Pardonnez-nous si nous sommes un peu des obsédés textuels aujourd’hui. Cul, cul! C’est la faute à Cul-chiche, euh pardon… Kechiche! Après les polémiques entourant La Vie d’Adèle, Palme d’Or et notamment sa longue scène de sexe – cul, cul!- entre Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, son Mektoub my love : Canto Uno avait été snobé par le Jury de la Mostra de Venise et reçu tièdement par le public. Beaucoup ont déploré, alors, le manque d’enjeux dramatiques du scénario, la longueur excessive d’une scène en boîte de nuit, vague resucée – seins, seins! – de celle de son film précédent, et le choix de filmer ses personnages à hauteur du postérieur – cul, cul, cul! Sans doute vexé de ces critiques, le cinéaste y répond par de la provocation avec Mektoub my love : Intermezzo, une oeuvre anti-narrative au possible, presque entièrement filmée dans une boîte de nuit, et filmant jusqu’à la nausée des corps en train de se trémousser lascivement – cul, cul, seins, seins, sexe, sexe. Sur une durée totale de 3h30, on a droit à 40 minutes de scènes de plage, où se retrouvent la plupart des personnages du premier opus, les corps exposés au soleil – et à l’oeil de la caméra – Cul, seins, sexe – , parlant de tout et de rien, de philosophie et de destin, puis 2h30 de scènes en boîte de nuit, où Kechiche filme les jeunes en train de danser, essentiellement le twerk – cul, cul, cul cul! – ou se frotter de façon érotique contre des barres de pole dance –seins, sexe, cul, seins, sexe, cul! – avec une petite “respiration” dans les toilettes de la boîte pour 15 mn de scène de sexe, de cunnilingus pour être plus précis – sexe, sexe, sexe! Voilà pour le programme. Cul, seins, sexe, sexe, cul, cul, cul, sexe, seins, cul, QQQQQQQQQQQ… AAAAAhhhhh! Stop! On comprend bien l’idée de Kechiche. Epuiser le spectateur avec cette répétition de rythmes et d’images, le mettre dans le même état de fatigue et d’abandon que les personnages à la fin de leur soirée. De ce point de vue-là, le film est assurément réussi. Du moins pendant un moment… On se retrouve vite hypnotisé par les images et le battement incessant des boîtes à rythmes. Les danses, de plus en plus lascives, entretiennent une certaine tension sexuelle et l’on s’attend logiquement à voir la fête déraper. Mais au bout d’une heure de danse, on commence à regarder sa montre, faute d’enjeux dramatiques. Les seuls fils conducteurs, ce sont la décision qu’Ophélie (Ophélie Bau) doit prendre pour son avenir, épouser comme prévu son fiancé, encore retenu en Iraq, ou officialiser sa liaison avec Tony (Salim Kechiouche) si celui-ci consent à se stabiliser et se responsabiliser et l’identité de la jeune femme que le jeune Amin (Shaïn Boumedine), l’alter-ego du cinéaste, va emballer au bout de la nuit. Céline (Lou Luttiau), Marie (Marie Bernard), une autre fille? Oui, c’est mince… Alors, on vit le film comme quand on accompagne des amis à une soirée et qu’on n’aime pas trop danser. Au départ, on est contents d’être là malgré tout, et on observe les autres se défouler sur la piste de danse. Mais on finit par s’ennuyer ferme, comme certains personnages, qui rendent les armes à mi-parcours, esquissant bâillement sur bâillement. Les seuls passages qui nous sortent de cette torpeur et de cet ennui abyssal sont les échanges entre Camélia (Hafsia Herzi) et sa nièce, qui se posent des questions hautement métaphysiques comme “Quel genre de cul tu préfères?”. Difficile de ne pas partir en fou rire nerveux. Et difficile de prendre le film au sérieux après cela. Soit il faut considérer qu’Abdellatif Kechiche se moque carrément de nous avec cette bonne blague de 3h30, soit il faut y voir une citation de la scène mythique du 7ème Art dans laquelle Bardot demande à Piccoli “Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses?” et considérer alors que le cinéaste nous affiche ostensiblement son mépris. On a le droit de mal le prendre…
Il est vrai, cependant, que le titre du film annonçait la couleur. Un “Intermezzo”, c’est un intermède, un divertissement musical que les auteurs italien du XVIème siècle inséraient entre les actes d’une œuvre théâtrale plus conséquente. Ni plus ni moins. Mais généralement, ces intermezze n’étaient pas interminables. Ici, la durée de l’oeuvre pose problème, tout comme son contenu, trop redondant par rapport à Canto Uno. On espère que l’hypothétique troisième opus sera une oeuvre plus complexe, filmée à la hauteur du coeur ou de l’esprit plutôt qu’en dessous-de la ceinture…
Si Marco Bellochio a vu la fameuse scène de cunnilingus, il a du s’étrangler de rage. La courte scène de fellation non-simulée prodiguée par Maruschka Detmers à Federico Pitzalis dans son adaptation du Diable au corps avait créé un scandale tonitruant lors de de sa projection cannoise, en mai 1986 et valu au cinéaste et son équipe sifflets, insultes et manifestations de colère. Pourtant, elle était autrement plus chaste et justifiée que la scène du film de Kechiche, qui a même gênée son interprète, Ophélie Bau, présente sur les marches, mais absente du rang de l’équipe du film avant la séance… Autre temps, autre moeurs…
La projection du nouveau long-métrage du cinéaste italien, Il Traditore, a été beaucoup plus calme que celle d’Intermezzo ou que le procès qu’il décrit dans son film, celui qui, en 1986, a permis de faire tomber 475 membres de la Cosa Nostra, la mafia sicilienne.
