Une recherche continuelle

Avoir un projet d’écriture, qu’il soit de fiction ou documentaire, et peut-être même plus spécifiquement le documentaire, possède une valeur. Que la portée du projet soit voulue sociale, politique, historique, philosophique, artistique… quel que soit le contenu, la recherche sur ce contenu est directement relative à la valeur supposée du projet.

L’impatience met souvent à mal le processus de recherche. On croit connaître le sujet dont on veut parler. Puisque depuis que l’être humain a appris à communiquer, il est difficile de trouver des sujets dont on ignore tout.
Il y a forcément quelqu’un qui a déjà parlé de dynamiques sociales, d’événements historiques, de personnes historiques (y compris dans leur intimité)… que l’angoisse que l’on se pose quant à savoir comment innover sur un sujet à propos duquel tout semble déjà avoir été dit est bien souvent trop paralysante.

Et pourtant, il ne suffit pas de se contenter de recueillir toutes les informations plus ou moins détaillées sur un sujet pour posséder ce sujet.
Le véritable effort, ce qui donnera un élan sincère et passionnant à votre envie d’écrire est de pousser la recherche au-delà de ce qui est donné. Le vrai travail de recherche commence à partir des informations données.

A partir des informations que l’on cueille un peu partout, il faut atteindre à une connaissance plus profonde sur le sujet. L’intelligence de votre projet d’écriture, sa qualité, ne peut émaner que d’une recherche qui pénétrera l’opacité de l’information donnée. C’est-à-dire que si vous vous contentez de prendre sans esprit critique, vous ne ferez pas un scénario engageant.

La curiosité d’abord

Il faut un désir authentique d’en savoir plus sur le sujet dont on veut traiter. Ce qui signifie que ce n’est pas parce que l’on ne connaît pas un sujet quelconque qu’il faut le refuser.
A contrario, l’inspiration et la curiosité travailleront ensemble à vous faire connaître ce sujet, à en relever le défi.

De sorte que vous puissiez en parler parce que ce sera quelque chose que vous aurez appris à connaître. Reconnaissons, néanmoins, que c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais ce que je vous propose, c’est que vous ne vous posiez pas vous-mêmes des limites.
Vous prenez un sujet dont vous ignoriez même l’existence. Vous y mettez la recherche qu’il faut pour que vous développiez, pour ce sujet qui vous est totalement étranger, un intérêt sérieux, une vraie curiosité afin de partager plus tard votre passion avec une multitude de lecteurs/spectateurs. Vous allez apporter un discernement bénéfique dans une recherche des causes.

La recherche peut s’organiser autour d’un brainstorming :

  • Qu’est-ce qui n’a pas encore été dit sur ce sujet ?
  • Les informations recueillies sont-elles la vérité ? Jusqu’à quel point dois-je faire confiance à mes sources ? Comment corroborer mes sources ? Quelle est cette vérité que l’on m’affirme ?
  • Qu’est-ce que je veux vraiment connaître sur ce sujet ? Qu’est-ce que je recherche vraiment ? Quelle découverte ou plutôt quelle révélation j’attends de cette recherche ?
  • Et comme ce travail est destiné à être lu ou vu par d’autres que moi, qu’est-ce qui pourrait intéresser cet autre concernant ce sujet ?
    Certains d’entre eux se poseront probablement les mêmes questions que moi mais ai-je vraiment aborder tous les centres d’intérêt possibles sur ce sujet ?
  • Quel aspect du sujet échappe habituellement à la perspicacité des autres auteurs qui se sont déjà penchés sur lui ? Est-ce qu’il ne serait pas judicieux de creuser ce qui n’a été qu’effleuré par d’autres ?
Une recherche vraiment continuelle ?

Ce n’est pas tant la quantité qui compte mais la qualité des recherches que vous ferez. Selon votre sujet, vous pourriez passé une vie entière à l’étudier sans jamais écrire la moindre ligne d’un scénario.
Le travail de recherche consiste à discerner les informations pertinentes de celles qui sont hors sujet. Ce qui ne signifie pas qu’elles sont inutiles. Vous devrez conserver ces informations inappropriées à votre scénario actuel pour un scénario futur.

Le chercheur doit avoir bien compris ce qu’il cherche pour distinguer du chaos d’informations qu’il a collectées ou les pistes qu’il suit celles qui participeront efficacement à l’écriture de son scénario, qu’il soit de fiction ou documentaire.
Un brainstorming peut aider à résoudre cette problématique.

  • Est-ce que cette information ou cette source d’informations est directement liée à mon sujet ? Répondre à cette question est très subjectif donc source d’une erreur bien humaine. Néanmoins, cet effort autorise un premier tri.
  • Est-il nécessaire que le lecteur connaisse cette information ?
  • La pertinence est une chose mais est-ce que l’information a vraiment de la valeur pour le message que je cherche à dire ?
  • Et même si cette information est pertinente et valorise mes mots, n’est-elle pas redondance avec ce que j’ai déjà dit ? Sans hiérarchiser les informations, sans chercher à établir une généalogie de ces informations (tenter de découvrir une quelconque loi de causalité entre les événements), est-ce que je nourris convenablement mon sujet avec mes informations ? Ou n’y en a t-il pas dont je peux faire l’économie ? Car il faut privilégier la qualité.
  • Et puis suis-je vraiment capable d’incorporer cette information dans mon scénario ? Suis-je vraiment sincère avec moi-même ? Ne suis-je pas un peu trop présomptueux ?
Une recherche stratégique

On n’épuise jamais un sujet. Une investigation commencée et de nouvelles pièces d’informations sont susceptibles d’apparaître à tout moment. Ce qui signifie un grand risque si vous avez commencé à écrire votre scénario.
Il faut une stratégie d’approche de votre sujet. Il sera important de réfléchir à vos sources.

