Almost there (court métrage animation)

La National Film Television School située à Beaconfield en Angleterre est une école de cinéma prestigieuse, née au début des années 70. Prestigieuse parce que la réputation de l’école s’est faite grâce aux belles carrières de ses anciens élèves: créateur de Wallace & Gromit, Nick Park, directeurs photos de Star Wars, David Tattersall, ou de Pulp Fiction, Andrzej Sekula.
Côté réalisation, on peut noter David Yates, aux manettes d‘Harry Potter et l’Ordre du Phénix).
De célèbres réalisateurs viennent régulièrement au sein de l’école: David Fincher, Denis Villeneuve…On peut dire que les étudiant-es ont un traitement aux petits oignons!

C’est dans le cadre de la fin de la promo 2019, que j’ai pu visionner les courts métrages d’animation. Je me pencherai uniquement sur les deux courts qui ont retenu mon intérêt (qui comme par hasard sont réalisés par les deux seules femmes la promo….Moi je dis ça….)

Retour donc sur Almost There de Nelly Michenaud. La critique du deuxième court,  Listen to me sing d’Isabel Garrett sera disponible prochainement.

Almost There, de Nelly Michenaud, 2019

Almost there (court métrage animation)
Le sujet:
Un train est le théâtre de rencontres, d’échanges entre divers personnages qui évoluent au fil du temps…

L’avis:
Autant vous le dire d’emblée; n’espérez pas tout comprendre au premier visionnage d’Almost There. C’est ce qui fait sa force, mais qui peut aussi laisser dubitatif, mais qui en tout cas, vous emportera. Parce que même si on ne saisi pas tout, on se laisse facilement porter dans ce train (train?) de la vie.
Almost There est un court métrage dramatique fantastique. Pour rappel, le fantastique se définit de la façon suivante: l’histoire débute dans un décor réaliste, et un élément hors du commun ou magique fait irruption dans la narration. De là découle, des événements ou actions en décalage avec la réalité, du moins celle communément admise.

La première partie du court nous installe confortablement dans une réalité que nous connaissons: le train, les voyageur-euse-s qui sont tous-tes là pour des raisons différentes, avec leur caractère et habitudes. Puis, nous basculons quasi brutalement dans une autre réalité, qui parait farfelue et donc lointaine, et qui pourtant résonne avec un quotidien que nous avons connu ou que nous connaissons.
Pas d’héros ou d’héroïnes, dans Almost There on s’identifie finalement à la personne qui nous correspond le mieux. Car autant il y a plusieurs personnages, autant ceux-elles ci évoluent, et ils sont parfaitement identifiables et reconnaissables. Une réussite quand on sait que le court dure 9 minutes.

La technique d’animation (stop motion et dessin) apporte une touche d’originalité, et appuie le côté onirique des personnages. C’est une technique qui n’avait jamais été utilisée auparavant.
Les rêves sont composés d’éléments réels et d’autres, créés de toutes pièces par notre esprit. Almost There est un peu le reflet de tout ça.
Par conséquent, on peut se perdre un peu dans les actions des un-es et des autres, qui nous paraissent parfois absurdes, dénuées de sens. Et pourtant il y a bien une signification derrière chaque acte. A nous (vous) de les interpréter comme bon nous semble.
Mention spéciale à la photographie, qui accompagne parfaitement le changement d’ambiance, la narration du récit qui progresse doucement mais sûrement vers du fantastique.

Almost there (court métrage animation)

On pensera forcément à Snowpiercer (2013), BD adaptée au cinéma par le récemment primé de la palme d’or, Bong Joon Ho. Ce train au parcours sans fin,  représentant la lutte des classes, et traversé par un justicier. Même si le propos politique est moins présent (ou en tout cas moins imposant) dans Almost There, des similitudes existent, dans le sens où dans les deux métrages, des personnes sont laissées en dehors de toute considération.

Almost There est sélectionné au festival AnimaFest en Croatie; le festival d’animation le plus important, avec celui d’Annecy. Il fait également parti de la sélection des courts métrages d’animation au festival d’Edinburgh et Animfest Athens à Athènes.

Quelques questions à Nelly Michenaud….


Almost There est il votre première réalisation? Quel a été votre parcours?

Almost There est en quelque sorte ma première réalisation, du moins de cette ampleur. Ayant étudié auparavant l’animation, j’ai pu réaliser un autre film de fin d’études et quelques autres courts mais, à part pour la partie son et musique, je travaillais seule, de la conception au montage, du design à l’animation.
Pour Almost There, j’ai travaillé en équipe, de bout en bout. J’avais un vrai groupe créatif et technique (scénariste, designer, directrice de photo, animateur, FX, musicien, sound designer, producteur-rice, etc) à qui j’ai pitché (présenté-nldr) mon projet, que nous avons ensuite ensemble développé et finalisé.

-D’où vient l’idée d’Almost There?

L’idée était d’explorer comment représenter le concept de la vie en soi, d’en faire un portrait.
C’est toujours plus simple de donner une définition de ce qu’est la guerre plutôt que d’expliquer ce qu’est la paix, comme il est plus simple de parler de la mort, souvent d’ailleurs pour dépeindre un rapport à la vie. Mais représenter la vie dans son essence (et sa subjectivité), sans utiliser son contraire, sans dire ce qu’elle n’est pas, mais juste travailler sur ce que ça veut dire en soi, est fascinant pour moi.

-Pourquoi ce titre?

Parce que si la vie n’a pas de point A à B et qu’on est dans un cycle, alors qu’on ressent la vie comme le fait d’aller d’un point À à B, on est toujours presque arrivés.

