acteurs : Aomi Muyock, Sebastian Urzendowsky, Augustin Raguenet,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Français.
Durée : 1h37min

Synopsis :

Jessica est une reine mais elle pourrait aussi bien être un chevalier, une mère, une magicienne, une déesse ou une star. Jessica, c’est surtout celle qui a sauvé tous ces enfants perdus, ces garçons solitaires, orphelins et persécutés qui n’ont jamais connu l’amour et qui sont devenus des monstres. Ensemble, ils forment une famille et cherchent à créer un monde dans lequel ils auront le droit de rester vivants.


Critique :

Sans être une fiction aboutie et sous ses airs d’exercice trop esthétique sans réussir à devenir beau,#JessicaForever prouve que C. Poggi et J. Vinel ont encore beaucoup de choses à dire et une approche intéressante du 7ème art à imposer dans le paysage français (@MnFrankenstein) pic.twitter.com/ovkyMpCOoV— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) May 1, 2019

Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont d’abord largement fait leurs armes dans le court-métrage, avec notamment After School Knife Fight, présenté aux côtés de Yann Gonzales et Bertrand Mandico dans la « compilation » Ultra Rêve. Pour Jessica Forever, leur premier long-métrage, ils se sont entourés d’Aomi Muyock, découverte dans Love de Gaspar Noé, ainsi que d’une ribambelle de jeunes hommes filmés comme des jeunes filles en fleurs. On tient là le meilleur du film, le point le plus beau, le plus émouvant : ces visages masculins, ces torses musclés qui arborent des tatouages, deviennent, sous l’oeil bienveillant de la caméra et la douceur d’un soleil de fin d’après-midi, des êtres dont la violence fait la fragilité. A l’instar des héroïnes du Virgin Suicides de Sofia Coppola, leur mal paraît incurable, ils semblent déjà condamnés.

Poggi et Vinel retrouvent une approche de l’image similaire à celle qu’ils présentaient dans After School Knife Fight. Ce que renferme ou peut signifier un cadre est abordé avec un quasi-fétichisme et a une grande importance, pour le meilleur comme pour le pire. Chaque symbole est traité de façon impeccable mais on se retrouve parfois voir souvent enfermés dans une sorte de roman-photo, une avalanche de plans destinés à un book arty, une note d’intention, davantage qu’une œuvre aboutie. Poggi et Vinel désirent contourner les narrations trop classiques, ce qui est tout à fait noble et excellent, mais ils peinent à maîtriser les codes de celle qu’ils construisent dans leur œuvre.

Leur travail devient presque celui de plasticiens, toujours pour le pire mais aussi pour le meilleur. Les matières sont extrêmement travaillées, pour un résultat faussement brut. Les peaux sont magnifiées, le son a des allures naturalistes, malgré sa présence trop forte pour l’être totalement. Jessica Forever est pour le moins radical, Poggi et Vinel osent se risquer à côtoyer l’expérimental, ils imposent et assument leurs désirs d’images. A mi-chemin entre Gus van Sant, Harmony Korine et Sofia Coppola, représentation d’une douce langueur et d’une violence imminente, Jessica Forever présente ses jeunes hommes désaxés comme on a l’habitude d’y voir des adolescentes en période de troubles. La sensation d’étrangeté est inévitable et pousse à la réflexion sur la représentation les genres (au sens sexuel/identitaire du terme) par l’image. Les décors austères aux tons froids et durs, la musique shoegaze et les coiffures grunge ne sont qu’éléments secondaires puisque c’est la caméra elle-même qui dicte le propos du film, par les choix de cadres, les lumières douces fugaces, la capacité à capter un court geste tendre.

Sans être une fiction aboutie et sous ses airs d’exercice trop esthétique sans réussir à devenir beau, Jessica Forever prouve que Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont encore beaucoup trop de choses à dire et une approche intéressante du septième art à imposer dans le paysage français.


Manon Franken