[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #36. Rounders

Par Fuckcinephiles

© 1998 - Miramax


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !



#36. Les Joueurs de John Dahl (1998)

Si le poker est un sport infiniment grisant à vivre et jouer, même s'il requiert une patience toute particulière et bien au-dessus la moyenne (seulement si l'on y joue sérieusement cela dit), en revanche à regarder, il perd décemment tout de sa superbe et devient, au mieux profondément ennuyant et au pire, franchement irritant.

Pas une petite prouesse donc sur le papier, de rendre attractive une péloche ou la moitié du temps des gens sont assis à jouer aux cartes, et les bonnes péloches sur le genre se comptent sur les doigts d'une main méchamment amputée.
Si The Gambler de Karel Reisz est la quinte royale - et indiscutable -, Casino Royal de Martin Campbell une belle paire d'As, Les Joueurs de John Dahl est quant à lui un solide full, une main qui en impose et qui joue gaiement la carte du jeu compulsif et glamour, ou l'addiction n'est pas tant dans l'absolu nécessité de gagner un maximum de billets verts, que dans l'effervescence et l'excitation de se sentir plus malin que son adversaire et de le battre à armes égales, pour la beauté du geste.

© 1998 - Miramax


" Si tu t’assieds à une table et qu’au bout d’une demi-heure t’as pas repéré le pigeon, c’est que le pigeon : c’est toi… "

Plus spot publicitaire pour se mettre à jouer et refiler la fièvre des cartes à son spectateur que de la campagne alarmante pour le rebuter à l'idée de ne pas tomber dans le piège dangereux des yeux d'argent (si le métrage était un film sur l'alcoolisme où la dépendance à la drogue, il mettrait très vite un bon gros coup de pied dans le popotin de toute désintox pour se faire une ligne avec un sourire satisfait), la péloche s'attache à compter les aléas de Mike McDermott, jeune étudiant en droit à New York qui est aussi doué pour le barreau que pour manipuler les cartes et tâter du poker.

Mais pas le poker luxueux et pimpant au coeur des casinos ou derrière un ordinateur gentiment calé sur son fauteuil, le poker du terrain, le milieu underground remplit de gros bonnets à qui il ne faut pas prendre trop d'argent, et encore moins en devoir.
En gros poisson arrogant qui se rêve requin, il prend l'argent de ses études - 30 000 $ - et part de la jouer sur la table du terrible Teddy KGB, big boss russe et vrai génie du game, qui fait du jeune loup son pigeon en quelques minutes, le lessivant sur une partie de Texas Hold'Em Sans-Limite - les parties les plus fructueuses et risquées, sur lesquelles se jouent les championnats du monde.
Obligé par sa petite amie de se ranger, Mike fait profil bas, cumule job de nuit et cours le jour pour se refaire, et semble même totalement sobre jusqu'au jour ou, neuf mois après la déroute, son BFF Worm, sort de taule et le fait replonger dans une escalade de mauvais choix où il va devoir éponger une dette qui n'est pas la sienne, et mettre autant son avenir que sa vie en jeu...

© 1998 - Miramax

" On peut tondre un mouton plusieurs fois, mais on ne peut le dépecer qu’une seule fois. "

Vraie bande savante (elle connaît vraiment bien son sujet) et divertissante, surfant sur le concept louche et osé de romantiser un sport/jeu qui consiste essentiellement en un tour des tables de NY et Atlantic City autour de techniciens géniaux/épuisés vivant uniquement pour les brèves vagues d'adrénaline générées par les risques parfois insensés de vouloir faire tapis de ce qu'ils possèdent ou peuvent emprunter, Rounders capte la ferveur qui imprime l'adn des jeux de hasard, la combinaison étrange, pénétrante (tellement qu'elle en est addictive donc chez certains) et pourtant désagréable à la fois, de sensations fortes, de peur et d'implication extrême - à tous les niveaux -, comme si notre vie dépendait littéralement de chaque carte jetée dans la partie.

Une vision de tous les types de joueurs possibles (la légende rangée - Knish -, le juge jouant par " plaisir " - le professeur Petrovsky -, le gros bonnet expérimenté - Teddy KGB -, le génie frondeur - Mike - le technicien arnaqueur - Worm -,...), entre drame léger - malgré des enjeux bien réels et palpables -, le polar néo-noir mais pas trop (rappelant le précédent long du cinéaste, The Last Seduction) et la comédie bien huilée, jouant pleinement des contrastes entre ses anti-héros (hors l'affrontement final, les meilleurs scènes sont dans les parallèles entre Worm et Mike, notamment celle à Atlantic City ou tous les " pros " font les poches aux touristes naïfs), le film embrasse même la folie enthousiasmante du film sportif à la Rocky (la justesse d'écriture, de l'empathie pour les personnages et de la gestion dramatique en moins, évidemment), grand affrontement final en prime et nécessité presque obligatoire, de voir le héros gagner/s'en sortir à la fin.

© 1998 - Miramax


" On ne se sent vivant que lorsqu’on marche sur un fil. Le reste du temps, on le passe à attendre. "

Incarné à la perfection par une imposante galerie de comédiens impliqués, n'hésitant jamais à flirter avec la frontière du cabotinage si besoin (John Malkovich est un maître en la matière, Norton récite habilement à panoplie De Niro-esque dans Mean Streets), moins réaliste qu'un The Gambler - référence ultime du genre -, mais suffisamment infusé par l'esprit du poker qu'il en devient parfois profondément génial (bien aidé par un score jazzy et grave du grand Christopher Young), Les Joueurs est un vrai petit B movie punchy, grisant et prenant, sur un génie des cartes qui se ment à lui-même en réfrénant ses pulsions et son attirance pour le jeu.

Un tigre ne change pas ses marques, tout comme un champion n'abandonne jamais vraiment le terrain... ou les tables.


Jonathan Chevrier