Nous avons déjà étudié la théorie narrative Dramatica. Je vous renvoie à son sommaire :
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE
Vous pouvez aussi vous référer à cet article pour une première approche :
DRAMATICA : LES ELEMENTS DE STRUCTURE
Nous y avons abordé le concept majeur de Story Mind puisque Dramatica considère que l’esprit d’une histoire est tout à fait comme notre propre esprit lorsqu’il cherche à résoudre les problèmes qui ne manquent jamais de lui survenir.
Tout comme nous, êtres humains bien réels, le Story Mind présente plusieurs aspects. Les différentes facettes d’une histoire sont son genre, son thème, son intrigue et ses personnages.
Le genre serait une approche globale de la personnalité d’une histoire. Il serait un peu comme la première impression que l’on se fait d’une histoire.
Le thème que l’on peut penser en partie comme le message de l’auteur représente les valeurs standards de l’histoire. Et ces valeurs sont vraiment malmenées.
L’intrigue consiste à décrire les méthodes qu’utilisera le Story Mind (et par analogie l’esprit humain) alors qu’il essaie de résoudre ses problèmes.
Et quant aux personnages ?
Admettons que nous sommes tous animés pour agir dans une direction sous des impulsions, des raisons, des intuitions. Nous nous définissons aussi à travers les autres, dans notre relation aux autres. Les personnages deviennent en ce sens des pulsions contradictoires, conflictuelles mais qui font avancer les choses.
Le genre
Pour le lecteur, chaque histoire possède une personnalité qui lui est propre. C’est la première impression que nous nous faisons d’un individu. Nous ne pouvons nous empêcher (et parfois nous luttons contre cette tendance) de classer les personnes que nous rencontrons la première fois dans des catégories générales.
Et pour les histoires, nous agissons de même. Sauf que nous nommons cette catégorie le genre de l’histoire. L’apparence de l’histoire est un critère majeur du choix que nous ferons de décider de lire ou de ne pas lire cette histoire. C’est une décision inaugurale et nous nous fondons sur l’attribut le plus notable que nous percevons d’une histoire pour prendre notre décision.
Il est vrai que la première chose que nous faisons est de nous enquérir du genre d’une histoire avant d’y consacrer un peu de notre précieux temps. Mais qu’est-ce qui nous attire vers un genre ? Peut-être est-ce l’univers, les lieux. Ce peut être aussi le sujet de l’histoire ou plutôt les concepts qu’elle convoque comme une lutte des pouvoirs, des questions de croyances.
On peut être attiré par l’auteur, par son point de vue sur le monde, sur sa manière si personnelle de le décrire. On ne lit pas de la même façon une Margaret Atwood, un Neil Gaiman ou bien un Judd Apatow. Et leur nom désigne déjà (du moins la plupart du temps) le genre que nous aimons lire ou voir. Dans le genre, il y a une atmosphère et une manière de conter les choses.
Le genre classe les choses, il les catégorise. C’est bien dans la nature humaine de donner des étiquettes à tout ce qu’elle connaît. On dit alors par exemple que celui-ci est un Don Juan ou que cette histoire est une histoire d’horreur.
Et on dispense ainsi une information qui peut être très problématique pour les auteurs s’ils ne la maîtrisent pas.
Et puis tout comme dans la vraie vie, il y a des gens qu’on oublie aussitôt et nous faisons de même avec les histoires. Disparues aussitôt rencontrées. D’autres brillent si fort qu’elles brûlent tout leur intérêt en très peu de temps. D’autres encore se sont vues affublées d’une mauvaise première impression pour devenir si familières que hâte et impatience nous étreignent lors de leurs absences.
Et tout cela est en grande partie dû à ce que quelqu’un a à dire et comment il s’y prend pour le dire.
Pourtant l’intérêt du genre est de dépasser cette généralisation qui lui semble si inhérente pour découvrir dans une histoire ce qui l’individualise malgré les traits communs qu’elle partage avec d’autres histoires.
Pour cela, il faut passer un peu de temps avec ce type d’histoires pour connaître ce qu’elle a de spécifique après que nous ayons été attirés par elle.
C’est le genre qui nous fait choisir une histoire (d’où l’idée des conventions à reproduire) mais nous découvrons aussi rapidement que toutes les histoires ont une personnalité qui leur sont propres et qu’en fin de compte, ce qui nous fait rester auprès de l’une d’entre elles est précisément ce que nous apprenons à découvrir chez elle qui la distingue de toutes les autres, du moins à certains égards qui nous préoccupent.
