De quoi ça parle?
Du périple initiatique d’un petit garçon (Petr Kotlar) dans les pays d’Europe de l’Est, en plein pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Pour qu’il échappe à la barbarie nazie, ses parents l’ont confié à une vieille paysanne, dans un petit village – quelque part en Europe de l’Est (1). Dès la première scène, on devine que ce n’est pas franchement l’idée du siècle. Le gamin est traqué par une bande de jeunes péquenauds qui finissent par le rattraper, le rouer de coups et de fêter leur victoire en brûlant vif un animal. Charmants… Mais cet acte abominable n’est rien à côté du long catalogue d’atrocités dont le gamin va être le témoin, sinon la victime, au cours de son périple pour rentrer vers un “chez lui” improbable. Au menu de la carte des sévices : coups (de pieds, de poings, de cravache…), énucléation, décapitation, insertion d’objets dans des endroits sensibles du corps humain, massacre au pistolet ou fusil-mitrailleur, grillade au lance-flammes, pendaison, noyade dans une fosse à purin,… Celle des perversions est tout aussi fournie : nymphomanie, inceste, zoophilie, pédophilie… Tout un programme, déconseillé aux âmes sensibles.
Pourquoi le film est mi-chèvre mi-chou?
Adaptation d’un roman de Jerzy Kosiński (2), The Painted bird entend réaliser une sorte de cartographie du Mal, recensant toutes les folies dont l’être humain est capable. Bien sûr, au vu du contexte historique, il est question de la barbarie nazie, de la Shoah et des purges à venir dans la Russie stalinienne, mais ces évènements ne constituent que de toutes petites parties de cette fable terrifiante. Le cinéaste ne cherche pas les distinguer du reste du récit. Au contraire, il cherche même à les minimiser, les banaliser. Il entend montrer que cette violence, cette barbarie est inscrite dans la nature humaine. La guerre, les massacres, ne sont que le prolongement logique des pulsions primaires des individus et de la peur de l’Autre, la peur de la différence. Les soldats que croise le petit garçon ne sont pas plus sauvages que les civils. Au contraire, ils font partie de ceux qui lui apportent le plus de compassion et de réconfort. Tous les pauvres hères qu’il rencontre dans les villages perdus, en revanche, se montrent au mieux méfiant, sinon hostiles. Certains prennent le personnage principal pour un tzigane, d’autres pour un Juif. Avec ses yeux noir et ses dents de lait en moins, d’aucuns voient en lui un démon, un vampire, en tout cas un porteur de mauvais oeil. Partout, on finit par le rejeter ou à fondre sur lui comme sur une proie. Il est semblable à cet étourneau qu’un vieil oiselier recouvre de peinture avant de le relâcher dans sa nuée. Immédiatement, sa différence suscite le rejet brutal, l’agitation et la violence.
Alors, le petit garçon doit s’adapter pour survivre, perdre son innocence et devenir à son tour plus dur, plus froid et plus impitoyable, potentiellement prêt à relancer un cycle de violence et de folie.
Ce côté initiatique est ce qui fait à la fois la force et la limite de l’oeuvre. On ne peut qu’être terrifiés par la descente aux enfers de ce petit garçon dont l’innocence est peu à peu balayée par les confrontations avec le Mal, sous toutes ses formes. Mais l’accumulation d’actes plus écoeurants et barbares les uns que les autres, en décalage avec la beauté glacées des images en noir & blanc de Vladimir Smutny, finit par donner l’impression d’un étalage gratuit et complaisant de violence et de folie. D’autant qu’à mi-parcours, après avoir montré bon nombre d’actes violents en plein cadre, le cinéaste aborde déjà la question des camps de concentration et de l’extermination massive d’êtres humains. A partir de là, difficile d’aller plus loin dans l’horreur. L’intensité du récit ne peut que s’essouffler. Effectivement, les péripéties qui suivent semblent un peu artificielles, caricaturales et inutilement provocantes, à commencer par l’improbable chapitre faisant intervenir une jeune femme à moitié-folle, son père agonisant et un bouc bien membré. Tous ces chapitres respectent très probablement à la lettre à la trame du roman, mais ce qui fonctionne en littérature nécessite souvent quelques ajustements pour que cela fonctionne aussi à l’écran. Parfois, il est préférable de trahir le texte d’origine pour mieux en retrouver le sens, l’esprit.
Ici, l’accumulation et le côté outrancier de certains chapitres finit par banaliser l’horreur et l’affadir, si bien qu’on finit presque par décrocher du film. Le dénouement, qui devrait nous terrifier ou nous bouleverser, nous laisse finalement assez indifférents.
Au vu des thématiques proposées, on avait forcément en tête le sublime Requiem pour un massacre d’Elem Klimov, mais malheureusement, The Painted bird ne parvient pas tout à fait s’élever au niveau de ce-dernier, nous laissant un peu sur notre faim.
Il n’en demeure pas moins une oeuvre-forte, qui possède l’âpreté et la sauvagerie de certains films de Michael Haneke ou de Lars Von Trier.
(1) : Le cinéaste a choisi de ne pas citer les pays traversés par le personnage principal. On est clairement dans des pays d’Europe de l’Est, puisque tous les personnages parlent la langue interslavique. Mais il est probable que les pays traversés soient la Hongrie, la Tchéquie, la Roumanie, la Pologne, l’Ukraine et la Russie.
(2): “L’oiseau bariolé” de Jerzy Kosiński – éditions J’ai lu
Angles de vue différents :
”Václav Marhoul réussit à la fois une œuvre poignante et esthétiquement somptueuse.”
(Olivier Bachelard, Abus de ciné)
”A film that is disturbing for all the wrong reasons”
(Lee Marshall, Screen)
”Certaines scènes, visuellement inouïes, s’impriment de façon indélébile dans la mémoire.“
(Hugues Dayez, RTBF)
Prix potentiels ? :
Le film divise, mais son côté radical en fait l’un des principaux postulants à la chasse au Lion d’Or. Il pourrait autrement glaner n’importe lequel des prix principaux, sauf le prix d’interprétation féminine, les femmes étant quelque peu reléguées au second plan de cette intrigue.
Crédits photos :
Copyright Vaclav Marhoul/Celluloïd Dreams
Images fournies par La Biennale di Venezia