Que se passe-t-il lorsque deux réalisateurs, autant talentueux que différents l'un de l'autre, se prêtent à la tâche de réaliser un drame portant sur la vie de deux génies du numérique ayant totalement révolutionné l'industrie ainsi que les mœurs de notre société moderne ? C'est la question à laquelle nous allons tenter de répondre, en analysant, dans ce nouveau Versus, les films de David Fincher et de Danny Boyle que sont respectivement The Social Network et Steve Jobs.
Steve Jobs et Mark Zuckerberg
The Social Network, sorti le plus tôt en 2010, est un drame narrant l'incroyable ascension de Mark Zuckerberg à la suite de la création de (The) Facebook alors qu'il était toujours étudiant à Harvard. Sorti en 2015, Steve Jobs est, de la même manière, un film présentant le parcours de Steve Jobs, donc, avant que ses produits ne rencontrent le succès qu'on leur connait.
La première chose marquante rassemblant ces deux films qui, bien qu'ils traitent pourtant du même sujet à travers le parcours d'un génie du numérique aux prises avec sa mégalomanie, sa condescendance et son apathie, ne se ressemblent qu'assez peu, est leur construction narrative. En effet, les deux films ne répondent pas, ou du moins pas totalement à un schéma narratif académique. Steve Jobs est un film divisé en trois actes, correspondant chacun au lancement d'un nouveau produit designé par Jobs, chacun réalisé avec un format différent allant du 16mm au numérique, comme pour représenter l'évolution du personnage ainsi que la modernité apportée à ses produits. Si The Social Network comprends lui, au moins, un élément perturbateur ainsi qu'un récit linéaire aboutissant à une résolution, la narration se fait, et de manière très audacieuse, à travers les récits de Mark Zuckerberg lui-même lors de son procès l'opposant à son ancien collaborateur Eduardo Saverin et aux frères Winklevoss dont il a " volé " l'idée du réseau social. Les deux structures du récits sont donc assez originales, et il est intéressant de voir à travers quels événements sont décrites les vies des deux inventeurs.
Jesse Eisenberg en Mark Zuckerberg
Si la performance des deux acteurs principaux sont à relever, Michael Fassbender démontrant une nouvelle fois ici sa place parmi les meilleurs comédiens d'Hollywood depuis la fin des années 2000, la proximité entre les deux personnages, bien qu'étant directement tirée de la vie réelle, nous permet néanmoins de nous intéresser à la façon dont leurs vices sont représentés dans chacun des deux films. Ainsi, le point le plus important étant, sans doute, les dialogues, dans les deux cas d'une finesse absolue, permettant de développer les relations qu'entretiennent les deux personnages avec leur entourage et de cibler leurs vices. La scène d'ouverture de The Social Network est d'une justesse même qu'à travers une simple discussion entre Mark Zuckerberg et Erica, sa petite amie de l'époque, Fincher arrive à nous poser toutes les problématiques entourant le créateur de facebook, ainsi que son complexe de supériorité couvant en réalité un désir de reconnaissance, et expose donc ici les enjeux du récit. Le parallèle avec le traitement de Steve Jobs est d'autant plus simple à mettre en avant que le film n'est, en fait, qu'une succession de dialogues, tous mieux écrits les uns que les autres. Le récit est construit de telle sorte à faire progresser les relations de Jobs avec différentes personnes composant son entourage comme sa fille, son ancien collaborateur Steve Wozniak, ou encore sa principale collaboratrice Joanna Hoffman. Si certain reprocheront à Steve Jobs de ne pas assez creuser la personnalité de son personnage et de ne le soumettre à aucune évolution, je répondrai que, bien qu'il ne soit pas autant développé en profondeur que Zuckerberg dans TSN, son évolution et sa caractérisation se font tout en subtilité à travers certaines répliques ou encore par l'interprétation de Fassbender. Néanmoins, je reconnaîtrai que Boyle est bien plus tendre avec Jobs que ne l'est Fincher avec Zuckerberg, la conclusion de TSN étant bien plus âpre que celle de Steve Jobs, cela étant certainement dû à la mort du directeur d'Apple quelques années plus tôt.
Steve Jobs (Michael Fassbender) et John Sculley (Jeff Daniels)Enfin, si j'avais promis des différences concernant les deux films, et que je n'ai évoqué que des points semblables essentiellement dus à la nature de leur sujet, je dirais que leur principales différences s'opèrent dans la mise en scène, reflétant ainsi le fossé existant entre les mondes et méthodes des deux réalisateurs. Pour faire une rapide présentation, David Fincher est un réalisateur, considéré comme l'un des plus grands d'Hollywood (l'auteur entre autre de Seven, Zodiac, FIght Club...), provenant à l'origine de la télévision dont il tire un certain perfectionnisme rigide dans sa mise en scène. Danny Boyle, quant à lui, est un britannique au style très affirmé expérimentant souvent différents format de captation, et étant un des premiers metteur en scène à avoir plébiscité le numérique. En réalité, les deux œuvres sont assez représentatives du style de leurs auteurs, constituant certainement pour chacun l'un de leurs tout meilleurs films d'ailleurs. The Social Network est une oeuvre assez misanthrope dont le sujet, portant sur les vices de l'Homme, est un des thèmes les plus récurrents chez Fincher. Steve Jobs, quant à lui, est un film à la mise en scène bien plus libre et aux effets plus prononcés, Boyle étant sur ce point à l'opposé de Fincher en laissant notamment davantage de place aux choix de ses acteurs afin de déterminer la façon de filmer une scène. Le réalisateur n'hésite pas à user de techniques, de prime abord susceptible de nous faire sortir du film, telles que l'entrecoupement de scènes issues du passé avec des segments se déroulant au présent, ou encore les textes apparaissant à l'écran à différents moment du film. Ainsi, si, esthétiquement, TSN, comme chacun des films de son auteur, est irréprochable, je dirai néanmoins que la mise en scène de Boyle dans Steve Jobs demeure plus riche.
Cinématographie de Steve JobsQu'il soit question de The Social Network ou de Steve Jobs, chacun des deux films est une leçon de narration et de dialogisme. L'intérêt des deux œuvres demeure principalement dans le fait qu'elles soient toutes deux très représentatives du style de leurs auteurs. Ainsi, si de prime abord on pourrait s'attendre à découvrir deux films semblables traitant du même sujet, on se retrouve finalement avec deux œuvres très différentes présentant deux appréciations et deux façons différentes de traiter d'un même thème. Enfin, si le sujet semble davantage creusé dans The Social Network, le traitement de Jobs, en comparaison avec Zuckerberg, apparaissant assez édulcoré (essentiellement de par la conclusion), les deux films présentent des qualités leurs étant propres et délivrent une expérience originale dans les deux cas, marquée par le style de leur auteur respectif.
Procès de Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg)
Note (The Social Network)
9/10
Note (Steve Jobs)
8,5/10
Deux récits autant exemplaires qu'originaux dans leur construction, aux dialogues poncés, chaque réplique sonnant juste et en développant un peu plus la thématique, The Social Network et Steve Jobs sont deux des films les plus importants de ces dernière années reflétant pour chacun le style et la personnalité de leurs auteurs.