Avatar ou Pocahontas sont-ils vraiment différents ? N’est-ce pas la même histoire ? Ou plutôt ces deux histoires ne se fondent-elles pas sur une même structure dramatique ?
Prenons un autre exemple (cité par John Yorke). Un monstre menace la communauté. Un homme prend sur lui de tuer le monstre et de restaurer la paix dans le monde.
Les dents de la mer répond plutôt convenablement à cette prémisse. Le poème épique Beowulf que ce soit le combat contre Grendel, la mère-ogresse ou la dragon des Goths conte aussi les hauts faits d’un héros pour tuer des monstres.
Et nous pouvons rajouter à la liste The Thing, Jurassic Park, Godzilla, Le blob qui contiennent aussi en leur sein un monstre à abattre.
Le monstre est un archétype. Et même davantage un genre selon Blake Snyder. Il suffit maintenant d’incarner le monstre soit physiquement, soit lorsqu’une entité s’empare de l’esprit du héros et le même type de structure dramatique se répétera : dans la série Les experts, dans Shining, dans L’exorciste, dans Fatal Attraction ou Psycho.
Erin Brockovich nous dépeint même un monstre tentaculaire si présent dans notre propre réalité. Dans toutes ces histoires, nous retrouvons dans leur fondement une structure similaire. Un opposant, un adversaire, un antagoniste devront être vaincus afin de restaurer l’ordre dans la communauté.
Loi, ordre, stabilité de la société à travers le combat d’une communauté est un thème qui s’appuie sur une structure identique pour s’exprimer. Et s’il y a critique de l’œuvre, ce ne sera pas sur la structure qu’elle portera.
La prémisse porte en elle sa structure dramatique
Considérons qu’un héros découvre un nouveau monde. D’abord, il est fasciné par ce monde qu’il ne connaît pas mais les choses ne semblent pas ce qu’elles paraissent être.
C’est la prémisse de Alice au pays des merveilles, du Magicien d’Oz et cette prémisse n’implique pas seulement le fantastique car ce type de monde qui cache sa vérité sous les apparences se retrouve dans Retour à Brideshead de Evelyn Waugh, La ligne de beauté de Allan Hollinghurst et d’autres encore.
Autre prémisse qui se décline facilement et qui continue cependant d’innover : La communauté est en péril et comprend qu’il lui faut trouver un élixir qui se trouve dans un pays lointain. Alors, un héros ou désigné comme tel décidera de faire le dangereux voyage dans l’inconnu pour sauver la communauté.
Les aventuriers de l’Arche perdue, les romans arthuriens, Le Seigneur des Anneaux se fondent littéralement dans la même structure dramatique qu’une telle prémisse implique.
Et si nous optons pour des mondes plus terre à terre, nous pouvons y ajouter Master and Commander, Il faut sauver le soldat Ryan, Usual Suspects, Thelma et Louise…
En quoi des histoires peuvent-elles être similaires ?
Malgré leur similarité, elles sont innovantes parce qu’elles sont à propos d’individus jetés (et souvent malgré eux) dans des mondes inconnus et terrifiants. Beowulf, Alien et Les dents de la mer ne sont pas des films de monstre. Cette expression ne veut rien dire.
Et dans les quêtes comme Apocalypse Now ou Le monde de Nemo, les héros affronteront à la fois un monstre (symbolique) et l’étrangeté d’un monde qui leur est inconnu. Un monde qui reflète d’ailleurs la totale méconnaissance que nous avons de nous-mêmes.
Un titre comme Witness rappelle même un héros qui doit accomplir une sorte de quête et qui a aussi ses propres démons intérieurs à vaincre.
Un moteur narratif semblable
Superficiellement, ces histoires sont différentes mais elles partagent un même cadre narratif. Elles jettent leurs personnages dans un monde qui leur est inconnu (ce serait beaucoup moins dramatique autrement si les personnages savaient se débrouiller dès l’abord dans les situations problématiques qu’ils rencontrent).
