Tuer le dragon est la tâche fondamentale du héros. Serpent et dragon sont confondus dans la mythologie. On parle de l’un aussi bien que de l’autre. Ainsi, Apophis signifie Serpent Géant. Il personnifie (l’anthropomorphisme est omniprésent dans la mythologie) les forces obscures et mauvaises de la nuit.
Il est important de se souvenir dès l’abord que le serpent, animal de terre et d’eau, fut considéré comme protecteur. Symbolisant alors les forces vitales, il fut associé à la femme et à son pouvoir de donner la vie lorsque le rôle de l’homme lors de la procréation n’était pas encore connu.
Et Apophis livre un éternel combat au dieu solaire Râ à chaque crépuscule et à chaque aube. Dans la mythologie grecque, nous rencontrons un dragon femelle Python tuée par Apollon et la liste est longue et passionnante à découvrir (il faut nourrir son imaginaire).
Dans la religion védique et l’hindouisme, Vritra est un démon ayant la forme d’un serpent ou possédant des attributs dragonesques.
Vaincu par Indra, cela valut à ce roi des dieux le surnom de tueur du Dragon. L’Europe n’est pas en reste avec des héros tels que Siegfried, Tristan ou Saint Georges qui ont eu maille à partir avec des dragons.
Et bien sûr que des figures historiques furent crédités de tels actes héroïques lorsque vint le temps de rapporter leurs hauts faits héroïques comme le souligne Mircea Eliade à propos de ce grand maître des Hospitaliers de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, Dieudonné de Gozon.
Par le simple fait qu’il était un héros, Dieudonné de Gozon fut identifié par cet archétype du héros et une biographie mythique fut plaquée sur sa vie dans l’indifférence totale de ses véritables exploits mais dans laquelle cependant fut décrite son combat contre le dragon de Rhodes et lui valut le titre de Draconis Extinctor ou Vainqueur du Dragon.
L’image du dragon
Quel thème sous-jacent anime le dragon ? Que peut vouloir dire cette image du serpent qui franchit allègrement temps, espace et culture ? Retrouvons Mircea Eliade : Le dragon est une figure paradigmatique d’un monstre marin.
Cette figure servit de modèle pour décrire (personnification ou autre présence) le serpent primordial, symbole des eaux célestes dans leur obscurité, dans la nuit qui les entoure. Et on associe la mort aux ténèbres.
Autre association de cette figure mythique est qu’elle symbolise tout ce qui n’a pas encore acquis une forme, tout ce qui est encore virtuel donc informe.
La solution est que le dragon doit être conquis et détruit par les dieux eux-mêmes (ou par soi) afin que le cosmos puisse naître (ou bien que nous nous révélions à nous-mêmes).
Cette révélation qui accompagne la mort du dragon se retrouve dans le principe initiatique qui consiste en une mort symbolique puis en une nouvelle naissance (différent de la renaissance car il ne s’agit pas de naître autre tout en restant soi mais de naître en un nouvel être). Et l’être émane du virtuel, du latent, de l’indifférencié.
La mythologie babylonienne nous en donne un exemple avec l’histoire de Marduk venu au monde dans les abîmes aux eaux douces (les eaux salées des océans symbolisent le chaos).
L’entité primordiale Tiamat est souvent représentée comme un serpent géant. Notons que le terme primordial renvoie souvent à la déesse mère (ou Magna Mater) et effectivement, Tiamat, bien qu’elle personnifie les eaux salées des océans où règne le chaos, est considérée comme la mère de tout ce qui existe.
Que s’est-il donc passé pour que Marduk se sente obligé de tuer le dragon du Chaos Tiamat ?
Certains faits historiques décrivent que des rois de Martu (les Amorrites, peuple sémite qui occupa la Mésopotamie et le Croissant Fertile), amenèrent avec eux le dieu Marduk et que, manifestement, l’antique déesse de culture sumérienne Tiamat, censée avoir formé la première civilisation de l’humanité, faisait tâche dans le tableau des Amorrites et ceux-ci firent en sorte que Marduk tua son arrière-grand-mère et façonna alors tout ce qui existe dans l’univers créé (y compris les humains) à partir du sang, de la chair et des os de Tiamat.
Plus précisément, Tiamat est issue de la culture babylonienne. Elle est cependant inspirée par la véritable déesse sumérienne Nammu, elle aussi Magna Mater.
Et elle aussi déesse serpentiforme. Il fallait une grande Mère originelle à l’époque pour rassurer et de nos jours, nourrir l’imaginaire toujours affamé.
Le chaos n’est pas le néant. Il indique que la Nature existe (c’est Nammu elle-même) mais qu’au commencement, il y a Nammu, l’océan primordial (primordial encore une fois dans le sens d’une faculté à donner la vie) qui formait un grand Tout indifférencié.
Tout ce qui existe émane de la substance de la déesse. La déesse partage son essence fondamentale avec tout ce qui existe.
Le souci pour les Amorrites est qu’ils craignaient Tiamat, c’est-à-dire la Nature cruelle, arbitraire, sauvage.
Il fallait de l’ordre pour contrer cette menace, ce chaos informel. Marduk est arrivé à point nommé. Enfin, il faut accepter qu’il ait mis de l’ordre par une violence indescriptible, ce qui est un autre débat.
Une nature féminine, une humanité masculine
Il a fallu une déité patriarcale pour agir contre la nature. Cela aurait pu être de travailler avec la nature plutôt que de lutter contre elle. Cela reflète cependant l’évolution de la prise de conscience du moi, de l’ego dans l’humanité lorsqu’elle se différencia elle-même d’une psyché inconsciente mystérieuse et insaisissable parce que sans forme à appréhender.
Beaucoup de traditions religieuses s’ouvrent avec un être divin qui crée l’ordre à partir du chaos. Il y aurait donc un chaos originel. Historiquement, ce sont les migrations des peuples qui amenèrent leurs traditions dans des lieux aux traditions locales et que c’est de la confrontation de ces différentes traditions (des cultes nouveaux s’opposant aux vieux cultes des mondes anciens) que naquirent de nouvelles traditions et de nouveaux mythes.
AMENER LES PERSONNAGES A LA VIE