Écrire le documentaire

Écrire un scénario (de fiction ou non), ce n’est pas comme écrire un roman ou une nouvelle. Il y a des considérations auxquelles l’auteur d’un scénario se soumet.

Un scénario est un outil destiné à un médium visuel

Les mots que l’auteur d’un scénario pose sur le papier ne sont pas destinés à être donnés tels quels à un lecteur. Leur destinée est d’être vu et entendu comme des images bruyantes. L’auteur d’un scénario doit être capable d’écrire visuellement.

Vous devez expliquer une théorie ou un concept et si le lecteur ne peut voir cette théorie ou ce concept, votre effort est perdu.
Ce que vous écrivez devrait être visuel dans son essence même. Les mots appellent des images et vous devez faire en sorte que les mots deviennent des images.

Le mouvement

Écrire un scénario, c’est décrire des images en mouvement. Dans un documentaire (comme dans une fiction d’ailleurs), vous pouvez prévoir des images fixes (comme une photographie, par exemple).

Mais cette image figée dans le temps ou dans l’espace ou dans le seul imaginaire d’un personnage de fiction ou historique, appartient à un élan qui anime le scénario.

Ce qui explique la difficulté à pénétrer dans la tête des personnages (fictifs ou réels) lorsqu’on tente d’écrire un scénario, c’est que les histoires contées devront être traduites en images actives, en images en mouvement.

Une expérience vivifiante

Un roman peut nous faire voyager (dans un pays lointain autant que dans ce que la matière a de plus intime). Nos yeux visiteront des lieux inconnus (aussi bien réels qu’imaginaires).
Un auteur est doué pour faire vivre par personnage interposé des expériences qu’un lecteur ne connaîtra peut-être probablement jamais. Un documentaire décrit une réalité surprenante.

Écrire des images fait naître chez le lecteur/spectateur des émotions nouvelles ou ravivent en lui ou en elle des émotions et des passions perdues.
Ces expériences provoquées (qui sont des choses qui sont ainsi amenées ou ramenées à la vie) seront plus puissantes par l’image que par le mot seul (lorsqu’il est écrit pour l’image).

Une expérience transcendante

L’image en mouvement sort des dimensions dans lesquels nous sommes enfermés, pauvres humains désespérés d’élargir nos limites à défaut de les briser.
Écrire un documentaire ou écrire une fiction ne change rien à la belle affaire. L’auteur crée un être qui acquiert très vite son autonomie.

Un roman est enfant de l’auteur. Le scénario qu’il soit pour une série, un film ou un documentaire n’appartient plus à l’auteur dès que cette écriture entre dans le processus de sa réalisation en images.

La primauté de la subjectivité

Donner au lecteur/spectateur une direction à voir (et à entendre), c’est lui imposer un choix subjectif de l’auteur. Dans la réalité qui nous enveloppe, notre œil ne perçoit qu’un fragment.
Même si nos yeux (et notre esprit en l’espèce) étaient capables de tournoyer afin de se saisir de ce qui nous environne, ce ne serait pas encore toute la réalité (superficielle et profonde) que nous pourrions appréhender.

Plutôt l’expérience d’un tourbillon. Et si ce tourbillon par exemple était l’objet de notre intérêt, nous avons tôt fait d’éliminer tout ce qui vient polluer notre vision immédiate de la chose.
La théorie narrative Dramatica explique assez bien la différence entre les personnages objectifs d’une fiction et les personnages subjectifs. Ce qui passionne le lecteur, ce sont bien les personnages subjectifs. C’est ainsi que le documentaire présente au-delà du narrateur (qui serait alors objectif) un personnage principal qui vit et dans sa chair et dans son âme les événements décrits.

Écrire, c’est choisir son public

Certes, le genre parce qu’il énumère un certain nombres de choses en commun et parce qu’un certain type de lecteur aspire à retrouver ces choses détermine en quelque sorte à qui il s’adresse.
Écrire un documentaire permet de diminuer l’importance du genre dans la réception de l’œuvre. Le documentaire met en avant un sujet et un sujet est protéiforme.

L’auteur d’un documentaire énonce, explique, décrit son sujet comme s’il s’adressait à une audience universelle qu’il n’a pas segmentée en choisissant un genre pour conter son histoire.

La recherche du détail

En fiction, détailler les actions, c’est préciser certains aspects d’un lieu, d’une émotion, de circonstances particulières afin de leur donner une validité, de les rendre palpables au lecteur.
Dans un documentaire, la réalité, du moins ce qu’elle offre aux regards, est posée là toute entière, sans tricherie, ni mensonge.

Dans la vie réelle, les idées et les émotions, la vie intérieure de l’esprit avec sa raison et sa passion, tout cela agit dans des sphères bien déterminées. L’image convoque immédiatement l’émotion puis avec le temps, la réflexion pondère la passion.

Lorsqu’une histoire nous décrit la mort, nous pourrions être fascinés à son contact (de l’image d’abord puis de la mort qu’elle véhicule) puis ensuite seulement nous interroger si la vie a un sens en fin de compte, si la petitesse de notre existence compte vraiment.

Si nous croisons la mort au hasard d’une rencontre dans la vie réelle, l’expérience est toute différente. Notre réaction immédiate peut être un choc. Nous pourrions même éprouver de la révulsion.

