Copyright Castle Rock Entertainment
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#19. Les Évadés de Frank Darabont (1994)
Un simple mot, plus qu'une scène ou une musique, peut parfois nous remémorer les plus beaux moments d'un film, imprimer nos mémoires tel un souvenir indélébile dont on ne se détache jamais vraiment, même avec le temps.
Un mot allant au-delà du si commun (ou tout dû moins cité avec un manque total de retenu) statut de chef-d'oeuvre, un mot comme... Zihuatanejo, qui nous rappelle tous instinctivement la voix rocailleuse du vénéré Morgan Freeman, et la destination rêvée citée tout au long du formidable Les Évadés de Frank Darabont.Transcendant la simplicité d'une nouvelle du roi de l'épouvante Stephen King (Rita Hayworth et la Rédemption de Shawshank, publiée dans le recueil Différentes Saisons), le cinéaste croque ce qui sera autant l'un des plus grands drames carcérales que l'un des plus beaux chantres à l'amitié masculine, de toute l'histoire du septième art ricain.
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" Mettez votre confiance en Dieu, votre cul m'appartient maintenant. Bienvenue à Shawshank. "
Catapulté, en pleine après-guerre, dans une prison aux douloureux contours de purgatoire sur terre - la fictive mais plus vraie que nature Shawshank -, la péloche suit les vingt années de punitions d'hommes coupables de crimes plus où moins impardonnables, où d'avoir tout simplement été là au mauvais endroit, au mauvais moment.
Comme ce pauvre Andy Dufresne, condamné à la prison à perpétuité pour le double meurtre de sa femme et de l'amant de celle-ci, dont l'innocence viendra tardivement à pointer le bout de son nez dans le récit, même si sous son imposante carapace pétri de froideur, le spectateur se doute assez vite qu'il n'en est pas forcément l'auteur.Jeté dans une fosse aux lions dont il ne connaît ni les préceptes ni les monstres qui l'habitent - et qui s'en prendront vite à lui -, il va pourtant vite se lier avec Red, lui aussi condamné à purger toute une vie dénué de liberté dans les couloirs de Shawshank, mené d'une main de fer par le terrifiant directeur Warden Norton (le formidablement détestable Bob Gunton) et le big boss vicieux des matons, Hadley (le génial Clancy Brown).
Presque naturellement, il rejoindra son clan et se rendra indispensable auprès du maître de la maison, dont il aidera les magouilles diverses avant de finalement servir sa propre vengeance, redressant la balance d'une justice qui perd tout son sens et sa valeur derrière les barreaux.
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" Ces murs ont un effet bizarre. On les hait d'abord, et ensuite on s'y habitue, et plus le temps passe, plus on finit par en avoir besoin. C'est ça être institutionnalisé. "
S'inscrivant dans un contexte douloureux, au coeur d'une Amérique post-Seconde Guerre mondiale gangrenée par la haine raciale, la corruption et où les plus forts bouffent les plus faibles sans le moindre remord, The Shawshank Redemption questionne tout du long sur notre rapport à la croyance - via des références bibliques lourdes de sens - et les notions de justice et de liberté, dans un monde aux aliénations multiples, qui nous institutionnalisent presque comme ses prisonniers refusant d'épouser les sirènes enivrantes de l'espoir, même quand ils sortent de prison.
Car espérer est un précepte dangereux, il nourrit le désir d'une liberté de l'esprit qui est autant réprimé par les détenus (ne pas se nourrir de faux espoirs pour tenir au quotidien) que par le système (un détenu miné est plus facilement contrôlable).Et c'est pourtant dans cette contradiction constante de l'espoir dans sa narration, que le film s'en voit baigné de tous les pores de sa pellicule, véhiculé par la force implacable d'une sublime amitié faisant fît des différences (raciales, sociales, professionnelle, générationnelles,...), pour ne se concentrer que sur l'essentiel : deux hommes égaux, privés de tout mais qui vont pleinement s'entraider pour survivre, aussi bien face aux coups bas d'un univers hostile que face à la possibilité fragile d'un avenir meilleur.
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" Andy Dufresne a traversé une rivière de merde et il en est sorti lavé de tout. "
Quiconque est un minimum libre tant qu'il le croit et qu'il se bat pour le rester.
Véritable figure christique acculée, Andy Dufresne ne doutera pourtant jamais de sa liberté future, persévérant dans sa lutte profonde pour garder cette conviction intacte malgré un enfermement physique qui remet viscéralement en cause toutes ses certitudes (et qui le fera basculer du côté obscur de la loi, là où il n'a jamais été un escroc dans sa vie passée) : il ne sera pas comme le plus cynique (lucide ?) Red, qui se pense condamné pour toujours, ni comme le pauvre Brooks, rejeté de ce qu'il a fait son monde - Shawshank - et qui ne trouvera pas sa liberté dehors mais dans la mort.Un positivisme qui tranche avec la cruauté de la dure réalité de la prison (le viol, la violence physique et psychologique, le suicide, la corruption,...) mais qui nourrit pleinement ce récit de réhabilitation et de rédemption triomphante, où l'amitié virile et intègre est le moteur de tout (sans Red, Andy n'aurait jamais tenu dans cette jungle inhumaine pendant vingt ans et sans Andy, Red n'aurait jamais retrouvé l'espoir d'un avenir lumineux en dehors des murs de Shawshank).
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" Je suis si excité que j'ai du mal à rester assis ou à garder une idée en tête. Je crois qu'il n'y a qu'un homme libre qui puisse ressentir ça, un homme libre qui se lance dans un long voyage dont l'issue est incertaine. J'espère que j'arriverai à passer la frontière, j'espère que je verrai mon ami et pourrai lui serrer la main. J'espère que le Pacifique est aussi bleu que dans mes rêves. J'espère. "
Ode poétique à la solidarité dans l'adversité aux valeurs universelles, autant qu'une étude fascinante sur l'ambivalence de l'homme - et de l'humanité en règle générale - dont la simplicité n'a d'égale que la rigueur incroyable dont il fait preuve à tous les niveaux (du classicisme léchée de sa mise en scène à la justesse de son écriture, tout transpire la maîtrise et l'aboutissement d'une vision fantastique), Les Évadés ne serait sans doute rien sans les envolées majestueuses du score lyrique de l'orfèvre Thomas Newman (son plus bel ouvrage) mais surtout sans les partitions en parfaite symbiose, de son duo vedette Tim Robbins/Morgan Freeman, sublimant l'écriture de leurs personnages et les dialogues savoureux qui les habitent, pour en faire des héros intemporels - tout comme l'est le film -, les preuves vivantes que l'amour - l'amitié ici - est plus fort que la haine, même dans l'endroit le plus sombre du monde.
Plus qu'un grand film, le premier passage derrière la caméra de Frank Darabont, qui récidiviera par deux fois dans l'adaptation sur grand écran de l'oeuvre de Stephen King (La Ligne Verte et The Mist, tout aussi exceptionnels), est un chef-d'oeuvre, et l'un des films les plus importants de ses trente dernières années, rien de moins.Juste un mot, un seul nous remémore sa grandeur : Zihuatanejo.
Jonathan Chevrier