Les Misérables (2019) de Ladj Ly

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Membre du collectif Kourtrajmé créé en 1994 avec Kim Chapiron et Romain Gavras, soutenu aussi et surtout par Vincent Cassel et Mathieu Kassovitz, Ladj Ly a surtout fait ses armes dans le documentaire avec entre autres "365 Jours à Clichy Montfermeil" (2007) sur les émeutes de 2005 ou "A Voix haute - la Force de la Parole" (2017) sur l'éloquence. Ce nouveau projet, son premier long métrage de fiction, est adapté de son court métrage éponyme de 16mn "Les Misérables" (2017) pour lequel il a été particulièrement remarqué avec en prime un e nomination au César du meilleur court métrage 2018. Le succès l'amène donc à étoffre l'histoire pour en faire un long métrage avec presque la même équipe. Pour l'assister au scénario Ladj Ly a collaboré avec son ami et acteur Alexis Manenti, puis avec Giordano Gederlini scénariste des films "Tueurs" (2017) de François Troukens et Jean-François Hensgens et "Duelles" (2019) de Olivier Masset-Depasse. Ladj Ly insiste sur le fait que tout ce qui est raconté dans le vie est issu de son expérience personnelle : "Tout ce qui est dedans est basé sur des choses vécues : la liesse de la Coupe du monde évidemment, l'arrivée du nouveau flic dans le quartier, et surtout les flics, je faisais de copwatch. Dès qu'ils débarquaient, je prenais ma caméra et je les filmais, jusqu'au jour où j'ai capté une vraie bavure. Dans le film, l'histoire du vol du lionceau déclanchant la colère dse gitans propriétaires du cirque est également vécue... J'ai voulu montrer toute la diversité incroyable qui fait la vie des quarties. J'habite tous jours ces quartiers, ils sont ma vie et j'aime y tourner. c'est mon plateau de tournage !"...

On suit Stephane flic qui intègre la Bac de Montfermeil (93) où il a pour nouveau partenaires Chris et Gwada. Il découvre les cités, mais aussi les méthodes de travail de ses collègues jusqu'au jour où un drône filme une bavure... Les trois flics sont incarnés par les mêmes acteurs que le court métrage, le moins connu Djebril Didier Zonga aperçu dans "C'est Tout pour Moi" (2017) de Nawell Madani et Ludovic Colbeau-Justin, Alexis Manenti aperçu dans de petits rôles ou apparitions dans des films comme (2014) de Fred Cavayé, "Dans la Brume" (2018) de Daniel Roby et "Voir du Pays" (2016) des soeurs Coulin après lequel il retrouve son compère Damien Bonnard qui lui explose en cette année 2019 avec plusieurs films dont "Blanche comme Neige" (2019) de Anne Fontaine, "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry, (2019) de Lou Jeunet et (2019) de Roman Polanski. En prime on notera le rôle du commissaire interprétée par Jeanne Balibar qu'on avait pas vu au cinéma depuis (2018) de Pawel Pawlikowski... Vu l'histoire de ce film on pense évidemment à quelques films sur le sujet comme (1995) de Mathieu Kassovitz, "Ma 6-T va Crack-er" (1997) de Jean-François Richet, "La Cité Rose" (2013) de Julien Abraham, (2015) de Jacques Audiard et (2016) de Houda Benyamina. Comme trop souvent, on notera d'abord plusieurs incohérences techniques du monde policier, par exemple il n'y a jamais eu de mandat de perquisition en France (ça regarde trop les séries américaines !), et surtout on nous martèle trop que le personnage de Stéphane est un nouveau, un jeune, un débutant alors même que le film explique qu'il est brigadier, qu'il vient de province et qu'il a déjà été en service bac, en gros on peut dire qu'il a minimum une quinzaine d'années de services ; on est loin du "bleu bite" (pour parler jargon !). Par là même, Ladj Ly insiste beaucoup sur le racisme et surtout la bêtise du chef Chris au point que ça devient une caricature, dommageable vis à vis du style réaliste choisit et affirmé du cinéaste. Rappelons que Ladj Ly "n'a pas voulu montrer de "gentils jeunes contre les méchants flics" : "Le Maire" a un côté éducateur et en même temps un peu crapuleux, les flics pareils, ils sont tour a tour sympas, dégueulasses, humains... On navigue dans un monde tellement complexe que c'est difficile de porter des jugements brefs et définitifs. Les quartiers sont des poudrières, il y a des clans, et malgré tout, on essaye de tous vivre ensemble et on fait en sorte que ça ne parte pas en vrille. Je montre ça dans le film, les petits arrangements quotidiens de chacun pour s'en sortir"... Et pourtant, jamais on ne perçoit le côté "éducateur" du Maire, on ne nous montre jamais Chris sympa (la solution est de contre-balancer avec Stephane), ça reste des personnages trop définitifs justement.

Néanmoins on ressent une vraie sincérité dans le propos, on ressent effectivement la volonté de Ladj Ly d'être au plus près de la réalité du quotidien, on ressent le vécu même si c'est forcément dirigé ; être objectif et non manichéen est une gageure extrêmement difficile, et si il y a des maladresses on salue le travail de Ladj Ly sur ce qu'on peut deviner en amont, son introspection. Les petits trafics sont omniprésents, les caïds aussi, comme les cowboys ("justement c'est ce que tu n'as pas compris, on ne joue pas nous !"), mais le réalisateur n'oublie pas aussi le travail dantesque et la pression inouïe subit par les policiers de terrains. On en revient au manichéïsme, Ladj Ly fait des efforts pour tenter d'être objectif et c'est tout à son honneur. Par là même on constate que le réalisateur a évité les écueils habituels du genre avec une mise en scène clippesque et la BO forcément Rap : "J'ai expurgé des clichés comme la drogue, les armes, et en effet, la musique est plus électro que rap. Même dans la façon de parler, j'ai voulu éviter les poncifs du film-banlieue"... Et sur ce paramètre, chapeau bas, Ladj Ly montre une autre facette tout en étant bel et bien dans l'immersion. Le réalisateur a ensuite l'intelligence de montrer que les flics sont des gens comme les autres et finalement, peut-être, plus proches qu'on ne le croit des problématiques de cités. Ensuite il aurait sans doute dû écourté son film, la dernière partie est impressionnante mais aussi démonstrative et trop donneuse de leçon surtout après le face à face entre les deux flics au bar. Là, on sent que la nature revient au galop, le côté "neutre" du cinéaste se prend légèrement les pieds dans le tapis. En conclusion, Ladj Ly a un talent certain, impressionne par sa volonté et l'acuité de son propos. Et si le film reste légèrement à charge la sincérité de l'entreprise et un scénario malin en font un polar social d'une réelle efficacité. Un vrai petit uppercut donc, petit, mais uppercut tout de même. A voir et à conseiller.

Note :

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