De quoi ça parle?
D’une famille plutôt hors-normes, et du plan élaboré par une jeune femme pour reprendre sa vie en main.
Le début du film repose sur un magma d’images assez chaotique. On y voit un feu de circulation en flammes, un ballet de danse contemporaine, et des scènes destinées à nous présenter Ema (Mariana Di Girolamo), l’héroïne du film : une dispute avec une assistante sociale, une discussion animée avec son conjoint (Gal Garcia Bernal) ou encore une visite à l’hôpital, au chevet de sa soeur, gravement brûlée au visage. On comprend qu’Ema est danseuse et professeure d’expression corporelle, qu’elle a été séduite par un chorégraphe plus âgé qu’elle, l’a épousé. Ensemble, ils ont adopté Polo, un enfant à problèmes, mais l’ont rapporté aux services sociaux au bout d’un an, faute de savoir comment s’en occuper correctement. Et désormais, Ema remue ciel et terre pour le récupérer et essayer de se construire une nouvelle vie, en suivant ses propres désirs, ses propres instincts.
Pourquoi on aime Ema?
Parce que le film dialogue directement avec son précédent film, Jackie. A priori, il n’y a rien de commun entre Ema, jeune femme rebelle issue des quartiers populaires de Valparaiso, adepte de danse moderne et de reggaeton, et Jackie Kennedy, l’ancienne First Lady des Etats-Unis, très raide et très digne. Et pourtant, les deux femmes ont bien des points communs. Elles essaient de s’affranchir des protocoles et des conventions, mais aussi de sortir de l’ombre imposante de leur conjoints, le Président des Etats-Unis pour l’une, le metteur en scène pour l’autre. Leur but est de reprendre le contrôle, d’imposer leurs propres choix, guidés essentiellement par le bien-être de leurs enfants.
Mais évidemment, la forme des deux oeuvres est radicalement opposée. Jackie était un film assez austère et funèbre, enfermant le personnage dans un décor quasi unique et des plans figés. Ema est un film qui semble constamment en mouvement, plein de bruit et de fureur, pour mieux caractériser l’énergie bouillonnante du personnage, son feu intérieur. A mesure que le récit avance et que les motivations du personnage sont dévoilées, la mise en scène s’assagit, le rythme ralentit et les plans se font plus fixes, pour montrer que la jeune héroïne trouve finalement l’équilibre qu’elle cherchait.
On pourrait même dire que la mise en scène se “normalise” si l’idée du cinéaste n’était pas de bousculer, justement, cette idée de “norme”. Tout est en effet atypique dans ce drôle de film. L’héroïne n’est pas particulièrement attachante et le cinéaste ne fait rien pour la rendre sympathique. Il la filme telle qu’elle est : une jeune adulte à la croisée des chemins, pleine de rage et d’énergie punk, mais possédant encore un fond de candeur enfantine. Sauvage. Libre. Son conjoint est un artiste un peu tapé, capable de diriger les chorégraphies les plus complexes, mais n’arrivant pas à gérer sa vie correctement. Et leur fils adoptif n’est pas bien équilibré lui-même puisque, malgré son jeune âge, il a des tendances pyromanes… Même le couple-modèle sensé servir de contrepoint à cette famille-là est dysfonctionnel, car rongé par les frustrations et les désirs secrets. Cela n’a rien de vraiment surprenant au regard de la filmographie de Pablo Larrain. Ema, Gaston, Polo et les autres viennent grossir les rangs d’un univers cinématographique rempli de personnages fantasques tels que Raùl, le sosie de Tony Manero, une version poétique de Pablo Neruda ou encore le groupe de prêtres retraités de El Club. Autant de représentants d’un pays protéiforme, marqué par les années de dictature et de déchirements politiques, et peinant à trouver sa place entre modernité et traditions, âme latine et culture nord-américaine.
Bien sûr, ce film atypique ne plaira pas à tout le monde. Il est indéniable que Ema ne possède ni l’intensité de Santiago 73, post mortem, ni la virtuosité de Tony Manero, ni l’élégance de Jackie. Le chaos audiovisuel qui le caractérise rebutera même de nombreux spectateurs. Et la vision singulière du cinéaste sur la famille recomposée moderne ne suscitera sans doute pas un engouement massif. Pour autant, c’est une oeuvre cohérente, tant au niveau de ses choix artistiques radicaux que de ses nombreux liens avec le reste de la filmographie du cinéaste chilien. Au moins, personne ne pourra reprocher au cinéaste de toujours réaliser le même film. Chacune de ses oeuvres est différente. Chaque fois, il se remet en question, prend des risques, expérimente. Mais il le fait toujours avec la même énergie, la même rigueur artistique.
Angles de vue différents :
“The film, you see, has no story at all. It’s more like a randomized series of events, and what plays out during some of them is enigmatic enough to exist in a realm between reality and metaphor.”
(Owen Gleiberman, Variety)
« Ema » di Larrain è un ‘trucco’ riuscito più che un bel film”
(Serena Nannelli , Il Giornale)
“Je ne sais pas si j’ai aimé ou non”
(un collègue dérouté en sortie de projection)
Prix potentiels ? :
Un Lion du Futur pour la jeune Mariana Di Girolamo ne serait pas immérité tant l’actrice porte le film sur ses épaules.
Un prix de la mise en scène pour Larrain, qui réussit in fine à sculpter le chaos pour en faire un récit cohérent.
Le film postule aussi au Queer Lion, grâce à ses nombreuses scènes saphiques.
Crédits photos :
Copyright Pablo Larrain
Copyright Juan Pablo Montalva
Images fournies par la Biennale di Venezia