Quelques années après le magnifique "Les Croix de Bois" (1931), le réalisateur Raymond Bernard revient à 14-18 de façon moins frontale, en effet, des tranchées ils s'intéresse cette fois à l'arrière. Co-écrit à plusieurs mains à un tourant géo-politique fatidique, le film a évidemment un écho particulier. Le film fût en effet tourné en 1938 alors que les Accords de Munich sont signés, puis il sort sous les coupes de la censure d'où la présence de sous-titres allemands dans la version restaurée qui regroupe deux négatifs de pellicules différentes. Outre cette période les scénaristes sont tout aussi impliqués avec Leo Mittler scénariste autrichien qui émigera ensuite aussitôt pour les Etats-Unis où il signera notamment le scénario de "le Vaisseau fantôme" (1943) de Mark Robson, puis Victor Trivas cinéaste russe qui émigrera également aux Etats-Unis où il signera "Le Criminel" (1946) de et avec Orson Welles. Avec eux on retrouve l'auteur Jean Anouilh qui a surtout travaillé sur les dialogues avait signé son premier scénario avec "Vous n'avez rien à déclarer ?" (1936) de Leo Joannon...
En août 1914, un village de la Marne vit au rythme des conflits de voisinage, notamment la guerre entre le maire et un notable, jusqu'à ce que l'armée allemande envahissent la région. Alors qu'un jeune soldat en permission, fils du notable, reviennent en secret pour revoir sa fiancée, fille du maire, le soldat est dans l'obligation de tuer un soldat allemand qui les a surpris. En sanction les allemands exigent 5 otages, parmi lesquels se portent volontaires le maire et le notable... Au générique pas de grandes stars mais des gueules bien connues du cinéma français. Le notable est incarné par Saturnin Fabre un des plus fameux second rôle du cinéma français de 1911 à 1954 qui retrouve Anouilh d'ailleurs après "Vous n'avez rien à déclarer ?". Le maire est incarné par Fernand Charpin acteur fétiche chez Pagnol notamment en tant que Panisse dans la trilogie , et sur les planches comme au cinéma. Mais il y a aussi les personnages joués par Pierre Larquey et Noël Roquevert, deux des plus grands seconds rôles de l'époque avec respctivement plus de 200 films sur 5 décennies ! On peut aussi citer la belle actrice qui interprète la fille du maire, Annie Vernay révélée surtout par "Le Roman de Werther" (1938) de max Ophüls mais surtout une jeune première qui mourra prématurément à seulement 19 ans... Le film débute comme une comédie dramatique où le côté pittoresque de la franchouille populaire est dans la lignée des Pagnol. En filigrane il y a l'histoire d'amour façon "Roméo et Juliette" qui aura des conséquences tragique, puisqu'indirectement, les pères maire et notable, accompagnés à l'insu de leur plein gré par trois autres citoyens dont le braconnier et son garde-chasse (!), vont être les otages fusillables si le coupable de l'assassinat d'un officier allemand ne se dénonce pas.
Le scénario est d'une densité riche et foisonnante où on part d'un charivari communal, on passe par le départ au front des jeunes, avant de meurtre qui va plonger le village dans la tourmente. Mais si le réalisateur s'attarde sur des détails du quotidien de l'époque, c'est bien à partir de la nomination des 5 otages que le film prend toute sa dimension. Le chemin emprunté par les 5 otages pour rejoindre leur geôle est aussi drôle que tragique (ils sont dans l'obligation d'effectuer chacun une pause laxative causée par la peur), une scène qui sera dénoncée par beaucoup comme humiliante pour l'honneur de la France ! Par là même, ce chemin sera ré-enprunté avec une séquence encore plus tragi-comique. qui appuie aussi sur la couardise de petits bourgeois qui se cache derrière leur prétendu honneur social. Cet équilibre entre drôlerie et drame est une réussite. Raymond Bernard reste ainsi fidèle à son pacifisme et dénonce l'héroïsme et la bêtise guerrière. Plus techniquement on remarquera le travail sur les ombres, en adéquation avec le genre (comédie ou drame) des séquences. Raymond Bernard signe là un film trés méconnu, le réalisateur étant surtout connu pour "Les Croix de Bois" et "Les Misérables" (1933), mais grâce à sa restauration il est à voir et à conseiller.
Note :
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