Melanie Anne Phillips, l’une des auteurs de Dramatica, nous propose une méthode pour trouver l’inspiration, c’est-à-dire dans le contexte où l’on se croit dans une impasse.
Son concept est qu’il est plus facile de se retrouver avec plusieurs idées que d’en trouver une seule.
Certes, on en vient à lutter un peu contre son intuition qui nous incite à une idée, une forme, une image, un son, une réplique… une émotion, mais ce qu’il faut comprendre face à la page blanche si intimidante, c’est que vous êtes face à un problème de structure. Le souci n’est pas le contenu mais le contenant.
On ne contrôle pas sa créativité. Elle est autonome. C’est un objet qui ne nous appartient pas. Et pourtant, elle ne cesse de tourner à plein régime en dedans. Il n’y a pas un moment où nous n’avons de nouvelles pensées, de nouvelles idées et pas seulement celles que nous voulions à ce moment.
Alors, si nous décidons de laisser faire notre muse ou du moins ce que nous considérons comme l’illumination, nous risquons de perdre patience et courage.
Néanmoins, nous pouvons forcer les choses et reprendre notre libre-arbitre. Nous pourrions faire croire à notre muse, à notre créativité, que nous avons résolu notre problème en nous remettant totalement à elle.
Considérons cette prémisse : Le marshall d’une vieille ville frontalière de l’Ouest américain lutte contre une bande de renégats qui mettent la ville à sac.
Première étape : se poser les bonnes questions
Si nous tentons d’analyser cette prémisse pour savoir où nous devrions aller avec elle, nous repérons dès l’abord le personnage principal. A l’évidence, c’est le marshall.
Mais à part la fonction qui le désigne (et il pourrait être tout aussi bien un avocat, un fermier, un commerçant, un docteur…), nous en savons fort peu sur lui. Donc, interrogeons-le et voyons ce qu’il a à nous dire.
Lançons le brainstorming :
- Quel âge à ce marshall ?
- Depuis combien de temps est-il marshall ? Débute t-il ou bien est-il rompu à cet exercice peut-être depuis un peu trop longtemps ?
- Est-il une fine gâchette ?
- A t-il déjà tué quelqu’un ?
Dans une prémisse, nous avons donc un personnage principal mais si nous le posons là sans pointer même indirectement sur un conflit ou une raison de conflit, la prémisse paraîtra insuffisante et n’incitera pas son lecteur à vouloir en connaître davantage sur l’histoire qui est déjà en germe en elle.
L’opposition doit être marquée dans la prémisse. Ici, elle est incarnée par une bande de renégats (qui sera évidemment représentée par un seul personnage et habituellement, il sera le méchant de l’histoire).
Questionnons ce vil personnage. Si j’écris vil personnage, c’est pour décorer un peu mon discours. Car j’émets un jugement qui n’a pas lieu d’être.
En effet, il est maladroit de désigner l’un comme le bien et l’autre comme le mal. Tous les personnages d’une histoire ont des motivations tout à fait légitimes de faire ce qu’ils font, d’être ce qu’ils sont.
Leurs pensées, leurs paroles, leurs actions sont justes de leur point de vue. Il arrive que le personnage principal d’une histoire (et même si c’est un super-héros) se voit contraint de faire des choses répréhensibles, condamnables selon la morale.
Et le méchant de l’histoire n’est pas véritablement méchant. C’est l’opinion publique qui le désigne ainsi. Et l’on sait bien que l’opinion publique est très moutonnière et manque cruellement (pour ceux qui en souffrent) d’esprit critique.
Posons-nous les questions qui nous viennent naturellement à l’esprit :
- Cette bande de renégats est-elle constituée de quelques hommes (et de femmes) ou bien est-ce vraiment quelque chose d’organisé avec des ramifications dans les milieux les plus riches et notables de la ville ?
- Y a t-il un seul chef ou y a t-il une concurrence pour le pouvoir (sorte de guerre intestine dans le gang) ?
- Pourquoi mettent-ils la ville à sac ? Qu’est-ce qui les intéresse dans cette ville ?
- Et depuis combien de temps ont-ils la mainmise sur la ville ? Est-ce que celle-ci a accepté leur présence par dépit ou habitude ?