-On comprend bien l’idée du train qui représente le cycle, du moins là où les personnages évoluent au contact des un-es et des autres. Pourquoi avoir choisi le train spécifiquement?

Le train n’est pas vraiment un lieu et n’appartient pas non plus à un lieu, ce qui lui donne cette qualité un peu étrange, un peu entre deux mondes; cela correspond assez bien avec la nature de ce film entre la narration et l’abstrait.
Le train renferme aussi plusieurs aspects de la société, différents types de personnes, inconnues entre elles le plus souvent, et qui font un bout de voyage ensemble. Cela permettait d’introduire une variété de personnages. Mais surtout, un train qui ne s’arrête pas, qui n’a pas de destination et donc pas de but, m’apparaissait être un bon moyen de matérialiser le concept de la vie absurde; on ne peut savoir pourquoi on existe, d’où l’humain vient, va, et pourquoi.

-Pourquoi ce choix de ne pas se focaliser sur un personnage en particulier?

Dans cette même logique de représentation de la vie, il semblait approprié d’avoir plusieurs personnages car le propos est aussi d’illustrer une multiplicité de gens qui ont chacun leur individualité, leur parcours. Ils forment pourtant une sorte d’unité dans leur humanité et leur appartenance à la vie, peu importe s’ils s’en rendent compte ou pas. C’est une contradiction intéressante.

Même si il y a plusieurs personnages, j’ai tenté d’établir une sorte de hiérarchie entre eux pour essayer de ne pas trop perdre les spectateurs.

-Comment tu as choisi les types de personnages tu voulais représenter?

Le scénariste et moi même avons commencé par faire une liste de personnages représentant à la fois un type de voyageur-se, celui qui n’arrive pas a choisir sa place, celle qui est tout le temps en retard, celui qui dort tout du long etc (ce qui permet de poser le film dans un certain réalisme). D’autre part, cela donnait la possibilité aux spectateurs-rices de s’identifier à l’un ou à l’autre. Cependant, je pense que tous ces personnages pourraient aussi être les différents aspects d’une seule et même personne, ce qui rejoint l’idée d’une multiplicité/unité.

-Quelle est la technique utilisée? Et sa particularité?

La technique utilisée est un mélange de stop motion et de dessin. Les décors, vêtements et squelettes des personnages ont été entièrement construits et photographiés image par image d’abord, puis j’ai dessiné et animé les visages et corps des personnages.
Le décor qui défile aux fenêtres a été ajouté également par la suite. Pendant le tournage, on installait des écrans bleus pour les remplacer sur After effects par des peintures animées en boucle représentant différents paysages, à la fois pour décrire l’histoire allant du lever du jour au crépuscule, et pour la situer au début dans un décor réaliste puis progressivement surréaliste. La règle que l’on s’est fixée était que tous les éléments artificiels créés par l’homme, seraient en stop motion, ce qui permet d’assoir le film dans un environnement réel, tangible. Tandis que tout élément organique (corps, nourriture, nature etc) serait du dessin ce qui permet une fluidité et liberté, et ainsi d’apporter la touche surréaliste et contingente au film.

-Combien de temps a t il fallu pour le réaliser?

La pre-production du film (scénario, storyboard, design,…) a duré 6 mois et la production du film (animation, couleurs, lumière,…) a duré 7 mois et demi. Le mix et l’étalonnage ont pris environ deux-trois semaines mais j’étais toujours en train d’animer en même temps pour essayer de finir à temps.

-Ta plus grosse contrainte sur ce film?

La multiplicité des composants de ce film – beaucoup de personnages qui demandent une structure claire dans la rencontre de leurs histoires, les écrans bleus à installer pour chacun des shots, recréer l’impression que le train bouge en animant les lumières extérieures, animer des marionettes sans tête, jouer avec le 2D et le décor, l’utilisation d’une caméra motion control,… Il y avait toujours une dizaine de choses à penser en même temps, et beaucoup de personnes à qui communiquer ses idées. J’ai eu de la chance d’avoir une équipe très passionnée et très travailleuse, d’une part parce que la vie de tous les jours était plus agréable comme cela et d’autre part, parce que ce projet ambitieux n’aurait jamais pu être réalisé, j’ai beaucoup grandi et appris de tout monde.

-Quel est le parcours du film depuis sa finition?

Pour le moment, le film a été sélectionné à Animafest Zagreb, Animfest Athens et Edinburgh International Film Festival ce qui me rend très heureuse et motivée pour la suite. Je continue à soumettre mon film à des festivals à travers le monde et va bientôt commencer le montage du making of.

-De quoi t’inspires tu de façon générale pour nourrir ton travail?

Vraiment de tout. J’essaie de noter sur mon carnet au maximum les petites choses de la vie, les conversations, les éléments que l’on rencontre sur notre chemin qui nous font marrer, nous questionnent, ou apportent un peu de poésie. J’écoute aussi beaucoup la radio, regarde des films, des interviews d’auteurs, artistes et penseurs, et essaie de lire le plus souvent possible. Je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment un thème de prédilection, à part peut être celui de l’absurde ce qui se marie très bien avec l’envie d’analyser et comprendre ce qui nous entoure.

-Quel est ton prochain projet?

D’abord trouver du travail! Je veux m’ancrer dans le monde du freelance en animation à Londres. Mais j’ai aussi hâte de faire un nouveau film, alors je continue à prendre des notes dans mon petit carnet.

Bande annonce:

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