Quentin Dupieux tient une place particulière dans le paysage cinématographique français. Rentré récemment de son escapade filmique aux Etats-Unis, le bonhomme remet le couvert seulement un an après le très bon , chose inhabituelle chez un réalisateur qui laisse habituellement plus de temps entre ces films. Bon ou mauvais présage ? Tentative de réponses en quelques points.
Quentin Dupieux a toujours eu un rapport particulier avec les objets. Dans une conception matérialiste du cinéma, il fait pour la deuxième fois après Rubber d'un objet, ici non plus un pneu mais un daim, le principal personnage du film. En lui construisant une aura mystique par le pouvoir du scénario, Dupieux sacralise cette veste, bien aidé par la malice de Jean Dujardin. Objet de tous les désirs, le daim sert de passerelle aux dérives scénaristiques pleines de folie. C'est justement sur ce point que Dupieux nous questionne : en tournant en absurde notre attachement quasi religieux à un objet inutile ; à quel point devons-nous centraliser nos vies sur les objets qui nous entourent ? C'est en opposant les personnages de Jean Dujardin et d'Adèle Haenel que Dupieux met en lumière sa morale : quand Dujardin oppose le mouvement de sa voiture à sa vie figée, Haenel semble constamment en mouvement dans son existence ; quand elle fait la part des choses entre rêve et réalité, lui s'enfonce dans son délire chimérique. Sans dévoiler le final, Dupieux finit par trancher dans le vif, tout en ayant laissé le spectateur se délecter des tenants et aboutissants des trajectoires croisées des deux, montrant ainsi les avantages, les inconvénients et les limites de chacun des modèles, dans un absurde délectable à première vue.
La première lecture absurde du film ne doit cependant pas cacher la deuxième, plus dramatique : derrière le comique se cache l'histoire avant tout d'un homme brisé, fauché et quitté par sa femme, qui jette à l'agonie son amour sur un daim. Cette double force comique est porté par une doublette d'acteurs en folie. Dujardin y trouve ici un rôle taillé sur-mesure pour lui, dans un Georges qui a des sérieux faux-airs d'alter ego de Dupieux, dans la barbe comme dans l'approche (il est d'ailleurs intéressant de voir Réalité et Le Daim en prisme de la vie de Dupieux : quand le premier traitait du rapport de l'homme au son, rappelant l'activité musicale du bonhomme, ce nouveau film fait le rapprochement avec l'image, qui là se référence à la carrière cinématographique de Dupieux). En montrant pourquoi il ne déméritait pas son Oscar, Dujardin signe une de ses meilleures performances, parfaitement complété par Adèle Haenel, qui étale elle aussi toute l'étendue de son immense talent. C'est justement face à ce tel duo qu'un autre film de Quentin Dupieux se confronte au Daim : Réalité. Là où Alain Chabat et Jonathan Lambert profité d'un scénario écrit par un Dupieux touché par la glace, Dujardin et Haenel tire constamment à bouts de bras un scénario assez faiblard, surtout dans sa première moitié, et où la mise en scène de Dupieux chasse les longueurs uniquement dans les moments où tout s'emballe. Cela met peut-être plus encore que dans les précédents métrages de Dupieux : quand son ère américaine, de Rubber à Réalité, faisait la part belle à l'absurde par le scénario, son ère française consacre Quentin Dupieux dans sa direction d'acteurs, de Benoît Poelvooerde sur Au Poste ! à Jean Dujardin sur Le Daim.
Le Daim reste donc un petit film sympathique, dont sa principale force est le récital offert par Dujardin et Haenel en totale roue libre, mais plombé par un Dupieux que l'on a connu plus inspiré. Si les longueurs ne sont pas insomniantes, on est pas malheureux de voir le dernier tiers explosif et jouissif arrivé, et de se dire qu'il n'aurait pas fallu que ce film dure de trop, malgré un contrat réflectif assuré. A voir tout de même.
Note
6.5/10
Bande-annonceRésultat mitigé pour le nouveau cru Dupieux. Si le film est sympathique, on capitalise surtout sur Dujardin et Haenel, extraordinaires dans leurs rôles. Les longueurs, qui s'amenuisent progressivement, empêche le film d'être le digne héritier de Rubber et de Réalité dont il s'inspire grandement.