On peut se poser un nombre impressionnant de questions sur cette simple prémisse. Comment ces questions peuvent-elles nous aider à développer cette histoire ? Une question sans réponse est en effet inutile. Ces interrogations néanmoins ont mis en avant des détails. Et ce sera sur ces détails que nous ferons travailler notre imaginaire.
Seconde étape : répondre aux questions
Pour chacune des questions que vous vous êtes posées (même les plus insignifiantes ou les plus étranges, laissez-vous faire), répondez de même par autant de réponses qui vous viennent à l’esprit.
Ce que vous faites maintenant, c’est de libérer votre muse de limites que vous vous êtes vous-mêmes imposées. Certaines réponses vous paraîtront très sensées alors que d’autres seront bizarres. Ne vous laissez pas convaincre par leur étrangeté.
Au contraire, il se pourrait que les réponses les plus farfelues soient précisément la voie que vous devriez emprunter.
- Quel âge à ce marshall ?
- 28
- 56
- 86
- 17
- 7
- 35
Certains de ces âges possibles sont difficiles à être partie prenante de cette prémisse. Mais tout est possible. Une telle prémisse voudrait un âge de 28 ou de 35 mais ce serait aussi reprendre un motif déjà connu, déjà mouliné par d’autres auteurs.
Alors quoi penser ?
De manière très simple, on prend une réponse possible, par exemple la réponse c. 86 et on lance un nouveau brainstorming sur cette possibilité. On va chercher à interroger les conditions que nous inspire cette réponse.
c. 86
- Comment un homme de 86 ans peut-il encore être marshall ?
- Est-ce qu’on peut s’inspirer du Stumpy de Rio Bravo pour en faire notre marshall ?
- Est-ce qu’un handicap entrave ses actions ?
- Est-il encore marié ou l’a t-il seulement été ?
- Quel type d’arme utilise t-il ? Son relativement grand âge peut nous faire accepter une arme qui sorte vraiment de l’ordinaire.
- Est-ce que la ville le respecte encore ?
Et ainsi de suite…
J’avoue que ce nouveau jeu de questions ne me provoque pas trop d’inspiration sauf peut-être la seconde question. J’applique donc le même procédé à cette seconde charade.
2. Est-ce qu’on peut s’inspirer du Stumpy de Rio Bravo pour en faire notre marshall ?
Et le brainstorming repart :
- Est-ce que je peux utiliser la même pétoire que Stumpy tout en conservant une certaine fraîcheur pour mon personnage principal ?
- Et si je donnais à cette pétoire une vraie importance dans la constitution du personnage comme la Mare’s Leg, cette emblématique Winchester à canon scié de Josh Randall ?
- Est-ce que mon personnage principal, s’il était inspiré de Stumpy, pourrait être suivi par un sidekick qui serait comme son ombre, le sur-protégeant en quelque sorte ?
- Est-ce que je peux lui conférer une certaine sérénité, une certaine sagesse faisant de lui davantage un prédicateur qu’un marshall ?
- Est-ce que je pourrais lui donner des allures de Don Corleone et faire de lui un personnage qui peut avoir recours à des actes immoraux, à des détours plus ou moins légaux ou moraux pour que soit appliqué une certaine idée de la justice ?
Et plus vous creuserez ce personnage et d’autres questions plus pertinentes, plus précises, plus intimes seront posées et peut-être que vous aboutirez à un personnage que vous allez aimer.
Bien sûr, concrètement, vous n’aurez certainement pas envie de répondre à toutes les questions. Comme je l’ai moi-même fait dans mon exemple, j’ai été intrigué par ce personnage de Stumpy.
Je n’ai retenu que les questions qui suggéraient qu’il y avait peut-être là un développement possible pour mon histoire ou du moins une direction à explorer.
En conclusion, plutôt que de rester coi devant une page blanche, lancez-vous dans quelques brainstormings pour compléter un vide ou lier logiquement deux moments de votre histoire.
Votre muse n’attend que vous pour déverser les idées qu’elles possèdent déjà naturellement.
En complément de cet article, nous vous conseillons la lecture de notre série sur
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