LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏde Yoji Yamada
Yoji Yamada a un parcours particulier en tant que réalisateur. Pendant plus d'une trentaine d'années il a réalisé quarante cinq films d'une série qui en compte quarante huit. Ces films retracent la vie d'un homme et ses difficultés. Il arrive en ville comme marchand ambulant et les films feuilletonent autour de sa vie, les femmes, la vie maritale, la crise... cette série prend fin dans les années quatre vingt dix avec la mort de l'acteur qui interprété cet homme.
Mais l'oeuvre de Yoji Yamada compte aussila trilogie samouraï. L'année dernière je vous parlais de son premier opus, qui fut un vrai coup de cœur pour moi: the twilight samourai. Enchantée et très touchée par ce film j'étais décidée de regarder les deux autres films qui ont suivi; la servante et le samouraï, et love and honor dont le key maker de ce blog vous parlera bientôt.Ces trois films s'appuient sur les romans de Shuhei Fujisawa. Au scénario Yoji Yamada est rejoint par Yoshitaka Asama. Les histoires ont en commun aussi, la vie des samouraïs à la fin de l'ère Edo, et ce que l'on pourrait appeler une perte de sens voire une recherche de sens.
Deux samouraïs regardent un troisième partir pour Edo. Katagiri a un mauvais pré sentiment.Ce jeune samouraï va devoir faire de nombreux choix qui vont déterminer son chemin, celui de l'homme qu'il va devenir, mais aussi celui du samouraï qu'il veut être.
Souvent je porte un regard amusé voire sarcastique sur la traduction des titres en français. Ici alors que le film en français est nommé La servante et le samourai, en anglais il s'appelle the hidden blade ce qui est quasiment la traduction littérale du titre originel. Mais pour une fois c'est intéressant. Car chacun est une facette de l'histoire que nous narre Yamada. Ce sont les deux faces d'une même pièce. Et apposés l'un à l'autre on a une image assez juste de ce qu'est ce film.
Tout d'abord parlons de la période où se situe l'histoire. Tout comme dans the twilight samourai, nos personnages évoluent à la fin de la période d'Edo. cette période qui débute au début du XVII eme siècle et finit en 1863. Cette période est celui d'un changement de dynastie, de dignitaires, de politique. Elle est aussi un moment crucial pour les samouraï. Il y a une volonté de faire évoluer l'art de la guerre. Une volonté de créer une armée à l'occidentale, qui saura utiliser les armes à feu et marcher au pas. Ce qui est difficilement compatible avec le code d'honneur du samouraï. Ce déclin va de paire avec la déliquescence des élites, qui profitent de leurs situations et jouent de leurs places. C'est une période instable où les hommes utilisent un code moral a géométrie variable.
De plus les lumières chaudes de la maison créées une ambiance chaleureuse, et symbolisent parfaitement le lieu refuge de ce samouraï. Quant au spectateur il a l'impression d’appartenir à la maisonnée, il est enveloppé par la bienveillance de ce foyer, il partage le bien être que ressent cet homme quand il est chez lui. On entend presque le crépitement du feu, la chaleur de la bougie. Il est aussi fascinant de voir comment l'extérieur finit par entrer à l’intérieur physiquement, par le coulissement d'une parois. Mais aussi plus philosophiquement, quand l'étiquette, l'ordre du samouraï vient juger et dans un même mouvement agir sur ce qui se passe dans le quotidien et dans la vie de Katagiri du choix de la servante à son célibat .
Toutes ces petites choses font entrer les spectateur dans la maison d'un modeste samouraï de la fin de la période de Edo, d'une probité intellectuel et avec un sens du devoir sans faille ce qui nous amène au second titre, the hidden blade.
Tout ce pan du film voit s’entremêler complot, suspicion, combats.... tout cela en évitant de verser dans le pur wu xia pian, en se focalisant sur l'homme. Avec comme dans le précédent opus une réflexion sur ce que veut dire être un samouraï dans les temps où ils évoluent, ce que ça veut dire de revêtir cette étiquette d'adopter ce code. Et jusqu'où le curseur peut-être poussé, à quel moment obéir est se déshonorer.
Le « hidden blade » connu également sous le nom de « demon's claw » ou « demon's cratch » devient l'arme ultime du samouraï, celle que peu d'élus maîtrisent. Mais elle est aussi le point d'orgue de sa réflexion sur qui il est. Ne voulant pas spoiler trop le film, je n'en parlerai que peu tant j'ai été fascinée par ce moment. Sur le fond, le pourquoi elle est utilisée, et sur ce que ça dit de cette société en décrépitude; également sur ce que ça implique à propos de Katagiri. Mais aussi sur la forme, sur la manière dont Yoji Yamada le filme en contre-jour, dans un espace à la fois réduit, solennel, et très structuré. Ce moment reste longtemps imprégné sur nos rétines.
On peut aussi noter que cette scène est précédée d'une autre beaucoup plus comique. Les accents comiques ponctuent ce film allégeant son propos et les situations. Car le plus souvent c'est un comique situationnel. Les soldats qui apprennent les us et coutumes guerrières des anglais sont hilarants, leur apprentissage de la marche aux pas, avec des ordres criés dans un anglais approximatif, ou par exemple le premier tire de canon c'est gaguesque parfois digne d'une pantomime à la Chaplin mais qui s'insère parfaitement dans cette histoire. Ce qui allège grandement le film et la réflexion qu'il initie.
Ce film est un bijou, comme l'était The Twilight Samourai. Il est fin ,délicat, et intelligent. Il impose son rythme, sa vision des choses. Yoji Yamada maîtrise parfaitement son sujet et nous embarque à ses cotés