Bombe comique atomique
Stanley Kubrick se la joue comique pour son 7èmefilm ; d’un bouquin sérieux, il livre un script à l’humour plus que caustique et dénonce par la farce la folie guerrière des hommes. Ici pas de gentils, ni de méchants : que des abrutis. Soviétiques et américains dans le même panier quand il s’agit de montrer les gros bras, quitte à envoyer tout le monde dans le mur. Une belle parodie de l’escalade à l’armement, à la dissuasion…Et derrière la comédie et la dénonciation de la guerre dont Kubrick s’est souvent fait le porte-parole, il y a aussi des piques cinglantes sur la patrie de l’Oncle Sam dont ce scientifique nazi embauché par les ricains. Aucun scrupule à l’image de nazis embauchés par la Nasa pour envoyer le premier homme sur le LuneEt maintenant une critique : « Au moment où les relations États-Unis/ U.R.S.S. se calment un peu, Kubrick lance un gros pavé dans la mare avec la farce acide la plus grinçante de l'histoire du cinéma.
Confortablement blotti dans le rôle de spectateur du XXIème siècle, difficile de mesurer l'ampleur de la provocation qu'était Dr Folamour, comédie acerbe sur le nucléaire. Film dont la sortie fut repoussée pour cause d'assassinat du président Kennedy, ce Folamour porte en lui la trace du souffre et du rire grinçant. En 1964, date de sortie du film, la crise de Cuba marque encore tous les esprits et la seule révolution pour communiquer s'appelle le téléphone rouge. Ironiquement, Kubrick l'utilise pour que le président américain explique à son homologue russe ivre mort la gravité de la situation. Alors que les relations bipolaires tendent à se détendre dans le monde réel, le pavé dans la mare de Stanley choque autant qu'il amuse. Film sur le complot politique, l'asservissement de l'Homme selon la hiérarchie et l'apocalypse nucléaire, Dr Folamour détonne rien que par son titre intégral (« ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe »).
Les éclats de rires provoqués par le triple jeu du grand Peter Sellers illustrent trois facettes. D'abord, il y a le fameux Dr Folamour, ancien dignitaire Nazi, hilarant surtout dans la scène finale à base de complot pour repeupler la terre. Kubrick égratigne évidemment la tolérance des États-Unis à l'égard de scientifiques ayant servis le régime d'Hitler, souvent impliqués idéologiquement mais qui -pour des raisons « scientifiques »- bénéficient d'un accueil privilégié. Sellers incarne aussi un président des USA débordé et soumis au diktat militaire. Troisième rôle et troisième nationalité : le colonel britannique, confronté au général fou ayant enclenché l'attaque nucléaire. Kubrick le filme comme un homme plus loyal mais impuissant. Sa négociation le place de fait en position de faiblesse face à la folie totale du général. Sellers a beau se tenir debout, les contre-plongées sur le général fumeur de cigare le rendent d'autant plus menaçant.
Dr Folamour travaille évidemment l'espace afin de confiner cette histoire aussi dingue que cruellement crédible par un jeu architectural dément. La fameuse salle de conseil de guerre, froide comme la mort, accentue l'écho des voix. Une sonorité ironique tant le film travaille l'incapacité à se comprendre, à s'entendre et à éviter le pire d'arriver. Buck (immense George C. Scott, presque plus impressionnant que Sellers) mâchouille à n'en plus finir ses chewing-gum. Il balbutie son autorité. A défaut de se cacher derrière sa barbe, il se masque par la nonchalance patriotique et détestable du personnage. L'occasion d'en mettre plein la tronche au milieu de l'armement (« vous n'allez pas condamner tout un programme sur UNE erreur ! » lance crétinement Buck) et la subordination. Une thématique en complément des Sentiers de la gloire.
Reste le cœur du problème : l'avion en mission. Là encore le confinement des lieux resserre l'intrigue sur des soldats persuadés d'agir pour le bien, se rêvant déjà couverts d'honneurs. Leur sacrifice va jusqu'à ce rodéo dément sur une ogive en train de tomber. Kubrick y utilise en fil rouge une marche militaire When Johnny Comes Marching Home Again, morceau issu de la Guerre de Sécession. Déjà utilisée dans le dictateur de Chaplin, cette musique faussement belliqueuse serait en fait un ode à la fin des hostilités. L'isolement total subit par ces soldats bien intentionnés traduit aussi un goût des destins tragiques pour l'Homme, simple rouage dépourvu de porte de sortie. L'équipage ne fait que répondre à un ordre crypté. Leur amusement devant le kit de survie (« on pourrait passer un bon week-end à Vegas avec ça » déconne l'un d'eux) les montre comme étant les plus humains de tous les protagonistes de cette histoire. Même la secrétaire ou le soldat qui fait prisonnier le colonel britannique sortent moins des clous que cette bande de guerriers enfermés dans un microcosme à devenir fou. S'il n'y avait pas ces innombrables plans de vols, on les croirait cloitrés dans un sous-marin. Manière bien claire de montrer à quel point l'humain se coupe de tout. Les explosions nucléaires de fin ne montrent jamais la catastrophe, les pleurs, les morts ou une quelconque image anxiogène. C'est par la petite musique We'll meet again ( relevez encore la terrifiante ironie de Kubrick) que la force d'épouvante se met en valeur. »
Sorti en 1964
Ma note: 18/20
Stanley Kubrick se la joue comique pour son 7èmefilm ; d’un bouquin sérieux, il livre un script à l’humour plus que caustique et dénonce par la farce la folie guerrière des hommes. Ici pas de gentils, ni de méchants : que des abrutis. Soviétiques et américains dans le même panier quand il s’agit de montrer les gros bras, quitte à envoyer tout le monde dans le mur. Une belle parodie de l’escalade à l’armement, à la dissuasion…Et derrière la comédie et la dénonciation de la guerre dont Kubrick s’est souvent fait le porte-parole, il y a aussi des piques cinglantes sur la patrie de l’Oncle Sam dont ce scientifique nazi embauché par les ricains. Aucun scrupule à l’image de nazis embauchés par la Nasa pour envoyer le premier homme sur le LuneEt maintenant une critique : « Au moment où les relations États-Unis/ U.R.S.S. se calment un peu, Kubrick lance un gros pavé dans la mare avec la farce acide la plus grinçante de l'histoire du cinéma.
