Vous êtes auteur. Vous devez donc savoir que ce qu’il y a de plus fascinant pour un lecteur, c’est d’observer la représentation que vous allez lui donner d’êtres humains et des relations si singulières voire étonnantes que vous mettrez en place dans votre œuvre.
Ces êtres humains fictifs, comme dessinés, possèdent des comportements que nous devons nous efforcer de comprendre au même titre que nous faisons l’effort de nous comprendre nous-mêmes.
Ce travail de recherche est en soi simplifié car bien que ces êtres imaginaires ne soient pas de chair et de sang, nous pouvons facilement créer une comparaison exacte entre eux et nous.
Il est donc tout à fait décent de vouloir parler du comportement de nos personnages de fiction en termes de motivation comme nous le ferions pour un être humain réel.
Et lorsque nous commençons à élaborer nos personnages qu’ils soient pour une œuvre de fiction ou pour un projet documentaire, rejeter toute approche psychologique serait une erreur.
Les théories de Karen Horney
Retenons quelques points de cette psychanalyste qui n’hésita pas à s’opposer à Freud. D’abord, la formation de la personnalité est une question de culture. Une distribution contingente de chromosomes et nous voilà homme ou femme ne peut être raisonnablement pensé comme fondamental dans la conformation de la psyché.
Pour Karen Horney, le rôle de la culture et de son pendant, l’éducation, a d’énormes responsabilités dans les sentiments d’infériorité et d’inhibitions que l’on rencontre chez de nombreuses femmes car, du moins du temps de Horney (née en 1885), cette éducation niait la féminité.
Concernant l’enfance, Horney a suivi les postulats tels qu’ils furent définis à l’époque mais elle y voyait davantage la responsabilité des parents en termes d’affection et de désaffection sur la formation de la psyché de l’adulte en devenir.
Posons que le comportement serait une fonction du présent et non pas le résultat d’un assemblage de causes passées. Cette position remet en question tout un pan de l’élaboration de nos êtres fictifs qui repose sur l’exposition d’événements et de faits passés pour expliquer le comportement actuel du personnage.
Il semblait si facile d’inventer des origines infantiles, des blessures d’enfance pour expliquer un personnage qu’on peut comprendre l’hésitation à accepter l’hypothèse que le passé n’influe pas grandement sur nos décisions et choix actuels.
La chose qui compte, quel que soit le point de vue, est l’intérêt que l’auteur porte à l’humain. Et c’est un intérêt partagé avec le lecteur. Les êtres humains imaginés en fiction et même recréés dans les biographies romancées ou documentaires possèdent un mimétisme avec les êtres réels et ainsi, ils peuvent s’expliquer avec des termes psychologiques qui n’ont nullement besoin d’être très savants pour être compris par le plus grand nombre.
L’être humain, c’est d’abord le conflit
Le conflit s’exprime essentiellement dans le rapport à l’autre. Si nous ne pouvions nous rapporter de manière conflictuelle à l’autre, nos personnages de fiction, tout comme nous, s’ennuieraient grandement dans leurs vies fictives.
Le conflit sera non seulement entre les personnages mais aussi de façon beaucoup plus intime lorsque le personnage sera d’abord en lutte contre lui-même.
L’être humain a des besoins. Il est à la recherche aussi de justifications. La théorie narrative Dramatica aborde ce concept de justifications selon sa propre manière (Chapitre 11 : Résolution de problèmes et Justifications).
Quelle que soit l’approche que l’on adoptera, que l’on prenne ou non en compte des différences culturelles par exemple, ce qu’il faut voir, c’est une similitude fondamentale dans l’expérience d’être un être humain.
C’est alors par des personnages de fiction lorsque l’auteur parvient à nous faire entrer dans leurs sentiments que nous pouvons enrichir la connaissance que nous avons de nous-mêmes et des autres en partageant, par un être de fiction interposé, ses conflits personnels et la nature de ses relations (qu’elles soient d’opposition, de soutien et d’accompagnement ou de dépendance).
La littérature réaliste facilite cette osmose entre la réalité et la fiction (ou plutôt entre le monde et l’image que l’auteur en donne), je crois néanmoins que l’auteur peut ainsi s’exprimer quel que soit le genre qu’il utilisera comme moyen d’expression.
Véritable mimesis ?
La fiction est une illusion de la réalité. Elle imite le réel mais elle n’est pas le réel. L’intrigue qui nous est contée est fictive. Alors, lorsque nous envisageons la psychologie de personnages (qui ne peuvent être réels même si l’on s’inspire de la vie de personnages historiques), ils ont tendance à s’échapper de l’intrigue dans laquelle ils sont comme renfermés pour bouleverser nos points de vue probablement trop figés par notre propre vécu bien trop réel.
Un être fictif, par exemple, peut nous faire prendre la mesure que nous ne sommes pas devenus plus mâtures mais que toutes les expériences que nous avons vécues nous ont fait passer d’une stratégie défensive à une autre.
De même, nous pourrions nous apercevoir que des personnages nobles (habituellement, les héros de nos histoires) ne méritent peut-être pas toute l’admiration que le dénouement leur confère de manière classique.
Étudier ces êtres de fiction sous l’angle psychologique peut alors nous permettre de porter un regard nouveau sinon étrange sur nous-mêmes.
L’auteur lui-même est dans une lutte incessante entre d’une part ses interprétations et jugements des choses du monde et le portrait qu’il fera de ces choses. Parce que ce qu’il tente de recopier sera fortement marqué de sa propre subjectivité.
Un personnage, c’est d’abord quelqu’un qui a mis en place des stratégies défensives, des comportements défensifs qui sont autant de réponses face à des menaces immédiates et potentielles de l’environnement (nous sommes très proches en cela des personnages que nous créons).
Au fil de nos expériences, nous nous sommes construits un répertoire défensif constitué de comportements qui se sont avérés efficaces en réponse à des menaces singulières dans des situations spécifiques.
Un auteur aura tendance à favoriser les stratégies défensives qu’il préfère et les incarnera chez ses personnages. Ceux-ci adopteront alors des comportements, des attitudes et postures blessantes envers eux-mêmes ou envers les autres. C’est ainsi que des relations conflictuelles sérieuses et passionnantes à lire et à décrire peuvent être élaborées.
Les choix de l’auteur convoquent néanmoins chez lui des forces qui sont propres à sa personnalité et qui peuvent provoquer une disparité et des incohérences entre la réalité et la représentation qu’il cherche à en donner.
Cela est aggravé aussi par les conflits que l’auteur se crée lui-même entre toutes ses interprétations et jugements. Pour lever l’anxiété, il est important de tenter de reconnaître en soi nos divisions internes. Autrement posé, essayons d’être en phase avec nous-mêmes.
ADAPTATION : QUELQUES ÉVIDENCES