Un projet de scénario (et tout autant d’une autre forme d’écriture) est quelque chose qui doit s’organiser surtout lorsqu’on s’adresse à l’imagination des gens.
Écrire est un processus qui exige de faire des choix. Nous devrons décider de l’orientation de l’histoire, de jeter dans cette histoire des scènes et des circonstances, bref, de construire cette histoire.
Que l’on veuille ou non, ces choix élargiront l’histoire vers d’autres horizons de sens, ajouteront une vraie profondeur aux personnages et peut-être même rendront-ils cette histoire digne que l’on s’en souvienne.
Faire un plan
Pour faire des choix, il faut suivre une stratégie. Il n’y a pas de magie en cela. Des idées d’histoire surgissent à tout moment, en tous lieux. L’inspiration aime frapper lorsqu’on ne la sollicite pas ou plus.
Ce n’est pas de désespérer après un apparent assèchement. A Contrario, il faut faire le tri dans l’écoulement incessant des idées qui laissent une empreinte après leur passage, qui se fondent les unes dans les autres.
Trier ses idées ou simplement en prendre conscience, c’est de reconnaître une prémisse suffisamment solide qui deviendra une histoire.
Un moyen d’y arriver, c’est d’avoir le courage d’abandonner celles qui promettent peut-être beaucoup par leur éclat et qui, en fin de compte, cachent leur fragilité et ne sauraient supporter la structure exigée pour que le projet aboutisse (réalisé ou publié).
La structure est, en effet, presque une garantie de réussite. Loin de nous le débat qu’un travail structuré joue contre la créativité. Considérons plutôt que les outils mis en œuvre lors de la création serviront utilement à émaner du néant quelque chose qui sera création.
La prémisse est partie intégrante de ce plan. Elle s’énonce en peu de mots mais contient suffisamment d’énergie dans une image, dans un moment, dans un sentiment, dans une croyance qui ont assez de puissance et de significations personnelles pour l’auteur et l’auteure pour les engager elle et lui dans une histoire d’au moins 90 pages (pour un scénario).
Quelle prémisse ?
Parmi les outils du choix, il y a ce qu’on a vu et lu. Cela fait beaucoup à se remémorer et certainement que nos souvenirs ou ce qui fabrique nos souvenirs n’a fait que laisser passer peu d’entre eux. Profitons de cet avantage pour nous faciliter le choix d’une prémisse.
Notez trois titres qui vous ont marqué (une ligne de dialogue qui ne cesse de rebondir entre les parois de votre esprit, des personnages fictifs qui sont devenus comme des personnes réelles qu’il vous semble parfois rencontrer entre deux portes ou encore, que sais-je, des moments décrits pourtant insignifiants pour la plupart des gens mais qui ont su trouver en vous un écho tout singulier).
En un mot, une histoire que vous avez aimée.
Maintenant que vous avez posé ces trois titres devant vous, demandons-nous ce qu’il fait que vous les appréciez.
En surface, il y a le genre, cette chose que vous partagez avec d’autres lecteurs et dont vous recherchez les conventions pour répondre à un désir.
Ce peut être aussi les lieux qui ont su vous dépayser et vous emmener là où vous aviez besoin d’être sans même le savoir.
Ce qu’il faut saisir, c’est votre expérience de lecteur de ces lieux. Ils vous ont transporté en d’autres temps et d’autres endroits et vous y ont maintenu captif.
Cette faculté qu’ont les œuvres de fiction de créer un monde qui existe de manière convaincante, qui soit entier et qui nous recouvre jusqu’à obscurcir ce qui est au-delà de lui, c’est-à-dire notre réalité (que nous ne fuyons même pas, d’ailleurs), un monde qui existe par lui-même est une qualité que l’on doit retrouver dans un projet pour qu’il réussisse.
Et puis, il y a ces personnages qui séjournent à demeure dans notre mémoire longtemps encore après avoir refermé le livre ou vu le film ou la série (ou même un documentaire).
Pourquoi se souvient-on d’un personnage et pas d’un autre (héros ou méchant n’entrent même pas en ligne de compte) ?
On dit souvent parce qu’ils sont plus grands que la vie elle-même. Cela signifie t-il qu’ils doivent être irréels ? Bien sûr que non. Ce qui est plus grand que la vie se rapporte à nous. On compare peut-être un peu trop facilement les choses entre elles pour pouvoir les juger. Mais ce n’est pas le cas ici.
Des personnages dont on se souvient
Ces personnages qui ont laissé de telles traces en nous agissent, parlent et pensent différemment de nous. Ils disent ce que nous aimerions dire. Ils agissent comme nous l’avons rêvé. Ces personnages de fiction évoluent alors que nous ressentons une angoisse d’être inutile, que nos efforts contrairement à eux sont vains.