Confortablement blotti dans le rôle de spectateur du XXIème siècle, difficile de mesurer l'ampleur de la provocation qu'était Dr Folamour, comédie acerbe sur le nucléaire. Film dont la sortie fut repoussée pour cause d'assassinat du président Kennedy, ce Folamour porte en lui la trace du souffre et du rire grinçant. En 1964, date de sortie du film, la crise de Cuba marque encore tous les esprits et la seule révolution pour communiquer s'appelle le téléphone rouge. Ironiquement, Kubrick l'utilise pour que le président américain explique à son homologue russe ivre mort la gravité de la situation. Alors que les relations bipolaires tendent à se détendre dans le monde réel, le pavé dans la mare de Stanley choque autant qu'il amuse. Film sur le complot politique, l'asservissement de l'Homme selon la hiérarchie et l'apocalypse nucléaire, Dr Folamour détonne rien que par son titre intégral (« ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe »).
Les éclats de rires provoqués par le triple jeu du grand Peter Sellers illustrent trois facettes. D'abord, il y a le fameux Dr Folamour, ancien dignitaire Nazi, hilarant surtout dans la scène finale à base de complot pour repeupler la terre. Kubrick égratigne évidemment la tolérance des États-Unis à l'égard de scientifiques ayant servis le régime d'Hitler, souvent impliqués idéologiquement mais qui -pour des raisons « scientifiques »- bénéficient d'un accueil privilégié. Sellers incarne aussi un président des USA débordé et soumis au diktat militaire. Troisième rôle et troisième nationalité : le colonel britannique, confronté au général fou ayant enclenché l'attaque nucléaire. Kubrick le filme comme un homme plus loyal mais impuissant. Sa négociation le place de fait en position de faiblesse face à la folie totale du général. Sellers a beau se tenir debout, les contre-plongées sur le général fumeur de cigare le rendent d'autant plus menaçant.
Dr Folamour travaille évidemment l'espace afin de confiner cette histoire aussi dingue que cruellement crédible par un jeu architectural dément. La fameuse salle de conseil de guerre, froide comme la mort, accentue l'écho des voix. Une sonorité ironique tant le film travaille l'incapacité à se comprendre, à s'entendre et à éviter le pire d'arriver. Buck (immense George C. Scott, presque plus impressionnant que Sellers) mâchouille à n'en plus finir ses chewing-gum. Il balbutie son autorité. A défaut de se cacher derrière sa barbe, il se masque par la nonchalance patriotique et détestable du personnage. L'occasion d'en mettre plein la tronche au milieu de l'armement (« vous n'allez pas condamner tout un programme sur UNE erreur ! » lance crétinement Buck) et la subordination. Une thématique en complément des Sentiers de la gloire.
Reste le cœur du problème : l'avion en mission. Là encore le confinement des lieux resserre l'intrigue sur des soldats persuadés d'agir pour le bien, se rêvant déjà couverts d'honneurs. Leur sacrifice va jusqu'à ce rodéo dément sur une ogive en train de tomber. Kubrick y utilise en fil rouge une marche militaire When Johnny Comes Marching Home Again, morceau issu de la Guerre de Sécession. Déjà utilisée dans le dictateur de Chaplin, cette musique faussement belliqueuse serait en fait un ode à la fin des hostilités. L'isolement total subit par ces soldats bien intentionnés traduit aussi un goût des destins tragiques pour l'Homme, simple rouage dépourvu de porte de sortie. L'équipage ne fait que répondre à un ordre crypté. Leur amusement devant le kit de survie (« on pourrait passer un bon week-end à Vegas avec ça » déconne l'un d'eux) les montre comme étant les plus humains de tous les protagonistes de cette histoire. Même la secrétaire ou le soldat qui fait prisonnier le colonel britannique sortent moins des clous que cette bande de guerriers enfermés dans un microcosme à devenir fou. S'il n'y avait pas ces innombrables plans de vols, on les croirait cloitrés dans un sous-marin. Manière bien claire de montrer à quel point l'humain se coupe de tout. Les explosions nucléaires de fin ne montrent jamais la catastrophe, les pleurs, les morts ou une quelconque image anxiogène. C'est par la petite musique We'll meet again ( relevez encore la terrifiante ironie de Kubrick) que la force d'épouvante se met en valeur. »
Sorti en 1964
Ma note: 18/20