Les outils du suspense ne manquent pas
Le nombre d’outils dramatiques qu’un auteur de thriller a à sa disposition pour créer du suspense est vraiment considérable. En quelque sorte, il suffit d’un peu d’attention pour créer du suspense. Une des toutes premières techniques est d’emprunter chez un autre auteur de thrillers les techniques qu’il emploie pour mettre de la tension dramatique dans certains des moments qu’il décrit.
Techniques qu’il a probablement dû lui-même prendre ailleurs et adapter selon les exigences de son intrigue. Un exemple classique est de mettre en place un danger imminent. Votre personnage principal est en train de s’occuper de ses roses et il se tient dans l’ombre une silhouette indéfinie. De cette simple description, il émane du suspense.
Certes, c’est une manière un peu trop directe d’ajouter de la tension dramatique à une scène. Parfois, on peut vouloir rendre les choses un peu plus subtilement. Dan Brown reprend l’exemple de Origine lorsque Robert Langdon pénètre dans le musée Guggenheim à Bilbao.
Brown décrit ce musée comme un Leviathan.
Et Langdon a l’étrange sentiment de pénétrer dans la gueule de la bête. Certes, dans un roman, il est facile de mettre en place un monologue intérieur pour expliciter ce qu’il se passe dans l’esprit de Robert Langdon. Le langage cinématographique que relaie le scénario exposera ce sentiment différemment.
Dans un cas comme dans l’autre cependant, vous avez fait une promesse à votre lecteur. Dan Brown insiste vraiment sur ce concept de promesse. Ce n’est pas un mot qu’il emploie par hasard. Écrire un roman ou un scénario de thriller, c’est signer un contrat avec son lecteur. Et dans cet exemple précisément, le contrat est que vous promettez à votre lecteur que quelque chose de terrible se prépare.
Lorsque Langdon est dans le musée, il a cet étrange sentiment que quelque chose de mal est en train de se produire ou est sur le point d’avoir lieu dans ce musée.
Il est inconfortable. À propos de langage cinématographique, cet inconfort par exemple est très visuel. Faites confiance à la sagacité et à l’intelligence de votre lecteur. Ce malaise ressenti par Robert Langdon, le lecteur le percevra de manière saisissante.
Pour créer du suspense, Dan Brown utilise aussi le sombre secret qui hante un personnage. La source de ce secret se situe évidemment dans le passé du personnage. On ne dit pas au lecteur quel est ce secret.
Éventé, ce secret n’a plus aucune force dramatique. Par le monologue intérieur du personnage, on peut lui faire dire qu’avant un certain événement, son ressenti actuel des choses aurait été différent.
Le lecteur ne manquera pas de s’interroger sur ce mystérieux événement dont on ne lui souffle mot. Visuellement (pour un scénario), des indices peuvent être disséminés comme une photographie ou un étrange comportement d’un personnage devant un objet sans qu’il soit donné de plus amples détails. C’est ce détail qui manque justement qui créera le suspense.
Autre outil dramatique qui a les faveurs de Dan Brown pour ajouter du suspense à ses histoires est l’identité cachée. Dans ses œuvres, il y a toujours une éminence grise anonyme. Quelqu’un qui tire les ficelles dans l’ombre. Et Dan Brown avoue qu’il n’est pas le seul à utiliser une telle technique narrative. Surtout dans le domaine du thriller.
Là encore, vous promettez à votre lecteur une surprise car vous ne lui direz pas avant le dénouement quel est ce personnage qui agit dans l’ombre. Le lecteur sait qu’il existe mais il ignore qui il est. Il va s’en faire une idée. Et l’auteur doit jouer avec cette idée, la nourrir parce qu’à la fin de son histoire, il prendra son lecteur à contre-pied en lui révélant que le personnage qu’il soupçonnait, qui lui semblait si évident, n’est en fait pour rien dans le cours des choses.
Une autre possibilité pour ajouter du suspense est d’introduire des lignes dramatiques parallèles. Par exemple, vous avez un jeune homme qui habite par exemple aux États-Unis et qui se demande s’il rencontrera un jour l’amour de sa vie.
Et parallèlement, vous avez une jeune femme qui vit à Paris et qui se demande elle aussi si elle rencontrera un jour le véritable amour car l’expérience du divorce qu’elle vient de vivre l’a laissé quelque peu dubitative sur l’amour.
