Surprendre le lecteur

Par William Potillion @scenarmag

Tout comme la vie réelle, la vie de nos personnages de fiction est pleine de surprises. Jouer à surprendre son lecteur peut être efficace. Probablement moins utile que le suspense (véritablement nécessaire), il n’en reste pas moins que chercher à étonner son lecteur de temps en temps au long de l’intrigue pourrait renouveler l’intérêt que ce lecteur porte à l’histoire.

L’expérience de la surprise

Qu’est-ce qu’une surprise ? C’est la montée en charge de l’adrénaline pour le lecteur. Soudainement, une scène provoquera une réaction physique ET émotionnelle.
Ce genre d’expérience est très éprouvant. Parce qu’elle est puissante. Pendant un instant (d’ailleurs très subjectif), on ne peut penser à rien d’autre. Notre attention est toute concentrée à comprendre ce qu’il vient de se passer.

Toutes les intrigues quel que soit leur genre profite lorsqu’il y a une espèce de compte à rebours qui s’égrène inexorablement. Le lecteur est ainsi préparé à un certain résultat. C’est comme cela que l’on construit du suspense. Et c’est comme cela que le lecteur accepte de voir le héros sauver la situation. Le suspense créé tout au long de l’intrigue rend légitime les actions du protagoniste.

La différence entre suspense et surprise est la durée. Le suspense se construit sur l’accumulation. Il faut préparer le lecteur. Cela demande un processus.
La surprise intervient brutalement. C’est comme cela que fonctionne le Jump scare. L’auteur introduit dans la scène un événement brutal, étonnant, qui n’ajoute rien de particulier à la signification de la scène en question et dont l’intention est seulement de surprendre le lecteur à ce moment précis de l’histoire.

Le suspense se forme sur l’anticipation parce que le lecteur est parfaitement informé des tenants et aboutissants actuellement en jeu. Et c’est pour cela qu’il est facile de le prendre à contre-pied de ses attentes (c’est un élément de surprise aussi mais différent de l’effet de surprise).

Alors que quelque chose d’inattendu, cela se produit comme un éclatement. Dans la surprise, on ne montre pas au lecteur la mèche se consumant lentement.

Une question de perception

La distribution de l’information est quelque chose que l’auteur doit savamment penser. Dans un thriller par exemple, il est important que le lecteur adopte le point de vue du personnage principal et soit informé comme l’est ce personnage.

Car dans le thriller, l’ironie dramatique qui consiste à donner, par exemple, une information au lecteur que le personnage ne possède pas encore, jouera contre la tension dramatique.
Car il faut réserver une part de mystère. Tout ne peut être immédiatement expliqué. Et l’auteur doit se méfier aussi de l’intuition de son lecteur qui prend toujours une longueur d’avance lorsqu’il cherche à comprendre et à anticiper l’action.

Dans un thriller, les intentions du héros et du méchant sont connues dès le début de l’histoire. C’est une des conventions du genre. Et même si l’auteur doit faire attention à ne pas systématiser ses personnages en bien et en mal – parce qu’il est simple pour un lecteur qui observe la plupart du temps les personnages agir de distinguer les facultés rusées et funestes d’un personnage pour en faire le méchant de l’histoire – l’information doit être donnée sans retenue, sans mystère.

Dans un thriller, la plupart du temps, l’auteur ne se préoccupe pas de préserver un mystère. Ce n’est pas son intention. Dans Rebecca, par exemple, Madame Danvers essaie de convaincre Madame de Winter de mettre fin à ses jours. La chose qui compte dans le thriller, dans celui-ci du moins, c’est la manipulation psychologique dont le thriller devient alors un instrument de démonstration.

Le moyen de surprendre son lecteur peut être facilement mis en œuvre lorsque le narrateur (même implicite, il faut bien que quelqu’un vous raconte l’histoire) ne s’avère pas en fait aussi digne de confiance qu’il semblait l’être.
Par nature, le narrateur relate les faits tels qu’il vous dit qu’ils se sont produits. Et s’il ment, c’est qu’il a une bonne raison qui sera énoncée plus tard dans le récit. Ce dévoilement qui apparaîtra alors comme une surprise pour le lecteur sera expliqué.

Gone Girl de Gillian Flynn est un exemple à emprunter de cette technique qui amène la surprise par le narrateur.

Différent du Scare jump néanmoins

Comme beaucoup de mots et c’est à la fois la difficulté et la magie des mots, surprise recouvre de nombreux sens selon son contexte. Par respect envers le lecteur, il ne faut pas forcer la surprise sur lui. Le Scare jump fonctionne ainsi. Il n’a nullement de raison de survenir. Le Scare jump est certes un élément de surprise mais son efficacité constitue une rupture dans la continuité du récit.

Alors que l’effet de surprise parce que c’est l’effet qui est recherché (tout comme l’on parle de l’effet de fantastique dans un récit fantastique), l’effet de surprise sera amené logiquement.

Pourquoi avoir recours à l’effet de surprise alors que le suspense fait tout aussi bien (sinon mieux) l’affaire ? D’abord, parce que préparer quelques surprises le long de son récit, le long de son discours, est toujours quelque chose d’agréable à faire.

Sur un plan plus pratique, surprendre son lecteur est un moyen efficace de l’entraîner dans des situations hautement dramatiques ou du moins à l’intensité dramatique particulièrement forte ce qui est une des conditions pour un suspense efficace.

Considérons un moment La ruée vers l’or. Le personnage qu’interprète Chaplin est si affamé qu’il mange sa chaussure.
Est-ce seulement un gag ? L’effet de surprise voulu par Chaplin est de contredire nos expectations qui s’attendent à ce que le plat ainsi préparé soit détestable et pourtant, Charlot s’assoit et déguste sa chaussure comme si elle avait été préparée par un grand chef.

Il y a continuité dans la logique du discours aussi incongrue que puisse paraître la situation.

Le sixième sens, Fight Club, Se7en… sont encore quelques exemples dans lesquels la surprise est savamment pensée et indispensable au succès de ces histoires. La technique consiste à ce que le lecteur ne voit pas venir la tournure des événements. Voyez, cela est différent du suspense mais aussi des retournements de situations ou encore des situations très tendues qui participent, eux, davantage à la structure que l’effet de surprise.

Lorsqu’il y a un coup de théâtre, on ne s’y attend certes pas. Le coup de théâtre, cependant, emmène l’histoire vers une toute nouvelle direction. C’est un effet naturel de l’évolution de l’intrigue comme si ce progrès nécessaire de l’intrigue se reflétait dans le coup de théâtre. Cette péripétie aux relents de surprise est à la fois organique et structurelle. Elle constitue l’intrigue et en assure l’équilibre.

Alors que la surprise voulue pour elle-même est un événement ponctuel dans le cours de l’intrigue et n’influe pas sur son déroulement, ni sur sa signification.

Tout comme lorsque les circonstances deviennent vraiment dramatiques pour les personnages. L’auteur emmène son lecteur dans ces situations. Il prépare la voie pour plonger le lecteur dans l’intensité de la scène à venir.
Le lecteur devine intuitivement que la situation sera très tendue. Le danger, par exemple, peut survenir d’un coup imitant ainsi la surprise mais il n’est dans ce cas qu’un moyen de se manifester. Il n’est pas une surprise malgré les apparences.

Voilà, c’était quelques réflexions. Et vos commentaires ne seront pas une surprise.

Là aussi, je vous livre quelques réflexions sur les préjugés qui sont un véritable mal sociétal.
LES PRÉJUGÉS ET LE DOCUMENTAIRE