Que nous le voulions ou non, nos vies suivent plus ou moins des modèles. Notre quotidien est banal et nous désespérons parfois de sa monotonie.
Une histoire ne peut s’inspirer de nos jours qui sont aussi comme tous les autres jours. La routine manque singulièrement d’événements et de personnages.
Pour que l’histoire existe, il lui faut des événements et au moins un personnage. Et un événement, ce n’est rien d’autre que quelque chose qui se produit venant bouleverser un quotidien un peu trop bien réglé.
Une histoire est un paradigme perturbé
Si tout est parfait tout le temps, il n’y a pas d’histoire. Il n’y a rien à raconter. C’est une explication déconcertante de simplicité. Donc pour qu’il y ait une histoire, il faut un événement déclencheur, un événement capable de perturber le monde ordinaire d’au moins un personnage.
Ensuite, il faut une intrigue. L’intrigue décrit ce qu’il se passe dans l’histoire. Les événements n’ont pas à être réglés chronologiquement pour constituer une intrigue. La plupart du temps, ils sont liés par un rapport de cause à effet. Cela facilite la compréhension de l’histoire mais n’est pas non plus une nécessité pour qu’il y ait une intrigue.
Qu’est-ce qui constitue une intrigue ?
Par sa brutalité ou son irruption dans le quotidien, l’intrigue doit impliquer une menace. Cette menace peut être extérieure ou intérieure.
Margaret Atwood donne l’exemple de deux personnages qui vivent tranquillement dans un petit pavillon de banlieue. Et leur vie commune est réglée comme du papier à musique.
Une nuit, une étrange lumière apparaît soudain dans leur jardin. Et un monstre tentaculaire en surgit. Ce type d’événement est extérieur. Généralement, dans ce cas particulier, le hasard est admis. L’événement déclencheur vient souvent de nulle part. Il n’est pas lié au passé des personnages ni à l’action de ceux-ci dans le présent. Une rencontre fortuite est souvent ainsi un prétexte pour raconter une histoire même si les personnages se sont connus il y a longtemps et se sont perdus de vue depuis.
Leur retrouvaille est le fruit du hasard et le lecteur accepte cet événement que l’auteur attribue à la Providence.
Un autre type d’événement est celui qui est interne. Par exemple, nos deux personnages connaissent cette routine qui constitue leur monde ordinaire. Ils sont un couple apparemment heureux et puis un jour, l’un des deux découvre que l’autre le trompe.
La menace vient ainsi de l’intérieur. Cette découverte vient tout bouleverser et il y a dorénavant matière à raconter.
L’événement déclencheur pose la question dramatique. Par exemple, l’un des deux personnages découvre soudain que l’autre a un comportement étrange. Pourquoi s’échappe t-il chaque nuit ? Qui ou quoi va t-il rejoindre ? Que sont ces bruits étranges qui entoure chaque mouvement de l’autre ?
Ce qu’il arrive au personnage (c’est-à-dire la prise de conscience soudaine que quelque chose est différent) le trouble. Il s’interroge. Il cherche des réponses. Et le lecteur le suit dans ce questionnement.
La question dramatique est un outil qui crée du suspense. Elle est indépendante du genre. La nature des événements décrits peuvent aider à catégoriser une histoire dans tel ou tel genre. Le suspense n’ajoute rien à cette définition. En tant qu’outil dramatique, il aide le lecteur dans sa volonté à connaître ce qu’il va se passer ensuite (donc à tourner les pages).
L’auteur doit faire en sorte de tisser les événements dans son intrigue de manière à ce que celle-ci soit suffisamment intrigante et passionnante à suivre.
Le lecteur ne devrait cesser de s’interroger sur le devenir des personnages, sur ce qu’ils vont pouvoir faire pour se sortir de la situation compliquée dans laquelle l’auteur les a jetés.
Une histoire est un assemblage de briques narratives
Doit-on constamment inventer de nouvelles choses à raconter ? Doit-on systématiquement réinventer la roue pour écrire une bonne histoire ?
Nous pouvons être innovants. Mais nous ne pouvons l’être constamment. Nous pouvons admettre que tout a déjà été dit. Depuis quelques millénaires, des histoires ont été racontées oralement ou par écrit.
Progressivement, des structures plus ou moins similaires ont vu le jour. Elles ont permis de véhiculer de l’information. Elles ont servi de base aux histoires.
Ces briques narratives peuvent être ramassées un peu partout. Les mythes grecs et romains par exemple sont une excellente et éprouvée source d’inspiration.
Les contes de fées théorisés par Vladimir Propp par exemple sont encore une autre possibilité de recueillir l’information pour écrire des histoires originales étayées néanmoins sur de solides fondations.
Comprenons bien qu’il ne s’agit aucunement de plagiat mais plutôt d’utiliser des structures narratives qui ont fait leurs preuves pour raconter nos propres histoires.
L’ensemble des écrits concernant la Bible qu’ils soient poétiques ou paraboliques ont servis à de nombreux auteurs pour écrire leurs propres histoires non moins authentiques.
Connaître ces briques narratives n’est donc pas un signe de faiblesse de sa créativité. A contrario, ces briques narratives facilitent et entretiennent notre créativité.
Comprendre l’essentiel et le reproduire
L’art narratif est une longue et ininterrompue conversation entre des milliers d’histoires qui ont toutes un rapport ne serait-ce que ténu avec les histoires qui les ont précédées.
Il est donc important de connaître ce qui a précédé afin de reprendre la substance essentielle et d’en donner une nouvelle forme.
Margaret Atwood prend l’exemple de Cendrillon. Dans le conte original, le baiser du prince sauve la princesse d’une mort apparente. Dans le film Maléfique de Paul Dini et Linda Woolverton d’après Charles Perrault et les Frères Grimm, la position du prince a été revue sous un aspect bien plus moderne.
Dorénavant, le prince est manifestement un raté. La morale de l’histoire a été déviée afin de l’adapter à des préoccupations bien plus d’actualité, avec notre air du temps, pourrait-on dire, ce qui implique que cette nouvelle version de Cendrillon pourrait être tristement obsolète lorsque les mentalités auront nécessairement évoluées.
Dans Maléfique, les fonctions principales des personnages (protagoniste et antagoniste) sont respectées (bien que leur assignation soit assez volatile).
Du moins, les positions respectives et les attitudes et autres comportements de chacun sont expliquées de manière plus que crédible.
Le message diffère aussi en cela que c’est maintenant de l’amour de sa mère dont Cendrillon a le plus besoin. Bien sûr, cette nouvelle version ne semble plus avoir grand-chose en commun avec l’histoire originale mais si celle-ci est ignorée, Maléfique n’a plus vraiment de sens.
Autre exemple donné par Margaret Atwood est le Tchekhov’s Gun. C’est un principe narratif qui consiste à n’utiliser des détails que si nous pouvons les justifier dans le cours de l’histoire. Par exemple, si vous posez un fusil accroché à un mur dans le premier acte, la présence de ce fusil ici et maintenant sera explicitée plus tard.
Ce pourrait être dans le troisième acte (un choix tout à fait arbitraire). Par exemple, l’héroïne pourrait avoir la vie sauve si elle peut atteindre le fusil. Or, il s’avérera (à des fins de suspense) que ce fusil est hors de sa portée.
Ce que recommande Anton Tchekhov, c’est de ne jamais inclure dans l’histoire des choses qui ne lui soient pas pertinentes. C’est-à-dire avec cet exemple du fusil des objets qui ne seront pas appelés à être utilisés.
D’autres conseils de Margaret Atwood suivront dans de prochains articles.