Le thème
On a tous des valeurs standards. Et l’esprit des histoires que Dramatica nomme le Story Mind n’en est pas dépourvu. On peut présenter les choses comme on veut. Et nous ne sommes parfois même pas conscients de notre médiocrité tellement nous sommes entêtés dans des certitudes orgueilleuses, vaines et hypocrites.
Enfin, la chose qui compte pour un auteur sera de présenter un projet qui voit le pour et le contre pour chacun des aspects d’un argument moral.
L’argument est le débat autour d’un sujet. L’auteur ne devrait poser ses conclusions, son message, qu’après avoir exposé les tenants et les aboutissants de tout un chacun. Sinon, il verse dans la propagande. L’auteur doit savoir faire dans la nuance.
Quelle que soit l’approche ou bien une valeur singulière que nous mettons en avant, toutes nos valeurs standards sont constituées de deux choses : les problèmes qu’elles soulèvent et notre attitude, notre réponse personnelle à ces problèmes.
Il n’est pas suffisant d’aborder un sujet (l’avortement, le droit à la différence, la cupidité…) si on ne le juge pas. Est-il bon, est-il mal, n’est-il ni bon ni mal. Et les attitudes (je hais quelque chose ou je crois en quelque chose ou bien je désapprouve) n’auront pas de sens si on les applique à rien.
Une attitude face à quelque chose est essentiellement un point de vue et le problème est cet objet que nous observons. Lorsqu’un auteur sait ce qu’il veut regarder et d’où il veut le voir, il crée une perspective. Et c’est en cette perspective que l’auteur insufflera une grande partie de son message.
Pourtant, on ne peut affirmer une position envers une problématique quelconque pour convaincre d’autres à nous suivre sur cette voie. Toute affirmation sera niée un jour ou l’autre par quelqu’un qui ne la partage pas (par conviction, plaisir ou esprit critique).
Prêcher peut être utile mais ne sera pas suffisant pour convaincre autrui du bien-fondé de son attitude et de partager celle-ci sur un même front. Le thème en fait est quelque chose de pragmatique. Pendant toute la durée de son histoire, l’auteur créera un argument thématique. C’est une expression que Dramatica aime bien prononcer.
Cet argument n’est rien d’autre qu’un instrument qui devrait aider l’auteur à lentement déloger son lecteur des croyances dans lesquelles il est au début de l’histoire pour l’amener progressivement à accepter puis à adopter les croyances de l’auteur.
C’est d’ailleurs un peu ce que font les documentaires même s’ils s’en défendent. Les meilleurs d’entre eux cependant laisse la question ouverte sur le thème qu’ils ont abordé.
L’intrigue
Définition simple de l’intrigue : c’est une succession d’événements. La magie est que cette succession n’a nullement besoin d’être chronologique. A travers l’exposition, l’auteur distille les informations, il déploie son histoire comme il l’entend lâchant ici et là quelques informations diverses et variées que son lecteur réarrange incessamment jusqu’à ce que la véritable signification de l’histoire devienne claire et distincte.
Partant de cette façon de faire, l’auteur engage son lecteur dans son histoire comme il est lui-même engagé. Il en fait un participant actif et non un simple observateur.
Certes, par moments, vis-à-vis de certains personnages, le lecteur se contentera d’observer et de juger les choses peut-être superficiellement.
Ce n’est pas un problème parce que dans d’autres actions, face aux événements ou encore et surtout probablement en partageant ce que ressent le personnage principal (c’est de l’empathie comme dans la vie réelle sauf que dans un récit, l’auteur oriente cette empathie pour vous vers son personnage principal), le lecteur participera effectivement et dans son âme et dans sa chair à ce qu’il lui est conté.
Car ce qu’il est en train de voir, de lire ou d’entendre reflète aussi la façon dont les gens s’y prennent pour résoudre leurs propres problèmes.
Lorsqu’on essaie de trouver des moyens pour résoudre nos problèmes, nous tentons d’identifier et d’organiser les choses afin de les assembler en ce qui nous paraît être le meilleur plan d’action.
On met en place des stratégies et des tactiques et nos personnages de fiction font de même. On peut même identifier un personnage à la stratégie qu’il a mis en place pour faire face à ses difficultés. En quelque sorte, c’est à cela qu’on le reconnaît.
Nous avons tous d’ailleurs des moyens de défense face à la vie. En plongeant en nous, nous pourrions extraire de la matière pour façonner nos personnages.
