Quatrième film après "Naissance des Pieuvres" (2007), (2011) et "Bande de Filles" (2014) de la réalisatrice-scénariste Céline Sciamma, avec à la clef le Prix du Scénario au dernier Festival de Cannes. La cinéaste continue son exploration des âmes féminines avec cette fois deux paramètres nouveaux pour elle, plus question d'adolescence ici et surtout sa première incursion dans le film historique en costume. Céline Sciamma a voulu s'intéresser aux femmes peintres de la fin du 18ème siècle : "Je connaissais les vedettes qui attestaient de leur existence : Elizabeth Vigée Le Brun, Artemisia Gentileschi, Angelica Kauffmann. La difficulté à collecter des informations et des archives n'a pas réussi à faire longtemps écran à l'existence d'une véritable ébullition artistique féminine dansla seconde moitié du XVIIIe siècle. Les peintres étaient nombreuses et faisaient carrière à la faveur notamment de la mode du portrait."...
En 1770, Marianne, peintre, doit réaliser un portrait de Héloïse en vue de son prochain mariage maintenant qu'elle est sortie du couvent. Mais cette dernière refuse qu'on la peigne pour résister à son mariage arrangé... Le casting est essentiellement féminin dans un univers qu'il l'est par la force des choses. La peintre Marianne est incarnée par la sublime Noémie Merlant épatante dans un autre film en costume, (2019) de Lou Jeunet. Héloïse est incarnée par Adèle Haenel vue récemment dans (2019) de Quentin Dupieux et qui retrouve Céline Sciamma qui l'a révélé dans "Naissance des Pieuvres". La comtesse, mère de Héloïse, est interprétée par Valeria Golino vue elle aussi récemment en costume d'époque dans "Dernier Amour" (2019) de Benoit Jacquot. On peut aussi citer la toute jeune Luana Bajrami qui confirme que 2019 est son année après "L'Heure de la Sortie" (2019) de Sebastien Marnier et "Fête de Famille" (2019) de Cédric Kahn... Au début la cinéaste avait pensé à choisir comme héroïne une peintre ayant vraiment existé avant de se raviser : "Cela me semblait juste, par rapport aux carrières de ces femmes qui n'ont connu que du présent : en inventer une c'était penser à toutes."... Premier constat, on ressent à chaque instant le travail sur la photographie, mais aussi et surtout l'envie de la cinéaste d'être en accord avec son sujet à savoir la peinture au féminin. Outre l'absence quasi parfaite d'homme dans le film, on est plongé dans un quasi huis clos où seules se trouvent quatre femmes. Car plus qu'un portrait d'une jeune fille en feu, ce film est un ensemble de quatre portraits de femmes à une époque où les femmes étaient loin d'avoir la place qu'elles méritaient. Evidemment la relation particulière entre Marianne et Héloïse les place dans une position privilégiée au sein du récit mais la servante et la mère, bien que moins présentes, n'en demeurent pas moins très intéressantes et ont toute leur place dans l'évocation des femmes au 18ème siècle.
Mais pour en revenir à la photographie et le choix de mise en scène, Céline Sciamma a eu la bonne idée de construire ses plans comme des tableaux, vivants cela va de soit, mais les poses et la lumière font que le récit forme une succession de séquences digne des tableaux naturalistes de l'époque. C'est subtil dans les détails, c'est beau dans la reconstitution et c'est cohérent dans le style. La grand talent de la réalisatrice est de n'avoir pas omis les autres personnages principaux, à savoir les sublimes paysages de la Bretagne (tournage essentiellement vers Qiuberon) et un soin pas si anodin sur la musique (on reconnaîtra "Les 4 Saisons" de Vivaldi). Le rythme est très lancinant, la cinéaste prend son temps pour placer ses personnages, pour s'attarder sur les visages et les émotions, pour admirer les beautés sous tes ses formes, pour montrer aussi les étapes du travail même si sur ce point on aurait aimer sans doute moins de détails qui meublent et plus de véracité dans les gestes artistiques (trop de coups de pinceau futiles, trop d'ellipses dans l'art). Le film est empreint de mélancolie, voir de pessimisme, qui renvoie irrémédiablement à la tristesse de savoir que la plupart des peintres femmes sont tombées dans l'anonymat, oubliée de la postérité. Sur ce point essentiel Céline Sciamma ajoute un atout non négligeable pour offrir un joli tableau de 02h riche de lectures à plusieurs niveaux. A voir et à conseiller.
Note :