La solitude des personnages ou leur isolement ou encore leur marginalisation est un des éléments dramatiques participant à la construction du suspense. L’isolement trempe les forts disait Cézanne, cet être magnifique qui se sentait incompris.
Cette solitude ou du moins le ressenti de la solitude écrase aussi les faibles. L’isolement, donc (bien qu’il soit utile de distinguer l’isolement et la solitude, cette dernière n’étant pas toujours seulement souffrance), ou l’une de ses formes littéraires comme thématique ou comme outil pour mettre en place un contexte ou des circonstances est un outil polyvalent et puissant qui nécessite d’être bien compris pour être savamment utilisé.
L’isolement peut être physique comme une réclusion, une mise à l’écart du monde volontaire ou non. Il peut être une exclusion sociale, une marginalisation là aussi volontaire ou non (telle l’agoraphobie, forme d’une anxiété sociale révélatrice de la terreur qu’inspire le regard des autres).
La solitude du personnage peut être servie d’au moins trois manières dans une histoire. Elle peut être un tournant majeur de l’histoire emmenant celle-ci dans une toute nouvelle direction. Elle peut être thématique ou bien peindre le passé d’un personnage afin d’expliquer certains traits de sa personnalité actuelle.
La solitude a en fait tellement de facettes qu’il serait presque délicat de n’en choisir qu’un aspect et pourtant un seul suffit à décrire la distance que nous mettons parfois dans notre rapport aux autres.
La solitude, action ou décision
Sans vouloir être réducteur mais pour nous donner quelques procédés pour élaborer nos personnages, nous pouvons admettre qu’un personnage est fait d’actions qu’il accomplit et de décisions, de choix qu’il fait (les décisions gouvernant assez souvent les actions qu’elles engendrent).
La solitude si elle est prise comme thème peut alors décider de l’action. Elle fait bouger les choses par l’intermédiaire du personnage et comme le protagoniste est celui par qui l’intrigue s’écoule, la solitude peut être un moyen d’expliquer l’action ou les événements.
La solitude n’est pas seulement un fait dont nous serions comme condamné au fardeau. Elle peut être effectivement un état de fait mais qui stimule le personnage à en sortir.
Sa marginalisation devient alors un prétexte, un but pour se rapprocher d’autrui car l’autre est la solution au problème de la solitude.
Parce que ce qui est fascinant dans une œuvre de fiction et même dans un documentaire, ce sont les relations entre les personnages. Alors lorsque la solitude est présentée comme un moyen de créer de la relation, du lien social, d’aller vers l’autre, de découvrir l’autre afin parfois de se connaître soi-même, c’en est presque du pain béni pour un auteur ou une auteure.
Et les relations que nous établissons entre les personnages les rendent bien plus crédibles, plus vraisemblables, plus réels bien qu’ils ne soient que des êtres fictifs, des copies d’une réalité que nous souhaitons faire connaître au monde.
Deux types de solitude
Physique, la solitude l’est lorsque quelqu’un est matériellement forcé dans une situation où il ne peut plus interagir avec autrui. Socialement, la solitude se produit lorsque quelqu’un est rejeté d’un groupe ou d’une communauté.
Ce peut être un harcèlement, une intimidation ou une humiliation ou encore une ignorance, un mépris aussi quoique celui-ci marque plutôt la différence qui expliquerait alors les raisons du rejet.
Et à propos de différence, ce peut être effectivement quelque chose chez le personnage (apparent ou caché) qui l’écarte de la communauté.
Il semblerait que l’être humain est un animal social. Nous aurions tendance à nous regrouper. Nous voulons être reconnu, nous voulons être aimé.
Alors nous rejoignons des communautés religieuses, nous faisons du bénévolat, nous nous inscrivons à des clubs de lecture…
Comme si nous ne pouvions faire autrement que de nous socialiser. Même les introvertis et les reclus qui selon leur nature fuient les relations sociales, peuvent par moments bénéficier d’une activité sociale.
Il semble donc que nous dépérissions sans interaction avec autrui.
L’isolement peut donc être envisagé sous une multitude de facettes. Lorsque vous choisissez une certaine solitude pour votre projet d’écriture, vous devez comprendre comment elle influe sur le développement des personnages ou sur la qualité de votre histoire.
Chaque type de solitude peut vous permettre d’écrire des personnages en lesquels on croit vraiment et les jeter dans des situations tout à fait vraisemblables et très significatives.
Si vous vous décidez d’inclure dans votre projet quelque chose qui soit lié à la solitude, à la marginalisation, à l’isolement, vous allez devoir faire quelques recherches car, comme je l’ai dit, la solitude se présente sous de nombreuses formes.
Vos recherches devraient vous permettre de découvrir si l’isolement sera la condition nécessaire de votre histoire ou bien son thème si cet aspect vous submerge et que vous souhaitiez le crier à la face du monde.
Ou bien encore, vous pourriez vous servir de la solitude pour ajouter de la crédibilité à l’action, la rendre bien plus vraie. Et en vérité, les personnages grandiront ou gagneront en profondeur si la solitude est l’une de leurs attitudes.
Planifier ses moments de solitude
Il est important de ne pas se lancer esprit et main directement dans le processus d’écriture du scénario. Chacun fait comme il l’entend, mais ici, à Scenar Mag, nous insistons sur la planification de son histoire.