Donc, nos personnages ont un plan et les différentes étapes de ce plan peuvent survenir dans n’importe quel ordre et la séquence des événements pourrait être même bouleversée par de nouvelles informations. Et tout cela aboutirait à de nouvelles conclusions.
Le Story Mind de Dramatica se fonde sur le même procédé. La logique interne de l’histoire, c’est-à-dire l’ordre dans lequel les événements impliqués dans l’approche retenue de résolution du problème surviennent, est l’intrigue.
L’ordre dans lequel le Story Mind gère les événements alors qu’il met en place son plan de résolution de son problème est ce que Dramatica nomme le Storyweaving.
Le Storyweaving consiste à tisser les événements de manière très subjective de façon à ce que l’auteur parvienne à un impact maximal sur son lecteur. On peut comprendre le Storyweaving comme un montage avec une intention voulue ou non d’ailleurs.
Si on ne distingue pas le Story Mind, le plan pour résoudre le problème, du Storyweaving, la façon dont les choses doivent être liées entre elles afin que ce plan s’accomplisse dans un sens espéré tout en espérant surtout de garder le contrôle des événements, il est facile de passer à côté de choses importantes pour l’histoire et de laisser des trous dans la logique interne de celle-ci.
L’auteur sera pris dans son exposition et ne verra pas que son histoire est bancale. En séparant le Story Mind du Storyweaving, l’auteur a une mainmise complète sur le contrôle de la progression de son histoire et sur l’expérience qu’il donne à son lecteur.
Les personnages
Pour Dramatica, les personnages de fiction représentent nos pulsions contradictoires, aussi conflictuelles que peuvent l’être la pulsion de vie et la pulsion de mort. Eros et Thanatos ne sont peut-être qu’une seule énergie qui concourt à faire notre unité, notre identité.
Néanmoins, ces personnages de fiction ont chacun un point de vue bien personnel (dans le cas contraire, on noterait une certaine redondance dans la constitution psychique de ces personnages). Maintenant, comment le Story Mind est-il censé représenter notre soi, notre ego, notre moi ? Ce qui fait en somme notre identité ? Ou du moins la conscience de notre identité ?
Dans toutes les histoires, il existe un personnage bien particulier. C’est le personnage principal. C’est lui qui représente l’identité du Story Mind. Ce personnage principal reçoit l’esprit du lecteur. Comme si le lecteur/spectateur était à la place du personnage principal.
Le personnage principal est l’œil de l’histoire, l’ego de l’histoire.
Dramatica distingue la fonction des personnages que la théorie a identifié comme des archétypes. Ils sont au nombre de 8 : protagoniste, antagoniste, guardian, contagonist, skeptic, sidekick, reason, passion. En tant que fonction dramatique, ces archétypes renvoient un point de vue objectif sur l’histoire. Ils se contentent en quelque sorte de constater les faits. Peut-être même les jugent-ils.
Pourtant, certains personnages sont aussi capables de vivre l’histoire de l’intérieur. Ce qui autorise le lecteur à vivre des émotions et des expériences par personnage interposé. Ces personnages subjectifs sont au nombre de deux : le personnage principal et l’Influence Character.
Et c’est en particulier sur le personnage principal que se déposera l’empathie du lecteur/spectateur.
Qui sera le personnage principal ? Souvent, on considère que le protagoniste dont la fonction consiste à faire avancer et l’intrigue et l’histoire peut être aussi le personnage principal qui permet au lecteur de s’identifier à ce personnage.
Lorsque nous avons un protagoniste qui est aussi le personnage principal, nous possédons du même coup un héros. C’est-à-dire un personnage capable de faire avancer l’intrigue et qui sera aussi le regard tout à fait personnel et subjectif du lecteur sur l’histoire.
Par contre, cette organisation n’est pas obligatoire. Car dans la vraie vie, nous sommes plutôt enclin à supporter l’effort que nous ne sommes l’initiateur de cet effort.
Afin d’étendre nos possibilités narratives, nous pouvons dès lors envisager de créer deux personnages : l’un assurera la fonction de protagoniste et l’autre sera vu alors comme le personnage principal. Par exemple, Dans la brume de Daniel Roby peut être ainsi analysé.
Sarah bien qu’enfermée dans sa bulle est la protagoniste parce que c’est par elle et pour elle que Mathieu prend toutes ces décisions. Mathieu est le personnage principal. C’est par lui que nous pouvons ressentir l’atmosphère si singulière de cette histoire.
Anna, sa femme, serait alors son Influence Character, c’est-à-dire le personnage qui s’opposera aux choix de Mathieu et tentera de l’influencer.
ET LA STRUCTURE FUT