Margaret atwood et le point de vue

Par William Potillion @scenarmag

Savoir quel point de vue faut-il prendre dépend de l’interlocuteur que vous avez en tête et de ce que vous comptez lui dire. Souvenons-nous qu’écrire, c’est un moyen de communiquer. Le geste d’écrire est un langage comme la voix humaine peut-être même avec une portée plus intense, plus pénétrante dans l’esprit humain.

Qui raconte l’histoire ?

Parmi les stratégies possibles, le narrateur omniscient relate l’histoire d’une manière objective, comme un observateur des événements qu’il retranscrit pour le lecteur. Ce narrateur tout-puissant pénètre l’esprit des personnages et nous dévoile les pensées et sentiments tels qu’ils apparaissent.

Cette distance est intéressante parce qu’elle nous permet de garder le contrôle sur les informations qui seront communiquées.
Une autre possibilité est le point de vue du Je. C’est un personnage qui communique l’histoire. Nous la recevons à travers son regard singulier.

Cette façon de faire est éminemment subjective et met avec profit en avant la notion d’intersubjectivité, c’est-à-dire la relation qui existe nécessairement entre le personnage et les autres personnages ou bien entre le personnage et le monde extérieur. Mais le Je permet d’encore approfondir cette notion d’intersubjectivité en mettant en place une relation privilégiée entre le narrateur et celui qui l’écoute (ou le lit, ou le voit, ou les deux à la fois).

Ce qui est pratique cependant, c’est que nous ne sommes pas obligés de nous en tenir à un seul point de vue tout au long de l’histoire. Nous pouvons passer du narrateur omniscient ou au Je selon les moments de l’histoire.
C’est en effet le matériel narratif qui décidera de lui-même ce que sera le point de vue le plus adapté à son expression.

Et puis il est aussi question de style. Bram Stoker dans son Dracula de 1897 adopte globalement un narrateur tout-puissant qui en sait toujours plus que les personnages et qui le dit au lecteur.
Cette technique narrative est capable de créer du suspense parce que le lecteur attend que le personnage apprenne ce que lui, lecteur, sait déjà.

D’autres auteurs comme Agatha Christie préfèrent nettement la première personne pour raconter l’histoire parce que cela crée une ironie dramatique qui sied bien à leur ton de prédilection (à leur manière préférée de raconter une histoire).

Adoptez différents points de vue

Pour connaître quel point de vue adopter, il faut essayer. La pratique fournit l’expérience. Et puis l’histoire elle-même dicte par l’élan qu’elle prend au fur et à mesure de son écriture le point de vue dont elle a besoin à tel moment.

En écrivant quelques paragraphes, quelques scènes sous une certaine perspective, vous vous rendrez compte si cela fonctionne ou pas. Si vous vous sentez mal à l’aise avec un personnage dans une scène quelconque, refaites cette scène en prenant pour point de vue celui d’un autre personnage ou bien encore celui du narrateur omniscient.

Ce qui importe encore une fois, c’est ce que l’histoire a à dire. Le point de vue est fortement lié à ce que l’auteur a envie de dire et comment il a envie de le dire.
Réfléchissez sur les risques et les apports de tel ou tel point de vue. Consacrez-y du temps et de la réflexion.

De toutes façons, plus vous serez dans le processus de création de votre histoire (lorsque la recherche sera complète et qu’il est temps dorénavant d’écrire), l’histoire prendra d’elle-même un certain élan et la question du point de vue sera de moins en moins compliquée à résoudre.

Cette question, en fin de compte, consiste à se demander qui tient les rênes narratives et de prendre le point de vue correspondant.

Ce que sait le narrateur

Lorsque vous envisagez un point de vue, vous devriez vous demander ce que ce personnage est autorisé à connaître. Comme je l’ai noté un peu plus haut dans le texte, même le point de vue d’un narrateur tout-puissant est forcément orienté.

Une chose doit cependant vous rester à l’esprit. Le point de vue sert aussi à créer du suspense, c’est-à-dire pour le lecteur une envie d’en savoir plus, de continuer sa lecture.
Lorsqu’un lecteur en sait plus que le personnage, vous créez une ironie dramatique et celle-ci pourvoit le récit avec suffisamment de suspense et de tension pour vous assurer que vous êtes sur la bonne voie avec votre lecteur.

Par exemple, dans Dracula, lorsque Bram Stoker nous expose pour la toute première fois Jonathan Harker lors de son voyage vers la Transylvanie, la description qui est faite à ce moment de l’histoire pourrait être assez ennuyeuse mais il y a une information qui nous permet de résister à la tentation de l’ennui, c’est que nous savons une chose que Harker ignore : le titre du livre, Dracula.

Un autre arrangement possible (le point de vue participe aussi de la structure) est que le personnage que nous suivons (qu’il soit principal ou non) en sait plus que nous. Il se crée forcément une tension dramatique relayée par la question dramatique de savoir ce que connaît ce personnage et que nous ignorons encore.

Dans la vie réelle, l’ignorance est handicapante ne serait-ce que d’un point de vue moral ou intellectuel. Elle est souvent source d’erreurs. C’est précisément ce type d’ironie qui nous force à interpréter ce que pense réellement un personnage. L’auteur doit alors faire en sorte de prendre son lecteur à contre-pied et ne pas lui servir sur un plateau d’argent les expectations que celui-ci aurait pu concevoir.

Prenons par exemple Agatha Christie et son Meurtre de Roger Ackroyd de 1927. Le docteur Sheppard, voisin de Poirot et narrateur de l’histoire, mène l’enquête avec le fameux enquêteur belge. Christie utilisera alors des techniques de manipulation afin de détourner le lecteur du véritable coupable qui s’avérera être le narrateur lui-même.

Pour Margaret Atwood, la problématique à résoudre pour l’auteur est de savoir si le narrateur en sait plus que les personnages et qu’il communique les informations au lecteur comme il l’entend ou bien si les personnages ou l’un ou l’une d’entre eux en sait plus que le lecteur (et éventuellement les autres personnages) et dans ce cas, l’histoire sera racontée sous son regard singulier (ce qui permet de manipuler son lecteur).

Encore une fois, la tactique à employer dépendra du moment de l’histoire en train d’être raconté. Et gardez en mémoire le cas du docteur Sheppard qui est à la fois un narrateur tout-puissant parce qu’il connaît les tenants et aboutissants de toute l’histoire alors que ni Poirot, ni le lecteur ne se doute des informations que Sheppard possède déjà et qu’il révèle sous le point de vue du Je forcément limité et subjectif.

Pour connaître le point de vue qui fonctionne le mieux dans une scène, prenez le temps d’un simple exercice. Supposons que vous ayez trois personnages dans cette scène.
Un garçon amoureux d’une jeune fille, une jeune fille qui n’est pas sûre de ses sentiments envers ce garçon et la mère de la jeune fille qui voit d’un très mauvais œil cette rencontre.

Quelle que soit la légitimité de cette scène dans l’ensemble (puisque là n’est pas la raison de cet exercice), écrivez cette même scène sous les trois points de vue différents : celui de la jeune fille, celui du garçon et celui de la mère.

Il serait étonnant que l’un de ces points de vue ne vous apparaissent pas comme une évidence. Et vous gagnerez aussi du temps lors des réécritures.