Les autres personnages

Vous avez travaillé votre personnage principal, définis ses qualités, ses peurs et ses faiblesses. Vous savez quels seront les obstacles qu’il devra confronter essentiellement incarnés par l’antagoniste.

Il est donc temps d’inventer d’autres personnages. L’expression de personnages secondaires est un peu méprisante car ils sont loin d’être secondaires dans une histoire et en assurent des fonctions indispensables.

Parmi les fonctions, il y a souvent ce personnage qui accompagne le héros dans ses pérégrinations ou qui le prépare à vivre cette errance que sera l’intrigue de votre récit. Ce personnage est considéré comme une sorte de mentor, de précepteur, de guide.

C’est comme s’il possédait une sagesse que le personnage principal n’atteindra pas avant le dénouement (s’il y parvient).

Dans un thriller, le parcours de l’intrigue est labyrinthique. Probablement, en est-ce une marque distinctive.
Même s’il possède une certaine expérience, le héros du thriller se sent souvent désarmé face à ce monde nouveau dans lequel il est soudain jeté.

On imagine aisément comment la présence d’un mentor peut être réconfortante. Mais bien plus que cela, elle donne un accent de vérité à l’intrigue. Lorsqu’on écrit un thriller, il faut être pragmatique. La présence de cet autre personnage auprès du personnage principal, qu’elle soit celle d’un mentorat assumé ou plus discret, consiste pour Dan Brown à compléter en quelque sorte son héros qui ne peut être, pour des raisons évidentes de vraisemblance, un être parfait.

Sophie Neveu du Da Vinci Code par exemple est une cryptographe, une qualité que ne possède pas Robert Langdon et qui s’avérera nécessaire à l’avancée de l’intrigue.
Vittoria Vetra dans Anges et Démons apporte à Langdon une certaine confiance de soi qui lui fait défaut.

Il importe de différencier clairement ce personnage qui accompagnera le héros au cours de son aventure. Cela ne servirait d’ailleurs pas votre histoire si vous mettiez en place des points d’entente entre ces deux personnages. Dans une œuvre de fiction, le maître mot est le conflit. Il y a du conflit dans tout et en tout.

Néanmoins, Dan Brown insiste que malgré la différence évidente entre le héros et cet autre personnage, ce dernier doit avoir quelque chose à apporter à l’histoire. Et ce quelque chose devient une condition a priori.

Dans Origin, par exemple, la position sociale de Ambra Vidal permettra d’ouvrir des portes inaccessibles autrement.

Chez Dan Brown, cependant, cet autre personnage est affublé d’une caractéristique qui sert la tension dramatique : le héros de l’histoire peut en tomber amoureux.
Soudain, cet autre envers qui le personnage principal a une certaine indifférence au début de l’histoire devient progressivement un enjeu pour le héros par le fait même du sentiment romantique qui va plus ou moins éclore entre eux deux.

Et cet épanouissement passionnel n’a pas nécessairement à aboutir. Il faut juste que le lecteur s’interroge sur cette relation qu’il pressent entre ces deux personnages. Cette anticipation participe de la tension dramatique.

L’intrigue définit les personnages

Certains auteurs consacreront beaucoup de temps à l’étude de leurs personnages. Ils ont besoin de s’informer le plus possible sur eux, d’écrire sur eux des paragraphes entiers d’une biographie dont ils ne se serviront probablement pas dans l’intrigue mais cela fait partie de leur processus d’écriture.

En tant que tel, cela est tout à fait justifié.

Pour Dan Brown, cependant, cette façon d’accumuler de l’information, c’est s’encombrer inutilement l’esprit. C’est son point de vue et nul besoin de le partager. Dan Brown écrit des thrillers et dans ce genre singulier, trop d’informations joue contre l’intrigue.

Pour lui, la création de personnages est un processus mis en place par l’intrigue elle-même. Les personnages sont une émanation de l’intrigue. Les événements exigent la présence d’un personnage précis et si celui-ci n’existe pas encore, il est temps de l’inventer pour que l’intrigue puisse continuer à avancer.

