[PAILLETTES, PANIQUE & CINÉ] #1. : Regards croisés sur le deuil dans The Haunting of Hill House et Midsommar

Par Fuckcinephiles

Paillettes, Panique et Ciné #1 : Regards croisés sur le deuil dans The Haunting of Hill House et Midsommar
Dans cette section qui suit, vous l’aurez deviné, « Guinness, Cork et Ciné » je suis de retour en France et reviens sur des moments de films m’ayant marquée au fer rouge brillant. Regard critique, analyses de film de genre et digression métaphysique, cette nouvelle section se veut éclectique. Bonne lecture !

[HEAVY SPOILERS AHEAD pour les deux œuvres du titres. Vous voilà prévenus.]
Aller voir des œuvres incluant des morts frontales en période de deuil n’est peut-être pas la meilleure idée du monde. Surtout lorsque lesdites œuvres montrent aussi des personnes en deuil, et dans le genre « horreur » en général la perte des êtres chers n’est pas bien gérée du tout.
Pourtant, à la lumière de ces sentiments, deux œuvres –de manière presque contradictoire- abordent le deuil d’une manière particulière, pouvant avoir un effet cathartique et ainsi presqu’aider pendant cette période. C’est en tout cas ce que, personnellement (et je suis consciente que ce qui va suivre est purement subjectif et peut ne pas s’appliquer à tout le monde), j’ai ressenti en les visionnant.
Une série donc, The Haunting of Hill House, sortie en octobre 2018 sur Netflix, et Midsommar, un film sorti cet été 2019, ont choisi de mettre la problématique du deuil au cœur du récit. Deux succès critiques et publics, qui allient terreur et scènes gores mais aussi profondeur des personnages et réflexions poussées sur la famille, l’amour et la mort. Ce sont également des prouesses techniques (l’épisode en plan-séquence dans la série, les décors et la lumière incroyables de Norvège dans le film). Si elles s’adressent toutes deux, surtout Midsommar, à des publics avertis, les thèmes abordés sont universels.

Copyright Steve Dietl/Netflix

The Haunting of Hill House, paraissant au premier abord une série d’horreur fantastique aux moments de purs jumpscares (très bien faits d’ailleurs), est en fait selon le réalisateur plus que cela : c’est véritablement une analyse du deuil en plusieurs épisodes. Chacun des enfants de la famille représente une des fameuses étapes du deuil : Steve le déni, Shirley la colère, Theodora (Theo) la négociation, Luke la dépression et la douleur et Eleanor (Nell) l'acceptation. L'analogie n'est de prime abord pas évidente, mais en examinant comment chaque enfant accepte différemment la mort de leur mère, et en discute les causes, elle apparaît plus juste. Steve nie absolument toute implication paranormale dans la mort de sa mère, en étant convaincu que c'est à cause de sa maladie mentale entièrement qu'elle est morte. Shirley est toujours en colère vis à vis de la mort de sa mère et la façon dont la famille a réagi ensuite; elle a des reproches profonds envers tous ses frères et sœurs pour des raisons différentes, et envers son père pour son absence. Theodora cherche toujours à négocier et à contrôler sa vie, et son histoire familiale; son choix de profession, psychologue pour les enfants, montre qu'elle cherche toujours à comprendre le drame de son enfance. Luke souffre d'une addiction à l’héroïne et de dépression, comme sa jumelle Nell avec qui il partage son état psychique. Son état est toujours sur le fil lors de la série, et il ne s'est jamais remis de la mort de son amie d'enfance et de sa mère. Enfin, Nell représente l'acceptation de la mort, à un stage extrême, puisqu'elle rejoint sa mère dès le premier épisode de la série.
La série a donc une portée symbolique forte, puisque tous les personnages doivent s'émanciper des conflits inhérents à ces étapes du deuil pour survivre en tant que famille. Elle va devoir traverser un terrifiant parcours de deuil, violent et dangereux, les déchirant et les tuant presque, pour y arriver. Les deux morts survenues sont présumées être des suicides, et l’incertitude et l’incompréhension de ces morts en font des événements encore plus horribles à gérer pour les personnages. La quête du pardon et de la compassion est au cœur des péripéties des personnages. Cette fratrie hétéroclite doit se souder pendant les retrouvailles à l’enterrement puis au retour dans la maison de la mort pour y parvenir.

