Après son premier long métrage "Les Anges du Péché" (1943), le réalisateur-scénariste Robert Bresson se lance dans l'adaptation de "Jacques le Fataliste" (1796) de Denis Diderot, se focalisant sur une re-lecture de l'histoire de Madame de la Pommeraye. Le cinéaste collabore au scénario avec Jean Cocteau qui signe aussi les dialogues. Cocteau est alors en train de se faire une place de plus en plus grande au cinéma, en signant entre autres le scénario de "L'Eternel Retour" (1943) de Jean Delannoy tandis qu'il réalisera peu de temps après son chef d'oeuvre "La Belle et la Bête" (1946)... Une riche bourgeoise, Hélène, ment à son fiancé pour prêcher le vrai du faux mais à ses dépens ce dernier la prend au mot et se réjouit de leur séparation amicale. Pour se venger, Hélène va se servir d'une ancienne amie ruinée qui loue sa fille pour subsister...
Hélène, femme bafouée et vengeresse, est incarnée par Maria Casarès qui vient de jouer dans le chef d'oeuvre "Les Enfants du Paradis" (1945) de Marcel Carné. L'ex-fiancée qui va tomber amoureux comme prévu est interprété par Paul Bernard déjà vu dans "Pension Mimosas" (1935) de Jacques Feyder et "Lumière d'Eté" (1943) de Jean Grémillon. La mère ruinée et sa fille sont respectivement jouées par Lucienne Bogaert grande dramaturge vue entre autres dans la pièce "La Machine Infernale" (1934) de Jean Cocteau mise en scène par Louis Jouvet, et vue dans le film "Le Corbeau" (1943) de Henri-Georges Clouzot, puis Elina Labourdette remarquée pour la première fois dans "Le Drame de Shanghaï" (1938) de George Wilhelm Pabst... Le tournage du film fut plutôt mouvementé, d'abord parce qu'il fut tourné en été 1944 et qu'il a fallu faire avec les évènements de l'époque dont une interruption totale lors de la Libération de Paris en août 44, puis aussi dû à l'entente difficile entre Bresson et son actrice principale Maria Casarès, le premier trouvant que la seconde surjouait trop alors qu'elle trouvait justement qu'elle ne jouait pas assez. Malgré la guerre, ses coupures d'électricité et les bombardements le tournage aura donc pris environ 6 mois. Le style est austère et naturaliste mais aussi ascétique et théâtral, Bresson tente d'atténuer tout surjeu ou esbrouffe pour rester au plus pur du jeu comme de la mise en scène.
Finalement le tout paraît un peu statique, voir ennuyeux s'il n'y avait pas quelques plans magnifiques (le premier amour de Bresson est la peinture) et s'il n'y avait pas les magnifiques dialogues de Cocteau. On notera le travail sur le décalage du son et de l'image, inédit à l'époque. Le plus gros défaut du film repose sur un mauvais choix de casting, à savoir l'acteur Paul Bernard dont le charisme est inexistant, le jeu inexpressif, à tel point qu'on se demande en quoi deux femmes belles et intelligentes ont-elles pu trouver de séduisant chez lui ?! D'ailleur on peut citer une phrase de Colette sur cet acteur fade et lisse : "charmant jeune premier, dénué d'humour, incapable de se caricaturer lui-même."... Précisons que Bresson a affirmé qu'il détestait ce film. Loin de mériter ce désaveu, son film reste riche sur bien des points (beauté du cadrage, dialogue), il manque juste un minimum de souffle pour nous emporter pleinement.