Chez Dan Brown, c’est le mouvement qui décide quels seront les personnages (qui ne sont pas le protagoniste et l’antagoniste) à créer.
En vous laissant guider par l’action, vous vous apercevrez rapidement que vous aurez besoin d’un élément de pression sur votre héros ou bien qu’il vous faut importer une nouvelle information dans votre récit. C’est à ce moment, dans l’expression de ce besoin exigé par le récit, que l’on peut envisager la création d’un nouveau personnage.

Posé sur le papier, avant le processus d’écriture proprement dit, tous les personnages que nous voulons dans notre histoire est contre-productif.
Il est bien plus préférable de commencer avec quelques personnages que nous avons déjà en tête, de les décrire sommairement afin de se donner un point de départ.

Dans Anges et Démons, Dan Brown explique que son intrigue a exigé que quelqu’un éloigne la bombe d’antimatière le plus loin possible. L’idée s’est imposée de la nécessité d’un hélicoptère. Et ce sera donc le camerlingue qui se sacrifiera.
Dan Brown ne pouvait pas juste décider de doter le camerlingue d’une faculté soudain tombée du ciel. Il a donc retravaillé le passé de ce personnage afin de rendre légitime cette aptitude.

Il a parsemé des indices tout au long de l’histoire insinuant que ce personnage pouvait posséder une compétence mais en prenant garde de ne pas trop en révéler afin que le lecteur n’anticipe pas ce que Dan Brown lui-même n’avait pas encore envisagé tant que l’intrigue ne lui avait pas imposé la nécessité de l’hélicoptère.

Brown se justifie aussi en quelque sorte en argumentant sur le fait que l’auteur est le maître de l’univers qu’il crée. En tant que démiurge, il peut faire de ses personnages ce qu’il veut qu’ils soient. Donc, un camerlingue pilote d’hélicoptère sera crédible si cette compétence est expliquée par petites touches au cours de l’histoire.

Il semblera alors normal pour le lecteur que ce personnage, par une sorte de réminiscence, fasse appel à cette connaissance, à cette expérience, à ce qu’il a vécu dans son passé pour permettre à l’intrigue de prendre de nouvelles orientations.

C’est l’intrigue qui doit décider de ce que doivent être les personnages.

Connaître ce que veulent nos personnages

Le point de départ de la création d’un personnage est de connaître ce qu’il veut dans cette histoire que vous vous proposez d’écrire. Quelles sont ses intentions ? Qu’est-ce qui le motive ? Pourquoi fait-il ce qu’il fait ?

Le lecteur découvrira progressivement qui sont vraiment les personnages mais l’auteur doit le savoir déjà. L’auteur doit savoir pourquoi son personnage fait ce qu’il fait.
Parmi les questions dramatiques que ne manquera pas de se poser le lecteur, l’une d’entre elles sera de se demander pourquoi un personnage agit comme il le fait. Cela fait partie du mystère inhérent au thriller (et à tout autre genre aussi). L’auteur connaît déjà l’information mais il la donnera quand il jugera bon de le faire.

Pourquoi est-ce si important qu’un personnage ait une intention dans une histoire ? Parce qu’il lui manque quelque chose. Il veut quelque chose et ne peut l’avoir. Il développe alors un désir et s’arc-boutera sur ce désir.

Partant de cette constatation, l’auteur doit donc aussi savoir pourquoi son personnage ne peut avoir ce qu’il veut. Et parce que ce personnage est appelé à évoluer, à grandir de cette aventure, ce manque lui permettra d’accomplir ce qu’il aspire à être.
Un personnage est un être en devenir. Incomplet au début de l’histoire, ses tribulations rempliront les vides. Chaque personnage est un être en puissance.

Ses choix, ses décisions l’amèneront à devenir cet autre pour le pire ou le meilleur.

Limitez volontairement le nombre de personnages

Le nombre de personnages est très souvent dicté par l’intrigue. Néanmoins, le lecteur aime s’immerger dans l’intrigue sans avoir à s’interrompre se demandant mais qui est ce personnage ?
Il faut un peu de temps pour s’habituer aux personnages. C’est peut-être l’une des difficultés d’approche majeures d’un titre comme Game of Thrones.

