Dans l’article précédent, j’ai tenté de faire un état des lieux du temps en fiction. Le temps y fut suspendu, disjoint et séquentiel. Il peut être aussi anticipé. La mythologie et la religion ne manquent ni de personnages, ni de faits quant à prédire l’avenir.
Pratiques divinatoires aux multiples noms, sibylles, prophètes… voilà soudain que certains d’entre nous (quoique leur appartenance à l’espèce humaine peut être mise en doute) se retrouvaient avec la faculté nouvelle de prédire le futur.
Mais ce n’est pas toujours un don comme nous le rappelle l’histoire de Cassandre. George Eliot traite aussi de perception extrasensorielle dans The lifted veil en 1859.
Latimer, le narrateur, dont la crédibilité des propos ne laisse de soulever le doute dans l’esprit du lecteur, croit qu’il est maudit d’avoir reçu le don de voir le futur et les pensées d’autrui. Dans la série Heroes, les facultés surhumaines des personnages sont elles aussi d’abord incomprises et partant, niées, avant que d’être acceptées après avoir payé un prix qui peut être terrible.
D’autres fois, cependant, la précognition est vécue comme un bien comme Paul Atréides de Dune qui compense sa cécité par sa connaissance des événements futurs.
Le temps circulaire
La circularité implique la répétition. Et même si l’on ne souhaite pas insister sur la notion de répétition ad finitum (peut-être un peu trop évidente), il faut plutôt y voir l’inéluctabilité du destin. Un temps circulaire s’oppose au changement. On n’anticipe pas les situations futures. On sait seulement d’avance qu’il est inutile de résister à ce qu’il semble déjà écrit.
L’Ouroboros paraît être encore bien ancré dans notre imaginaire collectif (si on admet cet imaginaire partagé par le plus grand nombre).
Le temps inversé
Alors que la prolepse ou anticipation en narratologie est un moyen d’annoncer des choses qui se produiront plus tard dans l’intrigue, l’analepse (autrement nommé par le terme moins agréable à entendre flashback) est un retour en arrière qui décrira alors une action appartenant au passé.
Pourtant, l’ordre naturel dans lequel s’inscrit la diégèse de l’histoire prouve que le temps ne peut être inversé. Pour pouvoir se représenter le temps, on a imaginé qu’il s’écoulait le long d’une ligne et que la flèche de cette ligne ne pouvait être tournée et mue que dans un seul sens.
En même temps, cette illustration a recours à l’espace pour représenter le temps. Or, un temps spatialisé ne pourra jamais décrire exactement la réalité du temps. Néanmoins, cela a l’avantage de nous permettre de nous former une idée du temps à défaut de ne jamais pouvoir le saisir.
La structure de Arcadia de Tom Stoppard est parfaitement fondée sur ce principe d’analepse. Puisqu’un groupe de chercheurs contemporains (de 1989) relève les indices laissés par les habitants d’un lieu (une demeure précisément) en 1809 et tente de les interpréter pour comprendre et expliquer le passé.
Il est vrai aussi que l’inversion du temps est un moyen d’introduire des notions telles que l’entropie et la théorie du chaos qui demandent à l’auteur intéressé par ces sujets quelques recherches qui ne pourront qu’être bénéfiques mais désespérantes aussi si l’on conclue que l’univers ne peut se répéter lui-même (ce lui-même ouvre l’esprit vers un horizon supposant que l’univers n’existerait pas en soi) et qui se dirige inéluctablement vers sa propre fin (que l’on peut envisager sous l’ange de la téléologie ou de l’eschatologie selon son propre point de vue ou son centre d’intérêt).
Voilà un paragraphe d’une seule traite difficile à lire sans respirer. Mais je le laisse tel quel.
Un autre exemple est L’étrange histoire de Benjamin Button dont l’adaptation de la nouvelle de F. Scott Fitzgerald en scénario par Eric Roth et Robin Swicord inverse les choses et remonte le temps sans retour possible.
