GOJOE: SPIRIT WAR CHRONICLEde Sogo Ishii
Ce film est venu à nous plus que nous sommes allés à lui. Il y a quelques semaines nous avons découvert le fabuleux Electric dragon 80 000 V du même réalisateur. Lors de nos recherches nous avons appris que ce dernier avait été réalisé pendant le tournage de Gojoe. Evidemment on a eu envie de le découvrir. On a investi dans le dvd et on est tombé sous le charme de cette œuvre différente de la première que l'on avait vu, mais qui nous a tout autant séduit et intéressé
Cette histoire se déroule après une guerre familiale qui a mis à feu et à sang le Japon, entre Heike et Genji. Un pont à la frontière de Kyoto est le sujet de toutes les attentions. En effet les personnes qui le traversent la nuit, sont attaquées par un démon à deux personnalités; et sont retrouvées décapitées le lendemain à l'aube. Ce pont est donc gardé par des samouraïs, envoyés par les Heike pour que personne ne s'y aventure. Cependant il arrive que le démon s'en prenne à ce garde qui y perd sa tète. Et c'est sur un de ses malheureux que s'ouvre le film.
Le conflit entre les Heike et Genji est un terreau fertile qui a inspiré de nombreuses histoires sur différents médias au fil des siècles. Ici, il prend la forme d'un Jidaigeki. Un film qui concerne l'histoire médiévale japonaise. Avec pour particularité de se dérouler au XIIeme siècle alors qu'en général ils se situent pendant l'ère Edo (XVII, mi XVIIIème siècle). Et d’être tourné vers l'action et un combattant. Benkei est un moine combattant, il est un personnage récurent dans la culture japonaise. Il est connu pour sa naissance et les légendes qui l'entourent; pour ses qualités de combattant avant d'embrasser une carrière de moine. Quant à ses valeurs morales, sa loyauté et sa forces elles ont traversé les siècles. Lorsqu'il devint moine, les monastères avaient des pouvoirs militaires et étaient à la tète d'armées qui auraient pu être comparées à ce qu'étaient les légions.Benkei a la rude charge, dans ce film, d'incarner le combat entre le bien et le mal, avec toute la dimension subjective et paradoxale que ça implique. Surtout qu'ici, c'est une vision qui provoque sa décision de combattre le démon du pont. Il prend les traits de Daisuke Ryu, que je n'avais vu jouer que dans Ran. S'il est convaincant et parfaitement juste dans son jeu, il se fait grignoter par ses deux principaux compères. Et ce sera le seul petit bémol de ce film. Le charisme, la luminosité de Tadanobu Asano et de Masatoshi Nagase déséquilibre légèrement le film. On s'attache, on s'intéresse plus facilement à eux qu'à notre personnage principal qui devient presque secondaire.
Tabanobu Asano interprète Shanao ancien maître du clan Genji. Ils sont quatre de ce clan à intervenir dans le récit. Ce personnage est dessiné par les contrastes de sa tenue blanche vibrante à celle de combat noir, de son calme insondable à ses fureurs insoupçonnées, de ce qu'on attend qu'il fasse à ce qu'il décide de faire.... cela créé un personnage hypnotique dont on a bien du mal à anticiper ce qu'il pourrait faire. Lui aussi à un rôle précis, il questionne l'ordre établit par essence et par son statut, mais plus encore c'est son(notre) rapport à la religion, aux croyances qu'il met sur la sellette. Tadanobu Asano est impeccable dans son rôle, il compose ce personnage fait de paradoxes avec aisance et presque en douceur. On notera qu'à l'instar de Daisuke Ryu, il a porté les combats aux sabres sans doublure. Ici, il combat avec deux sabres en même temps.
Ce film est un Jidaigeki, soit, mais c'est un Jidaigeki orchestré par Sogo Ishii, connu pour être la figure de proue du cinéma punk japonais. Il y a consacré une grande partie de son œuvre. Et ici il y a des accents, presque une couleur qui nous ramène à ce mouvement. Et il sont portés par un personnage créé pour le film, Tetsukichi interprété par Masatoshi Nagase qui comme personne offre à son personnage un regard désabusé mais plein d'humanité. Tetsukichi est un ancien maître forgeron qui fondait et fabriquait les armes et les moines soldats. Révolté par la société où il évolue, par ce qu'il a vu, par ce qu'il a vécu, il a décidé d’arrêter et vivote tout en collectionnant et étudiant les armes des morts. Si ce personnage est le visage de cette philosophie, son essence s'incarne à un moment où les villageois décident de brûler une maison collective où ils passent leurs nuits en disant :
«burn burn let it all burnwho care?Burn burn let it all burnit's the end of the worldand we don't care»
Un film de Sogo Ishii, est aussi un travail sur l'image intensif. Il en fait ce qu'il veut, c'est parfois audacieux, mais toujours riche. Il sait à la fois détourner la caméra quand ça l'arrange, jouer avec les flous, les clairs obscurs, les prises de vues... l'image est toujours riche de mouvement et de rythme. Les rares cgi, ne sont pas forcément les plus maîtrisés et cependant en l'état, ils donnent un coté décalé qui collent parfaitement avec ce film.
Ce long métrage s'inscrit dans l'histoire presque la mythologie du Japon et pourtant le réalisateur prend une liberté incroyable au moment de l'épilogue. Et ça paraît logique tant ce film historique questionne notre quotidien et notre identité. Le tout en se payant le luxe d’arrêter son récit où commence celui d'Akira Kurosawa dans les hommes qui marchèrent sur la queue du tigre. Cette œuvre est riche, foisonnante, vibrante, mais elle est aussi exigeante et demande à celui qui la regarde de se perdre et de se laisser immerger.