Pour Dan Brown, il faut s’assurer de ne pas céder à la facilité et de rajouter un personnage pour résoudre la moindre difficulté. Si l’un de ses personnages par exemple peut aligner plusieurs compétences, cela ne nuira pas à la crédibilité de l’histoire.

Ce qui est important lorsque le nombre de personnages est limité, c’est que leurs relations, l’intersubjectivité qui s’installent entre eux, sont d’autant plus chaleureuses, plus intimes, plus passionnées qu’elles ne se diluent pas dans la masse.
Cela rend l’expérience du lecteur plus claire, plus dynamique et il vous rendra grâce d’avoir partagé avec lui une relation si sincère, si intense, si personnelle.

Les personnages les plus importants seront facilement identifiables

L’auteur sait lorsqu’un de ses personnages sera important pour son intrigue. Il doit communiquer cette information dès l’introduction de ce personnage. Le lecteur doit comprendre immédiatement que ce personnage est différent. C’est une question de mise en place, de mise en scène. Cette scène d’introduction n’est pas en soi essentielle à l’intrigue. On pourrait certes s’en passer conformément à l’assertion de Aristote prétendant que si l’on retire une scène et que la structure de l’ensemble tient encore en place, alors cette scène était inutile.

Un personnage important sera mis en évidence de telle sorte que le lecteur comprenne immédiatement à qui il a affaire. Dan Brown prend l’exemple de Bézu Fache du Da Vinci Code. Des méthodes directes et expéditives, quelqu’un de fort, de résolument tourné vers l’action et le lecteur doit se saisir immédiatement de cette impression.

Même si cette impression est voulue fausse par l’auteur et que son intention est de prendre son lecteur à contre-pied plus tard, il doit néanmoins insister sur cette première impression.

Concrètement, la technique est assez simple. Cette première impression est quelque chose que l’on visualise. C’est une représentation donc pour l’auteur, essentiellement une description.

Par ailleurs, il y aura d’autres personnages qui ne font vraiment que passer. Et on ne pourrait s’en passer parce qu’ils apportent une information. Afin que le lecteur ne s’accroche pas inutilement à ce personnage, Dan Brown ne lui donne pas de nom.

En ne nommant pas un personnage, nous incitons le lecteur à se montrer indifférent à son égard. Le personnage pénètre et sort de la scène après y avoir livré l’information dont il était porteur.
Le lecteur ne retiendra que le message et très peu du personnage et c’est cela qui doit être visé par l’auteur.

En somme, il faut faciliter la lecture. Si le personnage importe, passons du temps avec lui. Si seulement l’information qu’il représente doit être communiquée, faire en sorte que seule celle-ci soit retenue et que le personnage retourne au néant.

Cela aide aussi à garder le contrôle de son histoire. L’auteur veut que son lecteur suive un certain chemin. Si le lecteur doit se sentir confus à certains moments, c’est parce que l’auteur en a décidé ainsi. Si tous les personnages sont traités sur un même plan d’égalité, le lecteur se sentira confus à tenter de les identifier et de se les remémorer tous alors qu’une toute petite partie d’entre eux est importante.

Pour Dan Brown, le suspense et la confusion sont facilement commutables. Le suspense sera affaire avant tout de personnages d’où la double utilité d’en inscrire un nombre limité dans l’histoire et d’identifier ceux qui auront vraiment un rôle à y jouer.

Des personnages aux idées opposées

Lorsqu’il s’agit de peupler son histoire, autant choisir des personnages qui vont venir s’opposer au moins sur le plan intellectuel.
Ce seront des personnages avec des points de vue contradictoires sur le monde. Dans Origine, par exemple, vous avez d’un côté Edmond Kirsh qui est un athée engagé et pour contrebalancer ce personnage dont la seule présence dans l’histoire aurait fait basculer celle-ci vers la propagande, Brown introduit alors Monseigneur Valdespino qui porte en lui ce message magnifique de ce que serait le monde sans la religion.