Je vous renvoie à ces quelques articles :
- STRUCTURE DONC PLANIFIER
- PLANIFIER SES SCÈNES AVANT DE LES ÉCRIRE
- PLANIFIER UNE TRILOGIE
- QUELQUES CONSEILS POUR PLANIFIER SON HISTOIRE
Pourquoi mentionner ces articles ? Parce qu’il est plus facile une fois que l’on a posé les différentes étapes de son histoire, que l’on a établi la succession des événements ou les prises de conscience des personnages, les révélations et aussi la distribution de l’information que vous pourrez juger des endroits où ces moments de solitude pourront s’insérer pour faire sens.
Quel que soit votre façon de voir la chose, qu’elle soit la solitude de l’adolescent au moment du passage à l’âge adulte, l’isolement du malade ou du vieillard, la brebis égaré qui devient bouc émissaire (il est intéressant de comprendre que le bouc émissaire est à l’origine un objet sacrificiel destiné à laver les péchés en espérant se les faire pardonner et si l’on pense de nos jours que le sacrifice d’animaux était une pratique cruelle, que l’on se souvienne un instant de ce qu’il se trouve dans nos assiettes).
Enfin, quel que soit l’aspect de ce rejet, de cet isolement que vous souhaitez intégrer dans votre histoire, vous saurez quels moments de solitude pourront se manifester avec le plus d’évidence et à quels moments de votre histoire.
Celle-ci pourrait, par exemple, se concentrer sur la quête d’une communauté, sur le rapprochement des membres d’une famille éclatée ou seulement se glisser au cœur d’une seule scène pour en accroître la tension le cas échéant.
Et comme le suspense est lié à la tension, si vous construisez le passé d’un personnage autour de sa solitude ou bien encore si vous liez une situation à un sentiment de vide, à un cul-de-sac, ce moment de solitude s’ajoutera au suspense s’il ne le crée pas lui-même.
Orson Welles a dit que nous sommes nés seuls, que nous vivons seuls et que nous mourrons seuls. L’amour et l’amitié nous permettent alors de créer l’illusion temporaire que nous ne sommes pas seuls.
C’est peut-être cela le message sous-jacent de la solitude. Nous volons tous en solo dans la vie.
Les moments de solitude que vous insérerez dans votre scénario ne sembleront pas hors sujet quelle que soit la teneur de votre discours. La solitude est quelque chose de puissant et de fascinant et les œuvres, qu’elles soient de fiction ou documentaires, permettent de les reconnaître facilement, de s’identifier à ces moments (selon l’expression habituelle)
L’assertion de Welles qui peut toujours être contredite comme toutes les affirmations portent néanmoins en elle du vrai parce que nous avons tous fait l’expérience véritable de la solitude, de l’abandon. Il n’est pas étonnant que les auteurs aient sans cesse l’envie ou le besoin incoercible d’en parler. On peut toujours innover avec un tel thème.
Seul au monde est une version moderne du Robinson Crusoë.
Et le dispositif narratif véritablement innovant ici est l’introduction de Wilson. A lui seul, Wilson résume l’extrême solitude dans laquelle Chuck Noland fut plongé pendant ces quatre années.
Et l’émotion fut forte lorsque Chuck et Wilson furent séparés (ce sont des moments de solitude comme celui-ci qu’il faut planifier pour emmener le lecteur avec soi par l’émotion dans la détresse de Chuck).
Aucun lieu ne peut capter avec autant de présence en nous la solitude de l’humain que le vide interstellaire.
Serions-nous vraiment en proie à l’horreur du vide ? Gravity démontre avec intelligence et une certaine beauté que notre esprit ne peut accepter la condamnation à laquelle notre corps se soumet et le combat solitaire de Ryan Stone est exemplaire de notre instinct de survie contre le néant qui nous absorbe et nous noie dans l’oubli.
Autre lieu qui inspire ce terrible sentiment de solitude à laquelle nous souhaitons tant échapper est bien cette étendue dont la blancheur évoque tout comme la noirceur de l’espace la même idée que nous sommes voués à un même combat pour notre survie.
La solitude n’est alors pas envisagée comme une bonne solitude qui nous emmènerait à la découverte de nous-mêmes pour mieux lutter contre nos peurs.
Gravity et The thing sont deux exemples qui démontre le combat que nous menons inlassablement contre la nature, contre notre sentiment de petitesse vécu comme une souffrance.
Cet éloignement de la civilisation que représente l’antarctique évoque aussi comment la différence (traduite par le métamorphe extraterrestre) inflige souffrance et désespoir à celui ou celle frappé d’ostracisme.
Tant de vérité dans l’émotion
Qu’elle soit littérale, une solitude physique, un isolement voulu ou non, un refus de la civilisation ou métaphorique avec l’isolement comme douleur et une solitude recherchée lors d’une quête spirituelle où être seul signifie être avec Dieu (par exemple), chez l’auteur, la vérité de l’émotion passe d’abord par les mots.
Il faut trouver les mots qui rendent l’émotion évidente. Anton Chekov ne demandait pas à ce qu’on lui dise que la lune pleine illumine la nuit. Plutôt, qu’on lui montre les reflets argentés d’un morceau brisé de verre.
Le lecteur sera frustré si vous contournez les implications émotionnelles d’une situation. Nous avons affaire ici à la condition humaine. Autrement posé, le lecteur comme chacun d’entre nous veut comprendre qui il est et qui sont les autres.
JUDD APATOW ET LA COMÉDIE