Encore une fois, en introduisant ces deux personnages, vous faites une promesse à votre lecteur. Vous lui dites que d’une manière ou d’une autre, ces deux lignes dramatiques se télescoperont. Vous soulevez une question dramatique dans l’esprit du lecteur. Cette question génère de la tension donc du suspense.
Le lecteur s’interroge sur la possibilité d’une rencontre dont il est d’ailleurs persuadé mais il ne sait pas encore comment cette rencontre peut avoir lieu ni de ce qu’il adviendra de cette rencontre prévue mais non encore réalisée.
Le suspense n’est pas généré par le quoi, c’est-à-dire par les circonstances, par la situation, mais bien plutôt par le comment : Comment les choses vont se passer est la clef du suspense.
Notons que Dan Brown fait référence à un sujet qu’il a approfondi pour l’écriture de ses romans et qui a tout à voir avec la physique quantique. En effet, un des thèmes de la physique quantique est l’intrication ou enchevêtrement quantique.
Selon cette théorie, deux particules subatomiques seraient capables de communiquer sur de longues distances une fois qu’elles ont été en contact.
Les deux personnages de l’exemple s’ignorent totalement lorsque nous faisons leur connaissance. Néanmoins, selon Dan Brown, ils sont liés d’une manière ou d’une autre. Cette hypothèse implique donc qu’un événement, un fait, un être humain, quelque chose est partagé par nos deux personnages.
Qu’il soit dans le passé ou dans le présent, ce quelque chose a créé une liaison. Et ce lien dessine un lieu de rencontre qui se réalisera dans le cours de l’intrigue.
Des lignes dramatiques parallèles dans Origine
Les relations qui unissent les personnages créent des lignes dramatiques. Chaque ligne dramatique est une histoire en elle-même. Toutes ces lignes dramatiques convergent afin de former un tout. Chaque ligne met en place son propre suspense qui, par un effet cumulatif, participe à la constitution du suspense globalement ressenti.
Par exemple, Luis Avila est le principal antagoniste du roman Origine. Introduit très tôt dans l’histoire, sa présence soulève aussitôt des interrogations. Comme par exemple ce qu’il s’est passé dans sa vie pour qu’il soit autant traumatisé. Et que signifie ce tatouage dont il semble tirer une telle puissance ?
On peut distinguer trois types de relation afin de nous aider à comprendre ce qu’il se passe entre les personnages. La plus classique et la plus importante est une relation d’opposition. Comme le conflit est ce qui fait battre le cœur de l’intrigue, l’opposition apparaît partout où cela est possible même dans un simple mouvement d’humeur.
Ensuite, il existe une relation de dépendance, sorte de soumission que des personnages acceptent d’entretenir entre eux. Cette dépendance est importante parce qu’elle peut expliquer le comportement d’un personnage.
Et dans le cas du thriller, elle est d’autant plus intéressante qu’elle permet de créer un personnage plus puissant dont on ignore l’identité et qui tire les ficelles dans l’ombre. Savoir qui est ce personnage participe à la constitution du suspense.
La troisième relation possible entre personnages est une simple relation de présence, d’accompagnement. Ce peut être le cas par exemple entre un professeur et son élève.
Concernant Luis Avila, on s’interroge en effet sur l’individu envers qui il a une telle obédience. Rien n’est vraiment dévoilé lorsque le personnage d’Avila est introduit dans l’histoire. On ne peut néanmoins s’empêcher de se demander qui est le personnage dans l’ombre qui le pousse à agir et aussi ce que Avila va faire.
On a compris que Avila était à Bilbao pour accomplir quelque chose. On ne sait pas ce que c’est mais puisque Robert Langdon, le protagoniste, est lui aussi à Bilbao, on conçoit que d’une manière ou d’une autre, ce que Avila a à faire est lié à Langdon.
Et nous ressentons que cette présence commune de ces deux personnages ne sera pas bénéfique. Luis Avila est un tueur. Et le simple fait qu’il se trouve au même moment dans le même lieu que Langdon est forcément une mauvaise nouvelle.
Une autre ligne dramatique s’avère aussi assez sulfureuse. Il s’agit de celle qui décrit la relation entre le Prince Julian et l’archevêque Valdespino. Le début de cette relation (lorsqu’elle nous est présentée dans le roman) est tout empli de mystère. En effet, la question que l’on se pose est de savoir où l’évêque entraîne le Prince.