L’idée d’utiliser l’inversion du temps dans un récit peut être celle d’une espèce de rédemption (sans chercher à atteindre un quelconque salut car on ne donne pas pour recevoir) qui permettrait alors de corriger les erreurs du passé.
L’univers parallèle
Un monde parallèle possède ses propres lois relatives à l’espace et au temps. La fiction et la science peuvent nous aider à comprendre qu’il existe des réalités alternatives, des mondes possibles.
C’est un peu cette idée que l’on retrouve dans la série Code Quantum où Sam voyage dans le temps et vit alors des vies différentes à chacun de ses sauts.
Certes, concernant cette série, elle est fortement marquée de morale et consiste elle aussi pour Sam à corriger les erreurs du passé. D’ailleurs, Sam considère sa faculté à se jouer du temps comme un charisme. Sa mission sera donc de faire le bien.
Britt Marling a de son côté aussi explorer les univers parallèles. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un thème délicat à manier. Quant aux théories quantiques, elles vont jusqu’à douter de l’existence même du temps.
Comprenez-moi, je ne cherche nullement à étaler un quelconque savoir dans cet article. Je vous donne seulement quelques pistes que vous pourriez éventuellement suivre si vous êtes intéressés.
Dans ce cas, considérez que je vous aide un peu dans vos recherches. Néanmoins, les commentaires sont largement disponibles si vous souhaitez intervenir.
La simultanéité, l’utopie, l’uchronie comme thèmes que permet l’univers parallèle peuvent nous emmener à penser (ce qui est différent de croire ou de prêcher) que nous vivons plusieurs temps à la fois ou bien encore que notre passé s’est fondu dans notre présent ou encore penser la fusion du présent et de l’avenir… ce que vous voulez si vous laissez courir votre imaginaire.
Le futur affecte le passé
Ou autrement posé, un effet peut-il être lui-même sa cause ? Nous sommes dans un monde d’hypothèses (et non plus hypothétique comme l’univers parallèle). La spéculation ici est que si une chose se déplaçait à une vitesse plus grande que la lumière, elle pourrait retourner dans le passé.
Et puisque dans le passé, elle pourrait se créer elle-même, être sa propre cause.
Je vous renvoie à une double piste de connaissance : All you Zombies de Robert Heinlein et l’adaptation qui en fut tirée par Michael et Peter Spierig : Prédestination.
L’éternité
Nous pourrions ressentir l’éternité si nous pouvions nous unir à tout ce qui existe. On fige le temps et l’espace. On suspend nos croyances et nos convictions.
Bref, nous éprouverions une existence hors du temps.
Mais est-ce seulement possible de connaître, de se connaître, d’avoir une existence en marge du temps ? La question véritable en fait serait de savoir pourquoi nous sommes ici et comment nous vivons ce temps présent qu’on aimerait éternel.
Non seulement pourquoi mais aussi comment nous vivons ce présent espéré, formulé autrement, ce serait le pourquoi et le comment de notre mode d’être.
Mais se saisir ainsi de tout, c’est se prendre un peu pour un dieu. C’est un orgueil certes agréable mais est-ce vraiment notre finalité ?
La matière se dégrade et l’on peut voir cela comme une lutte incessante avec, pour réponse ou solution possible, l’éternité.
Mais la souffrance et la mort ne sont-elles pas ce qui nous définit ? Ce qui nous permet ou plutôt nous autorise à penser que la vie et sa fluidité qui nous mène à l’inexorable est décidément une complétude que nous ne saurions atteindre autrement.
L’infinitude ouvre l’esprit du profane au sacré dont nous voulons incessamment la manifestation. Mircea Eliade est vraiment à étudier pour aller plus loin dans cette idée.
Je pourrais encore partager avec vous mes réflexions mais il faut bien aussi envisager la fin des temps.
LES PRÉJUGÉS ET LE DOCUMENTAIRE