Copyright Jackson Lee Davis/Netflix


L’un des passages les plus marquants et donnant une gifle d’émotion brute est la scène où Theodora se rend auprès du corps de sa sœur Nell décédée et qu’elle la touche. Theodora possède en effet un « don » : elle ressent les émotions des autres en les touchant et est également capable de retracer l’histoire émotionnelle d’objets de la même manière. Lorsqu’elle touche le cadavre de sa sœur, elle se met à hurler et à pleurer. Le vide de la pièce, l’inertie de tout, et ce visage complètement détruit du personnage m’ont remuée et m’ont immédiatement arraché des larmes. Mon cœur s’est serré comme si moi aussi je ressentais la détresse de Theodora. Nous n’apprendrons que plus tard que Theodora n’a rien senti, et que c’est ce vide terrible qui l’a mise dans cet état. Cela l’a même poussée à rechercher un contact physique avec quelqu’un de vivant, peut en importe le prix. Finalement la série montre le vide laissé par les êtres aimés, l’incroyable force de l’empathie et rappelle l’importance du toucher et donc de la proximité avec les personnes encore vivantes.
L’importance du contact et du lien avec les autres est également au cœur de Midsommar. Le personnage principal, Dani, subit dès le début du film une terrible tragédie familiale, où comme dans la série, le suicide d’une sœur est présumé. La scène où elle hurle sa douleur dans le canapé dans les bras de son petit ami déboussolé est aussi forte et brutale que celle de Theodora dans la série. On ressent sa détresse complète devant l’horreur de la situation et dans le vide de solitude où elle est laissée, dans un décor froid et austère, dépourvu de tout réconfort. Chris, son petit copain, ne se montre pas capable de combler ce vide ou d’être même un petit ami convenable au cours du récit.
Dans le film, Dani a au début beaucoup de mal à même entendre la mention de sa famille décédée, comme l’illustre son dialogue avec Pelle chez son copain. Elle en reste à l’étape du déni. Par la suite, elle cherche à surmonter son deuil en partant dans un endroit en complète rupture avec ses habitudes, où rien ne devrait en théorie lui rappeler les événements de sa ville américaine. Mais dès qu’elle fait usage de drogues, l’image de sa sœur –d’ailleurs omniprésente dans le film- lui revient et la replonge dans la détresse. 

Copyright Courtesy of A24


Le deuil est le véritable moteur du film, puisque c’est au travers de celui-ci que Dani effectue son parcours complètement halluciné au sein des Harga, la communauté/secte dans laquelle Pelle l’a entraînée elle et le groupe d’amis de son petit copain. Elle est une fois de plus confrontée à des morts violentes –des sénicides, ou attestupa en norvégien- dans un sentiment d’impuissance complète. La scène est la plus brutale du film et n’épargne aucun détail au spectateur comme à Dani, obligée de regarder la mort en face littéralement. Elle est visiblement choquée de cet événement et a besoin de temps pour reprendre ses esprits ; cependant son groupe n’ayant pas de volonté de partir, elle est obligée de continuer à vivre parmi la secte.
Mais cette obligation l’emmène dans un parcours de deuil autrement plus salutaire que sa relation de plus en plus toxique avec Chris ; elle s’intègre au groupe de femmes qui cuisinent, puis au groupe de celles en compétition en tant que reine de Mai. Au terme d’heures éreintantes de danse en transe, elle vit quelque chose qui s’apparente à une catharsis physique. Elle est couronnée et fait également partie de la communauté à part entière désormais. Dani est ensuite témoin de l’infidélité de Chris et une fois de plus semble abandonnée ; mais la scène où elle crie dans le dortoir avec les autres femmes qui la soutiennent, en empathie complète, la réconforte véritablement. La nouvelle reine de Mai en ressort plus forte et revigorée, prête à faire le choix ultime de la rupture de sa relation toxique, et donc du meurtre de Chris. Elle a trouvé dans la secte un sentiment d’appartenance inédit et qu’il lui était impossible de retrouver depuis la perte de sa famille biologique, ou dans sa relation avec Chris et son groupe de potes.
La fin du parcours de deuil de Dani s’achève donc par l’acceptation dans une communauté, qui malgré sa violence, est soudée et pourra lui apporter le soutien nécessaire. Elle renaît des cendres –encore une fois littéralement- de sa rupture. Elle fait face à la tragédie au lieu de fuir tout souvenir de celle-ci, et en provoque une autre directement. Tout cela est certes un peu extrême, mais trouve au sens métaphorique une application dans le processus de deuil dans la vraie vie.

Copyright Gabor Kotschy, Courtesy of A24


Le parallèle avec The Haunting of Hill House est presque évident, puisque la résolution de la série est également la paix et l'amour retrouvés dans la force du groupe. Le message de ces deux oeuvres, en empruntant un parcours tortueux et terrifiant, est la force du groupe et de l'indispensable famille pour surmonter les épreuves. Le deuil y est magnifié comme départ d'un véritable parcours du combattant pour les personnages, qui sauront à la fin retrouver un sentiment d'appartenance. Le choix du genre horrifique est parfait pour illustrer ce message.
Ces deux oeuvres ont donc pris un même sujet de départ -le deuil- pour en proposer des lectures complètement différentes, sombre et dramatique dans The Haunting of Hill House, faussement idyllique dans Midsommar, aux thèmes universels et forts.
J'espère donc que cette clé de lecture, parmi tant d'autres tellement ces oeuvres sont riches, vous aura intéressés. A bientôt pour plus de Paillettes, Panique et Ciné!
Léa