Pourquoi Julian est-il assis à l’arrière de ce véhicule ? Et que va lui révéler son père mourant ?
Et puis il y a aussi le rabbin Yehouda Köves. Dan Brown est très clair sur ce personnage. C’est un personnage sincère, honnête et noble dans ses actes et ses pensées. Il est décrit de telle sorte qu’on ne peut pas croire qu’il puisse lui arriver malheur.
Et pourtant, le danger l’entourant va en grandissant. Le lecteur se dit que cet homme est si probe, si hautement moral que l’auteur ne peut décemment pas le tuer.
Mais nous sommes dans un thriller. C’est une des conventions du genre que les individus bons doivent disparaître.
L’intention est d’aller contre les attentes du lecteur. Ici, il sera pris à contre-pied sur ce qui constitue sa morale. Dan Brown dit qu’il faut surprendre son lecteur.
Ce que cherche à expliquer Dan Brown est que le suspense n’a pas à être conçu d’un seul bloc. C’est davantage un assemblage de choses diverses et variées comme une sorte de manque dans l’information communiquée que le lecteur cherchera à combler en se posant les questions dramatiques qui soulèvent le suspense.
Mettre en place des lignes dramatiques qui agissent en parallèle permet selon Dan Brown de créer ainsi du suspense à chaque page puisque chaque ligne dramatique possède son lot de questions et de réponses.
Et lorsqu’une question est posée ou qu’une réponse est donnée, elle occupe son espace seule. Elle n’est pas embrouillée simultanément avec d’autres questions posées ou d’autres réponses données. Chaque chose est à sa place et la continuité même de l’intrigue fait que chaque page peut ainsi être imbibée de tension dramatique ou de suspense.
Le suspense dès les premières pages
Selon Dan Brown, pour qui le suspense est une promesse faite au lecteur, il est important que le lecteur s’interroge sur ce qu’il se passe dès les premières pages.
Dans Origine, la séquence d’ouverture pose immédiatement et ouvertement la question dramatique.
Le grand secret de Edmond Kirsch est qu’il révélera au monde le secret de l’humanité. La réponse ne sera donnée que lors du dénouement mais par le simple fait de la curiosité, réaction bien humaine, vous accrochez ainsi le lecteur qui se met alors en quête de la réponse.
Travailler le suspense revient à donner en quelque sorte une énigme comme par exemple lorsqu’on devine que Avila est au musée Guggenheim pour y commettre probablement un meurtre mais on ne sait pas qui est visé.
Dan Brown fait ainsi la promesse à son lecteur qu’il va lui donner la réponse d’ici quelques pages. L’attente de ces quelques pages est ce qui crée le suspense. Et tant que le lecteur ne sera pas satisfait, que la tension dramatique induite par la question dramatique ne sera pas retombée, le lecteur continuera de tourner les pages.
Il suffit alors de mettre en place de nouvelles questions dramatiques tout au long des pages pour espérer mener son lecteur jusqu’au dénouement.
Ensuite, le nombre de pages nécessaires pour donner une réponse doit être savamment mesuré. En effet, il serait dommage de donner des réponses trop rapidement (alors que les questions dramatiques doivent être soulevées le plus rapidement possible et courir en quelque sorte en parallèle).
Pour Dan Brown, l’auteur doit sentir jusqu’à quel point il peut conserver le secret sur une question dramatique avant que son lecteur ne s’exaspère. Il faut faire confiance à l’intelligence du lecteur qui appréciera de voir comment l’auteur parvient à résoudre les problèmes qu’il se pose lui-même.
Mais si l’attente est injustifiée comme si la réponse ne serait pas à la hauteur de la question posée, on risque davantage de décourager son lecteur que de l’accrocher.
Mettre en place un compte à rebours : élément essentiel du suspense
Le compte à rebours est une technique narrative. Les choses ont une durée bien établie. Par exemple, lorsque vous avez planifié votre histoire et qu’il apparaît que les événements se dérouleront sur une période de deux semaines, Dan Brown conseille d’envisager de réduire les choses à une semaine et de voir si, ainsi, l’histoire ne devient pas plus intéressante, plus passionnante.
Bien sûr, compresser le temps ne conviendra pas à tous les auteurs comme en convient d’ailleurs Dan Brown. Il suffit d’essayer au moment où l’on planifie son histoire de réduire le délai de survenance des événements, de voir comment l’accroissement du rythme vient ajouter ou non au suspense dégagé.