Bellochio s’intéresse surtout à l’homme qui a brisé l’omerta, Tommaso Buscetta (incarné par Pierfrancesco Favino). Ce mafioso sicilien se trouvait au Brésil quand a éclaté, au début des années 1980, une nouvelle guerre entre les clans de gangsters de Palerme. Salvatore “Toto” Riina a cherché à accroître son pouvoir en éliminant les autres familles influentes de la ville. Buscetta, conscient de l’évolution du milieu, avait choisi de prendre du recul et continuer ses petits trafics de drogue en Amérique du Sud. Son arrestation par les autorités brésiliennes, ainsi que la mort de ses deux fils, assassinés sur ordre de Riina et de Pippo Calò, qu’il considérait comme un ami, l’incitent à collaborer avec le juge Falcone et dire tout ce qu’il sait sur la Cosa Nostra, son organisation, les noms des chefs de clan et de leurs “soldats”, les liens entre la pieuvre et les politiciens italiens. Le film montre bien la rupture entre cet homme d’honneur, respectueux des valeurs inhérentes à la famille, et les parrains, désormais plus attachés au profit et au pouvoir. Evidemment, les confrontations lors du procès sont assez houleuses entre le traître et ses anciens “amis”. On s’insulte, s’invective, se menace. Certains jouent la carte du pseudo malaise pour échapper aux audiences, d’autres se font passer pour fous, en se déshabillant devant le public. Mais derrière ces joutes verbales et ces comportements excessifs, le cinéaste réussit à capter l’humanité des différents personnages, pris au piège d’un système et de ses codes. C’est sûrement l’aspect le plus intéressant du film, avec la restitution historique de ce procès hors normes, qui reste le plus grand coup de filet de la justice italienne dans les milieux mafieux. Cependant, on peut trouver dommage que Marco Bellochio se contente d’une mise en scène aussi simple, d’une narration aussi linéaire, alors que son dernier film, Fais de beaux rêves, était une sublime leçon de cinéma.
Il Traditore n’en demeure pas moins un bon film. Outre l’opportunité donnée à Pierfrancesco Favino de montrer toute l’étendue de son talent, il a le mérite de ne pas être un énième films de mafieux, vaguement inspiré des classiques américains, mais un récit plus réaliste, plus mature.
Du côté des sections parallèles, le festival se termine peu à peu.
La Semaine de la Critique à déjà fermé ses portes hier, primant J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Grand Prix Nespresso), Vivarium de Lorcan Finnegan (Prix Fondation GAN), Nuestras madres de Cesar Diaz (Prix SACD) et l’acteur islandais Ingvar E. Sigurðsson pour Hvitur, Hvitur Dagur de Hlynur Pálmason (Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation Masculine).
La clôture de La Quinzaine des Réalisateurs avait lieu ce soir, avec la projection de Yves, de Benoît Forgeard. C’est Alice et le maire, de Nicolas Pariser (Prix Label Europa Cinemas) et Une fille facile de Rebecca Zlotowski (Prix SACD), qui ont remporté les deux prix en jeu.
Un certain regard à prolongé le plaisir avec deux autres films.
Dans Il était une fois dans l’Est (Odnazhdy v Trubchevske) de la cinéaste russe Larisa Sadilova, il n’est pas question de western. Il s’agit d’une histoire d’adultère assez banale, entre un chauffeur routier et sa voisine, Anna. Elle va souvent en ville pour y vendre ses créations, des vêtements tricotés à la main. Il s’y rend souvent pour ses livraisons. C’est probablement comme cela qu’à commencé leur liaison et comme cela qu’ils la continuent. Mais le soir du réveillon du nouvel an, le camion tombe en panne et ils manquent de se faire surprendre par leurs conjoints respectifs. Anna décide qu’il est temps d’annoncer à leurs conjoints respectifs la situation et quitte son mari pour s’installer seule dans un petit village isolé. Son amant promet de la rejoindre, mais aura-t-il vraiment le courage de tout avouer à sa femme? Anna va-t-elle l’attendre, avec le risque qu’il ne la rejoigne jamais ou que leur vie de couple s’avère tout aussi morne qu’avec son mari précédent? Ou bien va-t-elle revenir vivre avec son mari et ses enfants, payant le prix fort pour son écart de conduite? Derrière le ton du film, assez léger et romantique de prime abord, le tableau est assez sombre. La cinéaste montre que, dans les petites villes de province russes, il est toujours très difficile pour une femme de s’émanciper et laisser libre cours à ses désirs.
Summer of Changsha de Zu Feng n’est pas beaucoup plus joyeux. Il suit l’enquête d’A Bin, un flic désabusé qui doit enquêter sur une main coupée, trouvée au bord d’une rivière. Après avoir identifié son propriétaire, il doit ensuite retrouver le reste du corps, et arrêter l’assassin. Il se rapproche de la soeur de la victime, Li Xue, qui a vu en rêve les lieux où sont enterrées les autres parties du cadavre. Cette amorce de polar noir, à la lisière du fantastique,évoque un peu certains films du japonais Kiyoshi Kurosawa, mais Zu Feng délaisse bien vite la résolution de l’intrigue pour se concentrer sur l’évolution des relations entre A Bin et Li Xue, qui ont en commun un deuil difficile à porter et une profonde mélancolie, mais aussi entre le flic et Ting-Ting, une jeune femme solitaire et amoureuse de lui. Le résultat déroute par ses choix narratifs et son ambiance déprimante, mais séduit aussi de par sa beauté plastique et sa mise en scène envoûtante.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.