Toutes ces histoires parlent d’une quête. C’est une quête personnelle car lorsqu’on aura trouvé ce à quoi nous aspirons, nous serons saufs et reprendrons le chemin du retour.
Quant à l’apparence du monstre, elle s’adapte au genre de l’histoire. Et qu’il soit vaincu ou non est de la responsabilité de l’auteur.
Intuitivement, nous recopions sans même les connaître des histoires que des cultures différentes se sont passées de générations en générations. Le temps et les lieux n’affectent pas les motifs qui se répètent puisque ceux-ci continuent de se réinventer.
Peut-être pouvons-nous parler d’imaginaire collectif ou d’un universel archétype. Quoi qu’il en soit, il existe une structure et nous l’absorbons et nous la régurgitons toute fraîche et dans la joie.
Probablement la tâche de distinguer une structure dramatique universelle est une aporie et nombreux sont ceux et les écoles qu’ils représentent ou non ont tenté l’aventure.
Comme le principe par exemple de l’incident déclencheur. On nous explique sa présence, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Cependant, parfois, on aimerait bien connaître la nécessité d’un incident déclencheur. Pourquoi doit-il y avoir un incident déclencheur et si nous décidons d’en faire l’économie, pourquoi prenons-nous le risque de frustrer le lecteur ?
Montrer comment les choses se font sans expliquer pourquoi elles doivent se faire, voilà qui est frustrant. Et on s’aperçoit alors que la théorie (qui est par ailleurs très utile) est loin de nous apporter toutes les réponses.
Alors doit-on sans se questionner adopter le principe de l’incident déclencheur ou de suivre les 12 étapes du Hero’s Journey tel que l’a deviné Joseph Campbell ? Bien que Campbell ait apporté une explication en décrivant le monomythe, un concept qui lui est propre et difficile d’accès (la difficulté ne devrait cependant jamais être un frein).
Répondre à l’exigence du lecteur
Comme l’étude du monomythe ou d’autres concepts compliqués le laisse entrevoir, peut-être est-il suffisant de comprendre qu’une multitude d’intrigues partagent un même motif parce que c’est ainsi que le lecteur exige certaines choses. Et l’auteur répond à cette uniformité.
Et d’autant plus facilement que cette multitude d’intrigues partage les mêmes traits structuraux sous-jacents. Peut-être est-il préférable de se poser quelques questions et d’y apporter une réponse personnelle. Par exemple, s’intéresser aux différentes structures qui sont promues par tant d’auteurs différents qui disent souvent à peu près la même chose. L’important serait encore de déceler les subtiles différences qui existent entre eux.
Observer le fonctionnement des séries est aussi un bon moyen de trouver sa façon d’écrire. En particulier, comment elles placent les lignes dramatiques de tant de personnages simultanément (enfin d’épisodes en épisodes. C’est ainsi qu’il arrive que le héros d’une série n’apparaisse pas du tout dans un épisode).
Vous pourriez aussi vous interroger sur les raisons qui font qu’un protagoniste (le vôtre peut-être) doit être proactif. Reconnaissons toutefois qu’au début de l’acte Deux, le héros subit plus qu’il n’agit de lui-même.
Faites des recherches aussi sur la façon dont une structure s’impose d’elle-même dans les séries télévisées. Cherchez à comprendre pourquoi en plaquant une structure sur une série, vous gagnez en qualité de celle-ci. Alors qu’une série déstructurée ne rencontrera probablement pas son public.
Interrogez-vous sur ce que signifie le terme dramatique. Ce que signifie dramatique est ce qui fascine le lecteur. Assurez-vous que votre récit, votre façon de raconter les choses, n’oublie pas d’imprégner votre histoire de cet aspect dramatique nécessaire, c’est-à-dire essentiellement le concept de conflit, de situation conflictuelle.