Ils sont authentiques sans jamais se détourner d’une vérité qui peut parfois être douloureuse et que nous fuyons. Ces personnages sont en effet jetés dans des situations inhabituelles, dramatiques par nature et significatives. Les événements décrits sans être nécessairement hors normes ont certainement un impact sur celui qui les observe.
Pourtant, au-delà des mots, des circonstances, des personnages, des lieux parcourus, la véritable magie d’une œuvre de fiction ou bien d’un documentaire bien écrit est que ce travail altère à sa façon notre regard sur le monde.
Il renverse nos opinions et nos croyances. Et s’il n’y parvient pas, alors il nous aura montré quelque chose sur l’humain ou le divin que nous n’avions pas encore réalisé. Ce phénomène est à propos de quelque chose. Il est une perspective. Il a un message.
Ce message nous est communiqué par un auteur passionné. Il a besoin de nous exposer quelqu’un qu’il estime si spécial qu’il nous faut rencontrer et comprendre. Cet auteur nous emmène dans un endroit qu’il est important que nous voyons.
Devant une œuvre de fiction ou un documentaire, nous ne pouvons rester insensibles. Nous sommes ébranlés. On nous confronte à des informations dont nous ne savions rien.
La fiction ou le documentaire diluent l’ignorance et nous illuminent. Les détails qui nous sont donnés, nous pouvons les accepter ou les refuser. Jamais, ils ne nous laissent indifférents. Ils sont remplis d’un désir à nous dire quelque chose sur la vie.
Toutes ces histoires nous lancent un défi. Elles remettent en question nos espérances. Elles sondent nos peurs et testent nos croyances. Et peut-être surtout, elles nous font comprendre la puissance de notre volonté.
Un auteur est capable de nous changer parce que son discours se fonde sur son moi profond, sur ce qu’il est vraiment et sa parole n’hésite jamais.
Il ne cache rien et souvent humblement, il rend son projet comme l’expression la plus intime de ses propres expériences et croyances. Il y a un but dans les mots qu’il jette sur le papier (mots destinés à devenir images dans le scénario).
Transvasement d’imaginaires
Le monde que l’on a en tête nous paraît si réel, si vivant. Cette force vitale (ou cet élan vital) que l’on imagine en lui est presque palpable. Le problème maintenant est de pouvoir communiquer ce monde dans l’esprit d’un autre, le lecteur.
Il faut reconsidérer sa prémisse. Car ce monde sera réduit dans la prémisse. Nous pourrons alors juger si cette prémisse est possible. Mais nous ne pouvons juger en termes d’un projet que nous avons toujours voulu écrire. Ce serait s’aveugler et bien mal juger.
Alors comment juger d’une prémisse ?
Il faut établir quatre points cardinaux qui constituent véritablement une prémisse qui a une chance de grandir en un projet sérieux.
La vraisemblance ou la crédibilité est une des toutes premières choses à implanter dans une prémisse (la prémisse est un germe pour quelque chose qui la dépasse dans les grandes largeurs).
Mais qu’est-ce que c’est que cette crédibilité ? C’est d’avoir une histoire qui aura quelques bases dans la réalité telle que nous la connaissons.
Cela implique que des histoires qui se réclame du réalisme magique par exemple sont possibles car elles ont un fond de réalité dans le questionnement même de celle-ci.
Ces histoires nous interrogent vraiment sur le sens de nos vies.
Tout est à propos de société, de nature humaine. S’il y a le moindre détail dans la réalité représentée en lequel nous pensons nous reconnaître ou avec lequel nous partageons un même point de vue, une même interrogation, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si cela peut vraiment se produire ou s’est vraiment produit.
La fiction n’est pas la vie. Et pourtant, cette copie nous semble réelle. Ce que l’auteur nous donne nous accroche indirectement parce que nous nous préoccupons de ce qu’il arrive aux personnages parce qu’en fait, de manière assez égoïste, nous nous préoccupons de nous-mêmes.
Car nous vivons des expériences par personnage interposé. Nous sommes concernés par ce qu’il leur arrive parce que cela pourrait nous arriver.
L’origine de la prémisse est l’intention de l’auteur
Un souvenir personnel, quelque chose qu’il a lu ou vu, un fait surprenant ou même le résultat de quelques recherches personnelles… Tant que ce qui est à l’origine de la prémisse s’ancre dans la réalité de l’auteur, sa façon toute personnelle de s’exprimer ne sera pas un frein à la bonne communication de son discours.
Et il pourra atteindre émotionnellement son lecteur avec ce qu’il a à lui dire.
Proposez quelque chose à votre lecteur qui lui fasse se demander : et si cela était possible, après tout ? Et votre proposition pourra être complètement inattendue ou étrange. Elle sera intrigante, tout à fait inhabituelle, hors des sentiers battus ou bien vous revisiterez des chemins déjà parcourus.