Dans la vie réelle, l’expérience devient significative lorsque l’intuition cède la place à la réflexion. Ce que véhicule l’image (et en particulier, l’image en mouvement) communique immédiatement du sens. Et c’est cela la chose qui compte.

C’est cette recherche de sens par l’émotion qu’il faut atteindre dès l’écriture du scénario. Le scénario devient alors un instrument avec lequel vous pouvez créer de l’émotion et de l’illumination, de la révélation à volonté.

Le documentaire, parce qu’il offre tout de manière brute, sans filtre, ne peut répéter exactement la réalité telle qu’elle se montre.
Ce sera au moment d’écrire son documentaire que l’auteur (souvent le réalisateur d’ailleurs) prévoira les détails qui seront conservés et ceux qu’il devra éliminer (alors qu’en fiction, il les invente).

En fiction comme en non fiction, la recherche de l’émotion, de toute une palette d’émotions diverses et variées permet de communiquer du sens, de faire réfléchir son lecteur/spectateur et lui adresser parfois de puissants messages.

Ce qui différencie le documentaire de la fiction

Une considération spécifique à retenir avec le documentaire est qu’il s’occupe de faits. Il n’invente pas des événements. A contrario, il sonde ou s’aventure dans des événements réels, des problèmes réels, des conflits réels, de vrais gens avec de vraies émotions.

Tout ce qui est vu et entendu dans un documentaire se fonde sur une réalité donnée. Parfois, pour renforcer son discours, l’auteur pensera faire appel à des reconstitutions. Il réinventera une réalité historique mais son invention sera respectueuse du fait historique.

Les mots fixent les choses. Lorsqu’on écrit une fiction, cela peut être rassurant d’avoir une espèce de guide à la fois visuel et conceptuel. On sait où l’on va.

Écrire un documentaire, c’est beaucoup plus contingent. On ne sait pas comment les choses tourneront, si elles finiront par exister sur l’image alors qu’elles sont espérées sur le papier.
Peut-être que l’auteur d’un documentaire se sent plus libre que celui qui écrit de la fiction parce celui-là est totalement soumis à son imaginaire.

D’ailleurs, je me demande quel est celui qui offre le plus de défis pour un auteur : le monde réel ou imaginaire ? De toutes façons, dans les deux cas, le risque est réel et l’engagement gage de qualité et d’honnêteté.

Il ne faut pas croire que le documentaire n’a pas une finalité autre que celle de la fiction. Tous deux ont un message à communiquer. Un même message peut être dit soit sous sous la forme d’une fiction avec les outils conventionnels d’un genre spécifique ou d’une combinaison de genres.

Soit sous une forme documentaire. Le documentaire n’est pas plus un instrument de propagande que la fiction. Il ne réinvente pas une réalité pour satisfaire un désir d’images ou de voyeurisme sales.

Il sert à inspirer le changement chez son lecteur/spectateur (ne serait-ce qu’en lui apportant une connaissance). Et ce changement peut être autant social que personnel. Notre vie sociale comme notre vie intérieure peuvent être drastiquement changés autant par une bonne fiction qu’un bon documentaire car au cœur de ces deux moyens de communiquer la vie, on peut gratter la superficialité et découvrir ce qu’il se cache dessous.

Une liberté étrange

L’apparence ou les choses superficielles ne sont pas une mauvaise chose en soi. Il faut qu’on puisse se positionner dans ce monde sans vraiment se préoccuper d’inspirer de l’admiration ou du mépris.

La fiction tente de contrôler les choses en les réinventant, en innovant sur sa façon de présenter quelque chose qui a forcément déjà été traité.

Le documentaire exige moins de contrôle. Il est moins soumis à la volonté de l’auteur. Le sujet d’un documentaire ne se laisse pas aussi facilement appréhender que celui d’une fiction.
Avec un documentaire, on acquiert une liberté en freinant sa volonté. En fiction, la possibilité de modifier la réalité pour mieux la recopier, vouloir contrôler l’improvisation est ce qui donne précisément ce sentiment de liberté sur ce qui pourrait paraître nécessaire.

Ce qui compte le plus dans un documentaire, c’est son sujet. Le financement d’un documentaire dépend de son sujet et non de la valeur commerciale qu’une fiction doit emporter avec elle (c’est-à-dire comment elle peut distraire son lecteur, vulgairement, comment on peut la vendre à un lecteur).

Un retour sur investissement est toujours espéré par ceux qui financent de la fiction. Peut-être que la valeur du documentaire fortement liée à son sujet épargne cette contrainte.

La véracité réelle ou supposée des faits

L’image donne plus qu’elle ne renvoie une représentation authentique de la réalité. Le mot à retenir est représentation. Le lecteur/spectateur est devenu très méfiant envers ce qu’il lit, voit ou entend. Du moins, en espérant que la plupart d’entre nous ait gardé un esprit critique.

Et puis, la forme est plus importante que la formule. Il faut simplement garder en tête lorsqu’on écrit un documentaire (plus que pour une fiction d’ailleurs), c’est le coût des scènes que l’on planifie.

documentaireLES PRÉJUGÉS ET LE DOCUMENTAIRE