Demandez-vous pourquoi tant de personnages doivent mourir dans ce contexte dramatique. Vos interrogations doivent vous permettre d’identifier des bases communes entre les différentes histoires. Par exemple, dans les thrillers, pourquoi les flics sont-ils presque toujours des marginaux ? Ou des francs-tireurs qui poussent leur anticonformisme jusqu’à nier l’autorité qu’ils sont censés défendre ?
Montrez-vous curieux. Par exemple, demandez-vous pourquoi une série télévisée vient de lancer en production sa quatrième saison. Parce qu’au-delà de la troisième saison, n’importe quelle série prend le risque de ne plus être qu’une parodie de ce qu’elle fut dans ses trois premières saisons.
Et si vous avez un projet en cours, reprenez vos personnages et assurez-vous que non seulement, c’est le contexte dramatique qui les justifie (ou du moins qui justifie leur présence dans votre histoire) mais aussi et surtout qu’ils sont partie intégrante de votre structure narrative (et en particulier les relations qu’ils entretiennent entre eux).
Une structure humaine
Ce questionnement personnel devrait vous faire comprendre que l’art de conter n’est pas une construction. On n’assemble pas des briques dans un certain ordre pour raconter une bonne histoire. Certes, les briques seront nécessaires pour dire les choses que l’on a l’intention de dire, mais si vous êtes suffisamment curieux sur cet art que vous souhaitez vôtre, vous vous apercevrez que la structure dont vous avez besoin pour écrire votre histoire est simplement un produit de la psychologie humaine, du moins quelque chose de profondément humain. Rien de mécanique parce qu’on emploie le terme de structure.
Néanmoins, une structure s’avérera indispensable pour bien écrire. En prenant simplement de la distance, en ne recopiant pas naïvement ce que d’autres préconisent, vous garderez fraîcheur et originalité dans vos écrits.
Sinon, voici ce que dit Guillermo Del Toro : Il faut libérer le créateur de la théorie. Il ne faut pas lui imposer un corset dans lequel il doit glisser son histoire, sa vie, ses émotions, ce qu’il pense du monde. Certains ont lu Joseph Campbell ou Robert McKee et depuis, ils veulent vous imposer le Hero’s Journey. Il ne faut pas céder à de tels propos.
Se conformer à une structure serait une trahison. Ce n’est cependant pas la structure qui est en cause. Plutôt la conformité sans questionnement dans le suivi aveugle d’une structure que l’on ne comprend pas.
Et c’est ainsi que la médiocrité se substitue au génie.
Parce qu’au fond, on suit tous à peu près le même modèle (par exemple, concevoir son récit en trois actes). Il n’y a pas plus de délit d’orgueil d’être conforme comme non-conforme envers un modèle. Se contraindre (soi-même s’entend) à un ordre, essayer d’expliquer les choses et même les catégoriser est une tendance naturelle.
Et en voulant tout expliquer de la vie, on finit par ne plus la voir. Donc, suivre une structure sans trop se préoccuper du pourquoi du comment mais seulement profiter de la riche diversité que nous offre l’écriture (qu’elle soit de documentaire, de fiction dramatique, ou même un mémoire) ne desséchera pas notre génie pour autant.
L’auteur est d’abord un artisan
Écrire, c’est un métier. Et l’artisan de l’écriture qui produit quelque chose doit connaître son métier. Cet art inné et acquis possède sa propre grammaire. Dans l’écriture, cette grammaire singulière est la structure dramatique. Ce n’est pas une construction de l’esprit. Au contraire, c’est une magnifique manifestation des rouages intriqués de l’esprit humain.
Comprendre comment fonctionne cet esprit humain est un peu secondaire. De toutes façons, il est peu utile de lutter contre lui. Dans l’écriture, l’esprit humain impose la structure. C’est d’ailleurs le cheval de bataille de la théorie narrative Dramatica qui considère qu’une histoire est précisément une imitation du fonctionnement de l’esprit humain lorsqu’il est confronté à un problème qu’il doit résoudre. C’est plus fort que nous (on ne peut pas en nier la nécessité) mais il faudra suivre quelques règles.
Et puis avant de briser les règles, autant les connaître.