La prémisse doit provoquer l’interrogation en ouvrant une porte sur un horizon plus profond. Cette perspective n’a pas à être lointaine, inaccessible. La prémisse nous montre qu’il y a quelque chose d’autre et à proximité sous la surface opaque que nous renvoie nos sens.
La prémisse pique notre imagination. Et notre imagination s’accroche à notre imaginaire et le rend en errance. Néanmoins, il lui faut une espèce d’aimant pour se maintenir en place, pour garder le lien dans la durée. Et cette attache singulière, c’est le conflit. La question soulevée est alors de s’assurer que le monde de votre histoire a du conflit en lui, intrinsèquement.
Ce seront des forces qui s’opposeront et le combat sera équilibré. Et il sera ainsi parce que ces forces antagonistes ont toutes deux (dans la plupart des cas) des raisons tout à fait légitimes de prétendre à ce qu’elles prétendent et qui est source de conflit.
Des points de vue contradictoires mais tout à fait raisonnables et vous aurez un conflit difficile à résoudre. C’est précisément ce que veut votre lecteur. Et vous vous faciliterez la vie si le problème est déjà installé lorsque vous débuterez votre histoire.
Il y a toujours des dangers cachés où que l’on soit. Même le jardin d’Eden ne fut pas un lieu de tout repos. Le conflit existe partout. Dans la moindre relation jusqu’aux institutions les plus élevées, il n’y pas un espace, une époque qui ne soient conflictuels.
Puisque vous êtes auteur, n’hésitez pas à fouir votre monde quitte à prendre des risques.
Originalité et prémisse
La nature humaine est au cœur de nombreux débats et probablement l’un des sujets que l’on retrouve forcément dans toute œuvre. L’être humain est au détour de toutes les pages jamais écrites (ou filmées en l’espèce) ce qui suppose que tout ait été déjà écrit.
Faut-il pour autant se décourager ? Non. C’est un défi à relever, c’est tout. Ne croyez pas qu’on ne puisse rien dire de nouveau sur un sujet moult fois rebattu. Une nouvelle approche est toujours possible et si l’on assume son point de vue, si l’on s’engage, si l’on ose prendre le risque de ses idées (et l’écriture est un moyen parmi quelques autres), cela peut être très gratifiant.
Trouver sa propre perspective sur un sujet, c’est innover. Adopter un angle de vue singulier ou peu travaillé sur un sujet familier, c’est être original.
Il y a tellement de façons d’aborder la détresse humaine par exemple comme la solitude, la vieillesse, la misère (physique ou morale)… On connaît tous ces sujets.
Mais la façon d’en parler distinguera deux auteurs et peut-être que l’un deux aura plus de réussite que l’autre sur un lecteur mais chacun d’entre eux aura un lectorat qui appréciera la manière originale dont il a parlé de ce sujet.
Donald Maass, un agent littéraire, donne comme exemple une femme en pleine rémission d’un cancer. On connaît tous des histoires sur ce sujet plein d’espoir. Et puis, il y a d’autres histoires comme celle d’une femme dont le rêve est de gravir les pentes du Mont Rainier dans la Chaîne des Cascades aux États-Unis.
Deux histoires différentes, ancrées dans la réalité, que vous pouvez combiner pour en faire le parcours physique et spirituel d’une femme à la rencontre d’elle-même.
On a tous des choses à dire et bien souvent, ces choses n’ont aucun rapport entre elles. On peut avoir des idées sur la fidélité ou le désir. On peut se passionner pour l’histoire de son pays ou une époque particulière de celle-ci. On peut être fasciné par les herbes médicinales.
Être original consistera alors à trouver le moyen d’assembler dans une histoire cohérente tous ces sujets qui vous tiennent à cœur (voyez la théorie narrative Dramatica à propos de cohérence).
Ce n’est même plus une question de genre. Le genre est une manière de s’exprimer qui vous réussit. Ne vous forcez pas dans un genre ou une combinaison de genre (mais vous pourriez essayer) pour être original.
Prendre le lecteur par ses émotions
L’émotion est l’atout gagnant. La prémisse devrait le laisser supposer. Prenez ce que vous avez écrit et tentez de le projeter sur vous. Est-ce que ce que vous avez écrit vous empoigne un peu le cœur ? Vous fait remonter en vous une émotion (et la palette d’émotions est presque infinie) ?
Pensez-vous que ce que la prémisse propose prendra votre lecteur aux tripes comme elle le fait avec vous ? Pourriez-vous partager ce sentiment que vous inspire votre idée ?
Si, par vous, votre lecteur peut regarder sa vie en face, si vous pouvez l’atteindre personnellement, c’est parce que votre histoire touche à des émotions profondes, véritables et communes au plus grand nombre.