Et la question essentielle devient : Qu’est-ce que je cherche ?
Dans quelle direction dois-je orienter ma recherche (ce qui implique de faire des choix en éliminant certaines informations et en en privilégiant d’autres, ce qui est arbitraire en soi donc partial ) ?

La bonne nouvelle est que vous n’êtes pas seul. D’autres avant vous ont frayé le chemin pour découvrir des sources d’information et ont adopté certaines approches éprouvées pour recueillir cette information.

L’écrit est la source d’information privilégiée pour débuter toute recherche. Des thèses sont maintenant accessibles d’un simple clic. Auparavant, le chercheur prenait le temps de trouver cette littérature dont il avait appris l’existence. Et puis, cela ne fait jamais de mal de demander autour de soi lorsqu’on est à la recherche de certains livres.

Le souci évident est que le livre est une masse d’information énorme. Cependant, avec le temps, on apprend à lire rapidement et à ne retenir que ce qui nous semble important et à le mettre de côté.

Et puis on peut toujours noter à longueur de journée quelques mots, quelques phrases lues ou entendues, quelques idées et le moment venu, parcourir ses notes et voir si certaines n’ont pas un éclat singulier pouvant servir notre discours actuel.

Les mots, nos mots comme ceux de tous les autres, sont chargés de sens. Un sens qui a un écho différent selon les individus. Et cela prend une importance singulière lorsque vient le temps d’écrire les mots du narrateur (surtout dans le cas d’un documentaire où vous contrôlez la narration car vous n’aurez probablement pas participé à la plupart des événements que vous décrirez et vous ne pouvez jamais vraiment prévoir ce que sera l’issue d’une interview par exemple).

Les lieux liés à l’information

Il est facile de situer les événements. Les scènes du scénario doivent se rendre en ces lieux où les événements se sont produits ou se produiront. Un lieu n’est pas spécifique à une information. Il regorge de sens aussi divers que variés que peut l’être chacun d’entre nous. Chacun prend ce qu’il veut dans un lieu.

Alors il faut chercher les choses appropriées ou essentielles au sujet. C’est-à-dire celles qui visuellement feront la matière de la scène.
Et que celle-ci soit fictive ou documentaire, elle reste spécifique à un événement singulier. Toutes sortes de captation (photos et images d’archives sont facilement accessibles) pourront s’intégrer dans les données collectées.

Il est important de comprendre qu’il existe des moyens narratifs pour communiquer visuellement un message. Même les civilisations primitives utilisaient l’image pour communiquer.
L’art de la narration se constitue aussi de l’image et est un moyen de présenter le résultat d’une recherche qui pourrait être autrement plus obscure. La preuve par l’image en quelque sorte.

L’interview

La plupart du temps, lorsqu’on aborde un sujet, c’est souvent la première fois. On peut acquérir une connaissance par la littérature, les lieux, la culture qui peuple ces lieux, l’histoire de la civilisation qui s’est emparée de ces lieux et en a fait son séjour. Les événements passés sont facilement relatés et connus.

Mais il manque quelque chose à une telle relation factuelle. Il vous faut un point de vue sur ces événements. Et ce n’est pas seulement une perspective que vous devez interroger. Un événement présente plusieurs aspects. Chaque personne liée à un événement, à un fait le relatera selon son propre regard, selon son implication personnelle dans le fait. Un même événement est vécu différemment selon les individus.

Il s’avère nécessaire d’aller à la rencontre des personnes qui peuvent avoir quelque chose à dire sur votre sujet (directement ou indirectement). L’auteur d’un documentaire doit décider qui il souhaite interroger et ce qu’il attend de cette interview.

L’auteur se mettra alors à la recherche d’autorités sur son sujet qui partageront connaissance et expérience. L’auteur recherchera aussi des témoignages. Selon le sujet traité, il y a toujours des personnes qui furent plus ou moins impliquées dans un événement.

L’idée de cette quête de perspectives humaines est d’obtenir des informations différentes et surtout contradictoires. Il faudrait collecter des éléments factuels mais aussi émotionnels (car le lecteur/spectateur y est très sensible) ainsi que des opinions et idées qui seront moins subjectives, moins source d’erreurs qu’une opinion ou une idée toute faite. Par contre, les préjugés peuvent entrer dans votre discours, ne serait-ce que pour les dénoncer.

Et puis n’hésitez pas à demander à votre interlocuteur ce qu’il pense de votre travail, de votre projet. Qui sait ? Vous pourriez probablement en profiter.

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