Kirsh et Valdespino ont deux perspectives différentes sur le monde et ce double regard permet de préciser les détails de ce monde à l’intention du lecteur.
Et c’est par le conflit naturel et équilibré entre ces deux représentations du monde que nous pouvons rendre accessible ce monde au lecteur.

Dan Brown insiste sur le fait que les deux opinions dont l’auteur se servira pour décrire le monde de son histoire (et en particulier dans la cadre d’un thriller) est de faire des recherches précises. Dans le cas de Origine, il lui fallait incarner une opinion religieuse intégriste et de l’autre un militant athéiste avec chacun leur pouvoir de conviction, de sincérité, d’honnêteté afin que le débat entre eux soit équilibré.

Quelle que soit la position personnelle de l’auteur, le fait d’écrire une fiction le rend responsable de présenter avec la même intégrité intellectuelle les deux opinions comme s’il avait à les défendre toutes deux séparément.

Écrire, c’est faire des promesses à son lecteur. Lorsque vous lui présentez deux personnages dont manifestement les idées se télescopent, vous faites la promesse d’un conflit à votre lecteur. Et cette tension dramatique est déjà une promesse en soi.

Présentez deux personnages animés d’une sorte d’accord commun et vous les rendrez insignifiants.

Les personnages ont un passé commun

La biographie d’un personnage peut aider l’auteur à résoudre certaines situations dans lesquelles il jettera son personnage dans le présent de la narration. Ce qui l’aidera bien mieux est selon Dan Brown le passé et la nature des relations que ce personnage a déjà vécues.

Dans Le symbole perdu, Katherine rejoint Langdon en cours de route mais ils ne sont pourtant pas des étrangers l’un envers l’autre. Ils ont partagé des choses des années auparavant et cela permet d’expliquer la relation qui les unit maintenant.

Et pour Brown, il est inutile de s’étendre sur des paragraphes entiers pour faire remonter cette relation à la surface de l’esprit du lecteur. Il suffit de placer comme un rappel un souvenir commun et le lecteur induira de lui-même tout un ensemble de significations qu’il partagera avec les personnages.

Dans le cas de Katherine et de Robert, ils ont eu tous deux une aventure amoureuse dans leur jeunesse puis se sont perdus de vue. Cette nouvelle rencontre bien des années plus tard rappelle des souvenirs que le lecteur peut comprendre parce que ce sont des choses dont il a déjà plus ou moins une expérience. Ainsi sera alors définie la relation qui existera entre Katherine et Robert.

Peut-être sera t-il nécessaire de ne pas donner immédiatement cette information d’un passé commun entre deux personnages. Pourtant, celui-ci existera depuis le début. Peut-être devrons-nous comprendre plus tard que la relation qui unit deux personnages est filial. Ce sera comme une révélation.

Dans Origine, la relation entre Landgon et Kirsh est celle d’un mentorat. Par tous moyens, il faut établir que deux personnages ne sont pas des étrangers. Même s’ils sont persuadés de ne s’être jamais rencontrés, il s’avérera néanmoins qu’un lien même infime a ses racines dans un passé qu’ils ont forcément en commun.

Et ce quelque chose qui les unit doit être compris du lecteur qui aura éprouvé quelque chose de similaire dans sa propre vie. Par exemple, nous avons tous eu quelqu’un dans nos vies qui a été comme une sorte de professeur, de précepteur, de mentor pour nous dont nous avons tenté de recopier ou de suivre l’exemple. Nous avons nous-même été un tel précepteur pour quelqu’un.

Le souvenir d’une telle relation permet à l’auteur d’économiser des paragraphes entiers qui auraient cassé le rythme de son histoire et peut-être même rendu confus le lecteur qui n’aurait alors pas réussi à vraiment identifier la nature de la relation qui unit deux personnages s’il n’avait pas connu lui-même une relation similaire.

Il suffit d’impliquer le lecteur en faisant appel à son imagination, à son intelligence, à ses souvenirs. Et de s’en servir afin de faciliter la lecture. Le lecteur accompagne l’auteur dans ses élucubrations.