Pour Joseph Campbell, il n’existe pas de vraie différence entre héros de cultures différentes. Ce serait le degré d’illumination ou d’éveil après l’initiation, donc leurs actions, qui les rendent apparemment différents.
Au commencement le héros s’occupait essentiellement de tuer des monstres. Ce que cherchait à faire le héros, c’était de faire d’un monde sauvage, hostile, amorphe (enfin d’une forme inadaptée à l’homme) un lieu de séjour agréable à la survie de l’être humain.
Tuer des monstres revenait à vaincre toujours un peu plus l’ignorance.
Le héros évolue avec le temps parce que la culture (les concepts, les idées, les récits, l’histoire) à laquelle il appartient évolue aussi. Moïse, par exemple, est déjà une figure héroïque lors de son ascension de la montagne et revenant avec les règles pour une toute nouvelle société.
On y reconnaît trois des étapes fondamentales du parcours héroïque : le départ, un accomplissement et le retour pour partager ce qui a été appris ou révélé.
L’aventure elle-même se déroule entre ces étapes et les aventures vécues peuvent être comparées à d’autres traditions sans qu’on découvre de nouvelles aventures. Elles sont similaires.
Bouddha et le Christ
Considérons Bouddha et le Christ. Pour Christ, en particulier, le séjour au désert. L’idée de ces exemples est de démontrer que ces épisodes de la vie du Christ et de Bouddha sont précisément des formules héroïques parfaites.
Au désert (relaté par Luc), donc, Christ fut tenté trois fois par Satan. La première fois, après un jeûne de 40 jours et de 40 nuits, Jésus commença à avoir vraiment faim.
Le démon lui fit alors une proposition que Joseph Campbell considère comme économique. Peut-être faut-il y voir le rôle transcendantal de la spiritualité en dépassant la simple utilité économique ou matérielle. D’où l’emploi par Campbell de ce thème.
Le démon dit alors à Jésus : Si tu es vraiment le Fils de Dieu, jeune homme, ordonne que ces pierres deviennent des pains et Jésus répondit, citant le Deutéronome, Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
La seconde tentation est d’ordre politique. Satan emmena le Christ sur une haute montagne afin d’y poser son regard sur les nations et leur gloire alentour. Le démon offrit au Christ de posséder le monde : Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes pour m’adorer (c’est d’ailleurs un thème que l’on rencontre souvent).
Et Jésus lui répondit : Arrière, Satan ! Car il est écrit : c’est devant le Seigneur, ton Dieu, que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras.
La troisième tentation qui a lieu à Jérusalem pour Luc (probablement pour rappeler le lieu de la crucifixion du Christ) teste la spiritualité de Jésus qui est manifestement le plus gros obstacle pour Satan.
Du haut du temple de Hérode, Satan dit au Christ : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : il donnera pour toi des ordres à ses anges, et ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.
Ce à quoi Jésus lui répondit de manière péremptoire : Tu ne mettras point à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.
Mara, le démon tentateur équivalent de Satan
Mara, qui signifie la mort, est, dans le bouddhisme, l’esprit tentateur qui essaya d’empêcher Siddhartha Gautama, le futur Bouddha, d’atteindre à l’éveil (l’éveil est une caractéristique majeure du bouddhisme).
Alors que Siddahartha méditait au pied de l’arbre de Bo, l’Arbre de la Sagesse, Mara envoya ses filles danser autour de lui.
Qui résisterait à une telle grâce ? Mais le Bouddha n’ouvrit pas les yeux et les filles disparurent.
Les formes sont différentes. Ce sont des histoires ou des aventures à part entière mais le fond communique un message similaire. L’abstinence mise en avant dans un cas comme dans l’autre nous rappelle que la spiritualité devrait guider nos vies. Ce n’est pas une incitation à vivre comme l’anachorète.
Cela nous dit simplement que le retour à Dieu ou du moins au sacré que Mircea Eliade considérait comme un guide, une orientation pour nous, implique le refus du commerce des créatures, de l’usage des biens sensibles car cela séduit et corrompt l’âme humaine.
Bouddha tout comme le Christ nous rappellent que Dieu est esprit et lui rendre un culte digne consiste à se séparer du corps, et pour l’individu en tant que créature, cela est très difficile à cause de la cécité de notre orgueil à tant vouloir exister.
Dans cette histoire du Bouddha, ce sont surtout les passions qui sont mises à l’épreuve. Les filles évoquaient la luxure mais Mara envoya aussi des hordes de démons effrayants pour troubler le vœu de méditation de Siddhartha.
Mara nous renvoie à une réalité de nous-mêmes, celles de nos passions et de nos désirs terrestres qui sont comme une prison.
Une troisième tentation serait probablement celle du doute que Mara tenta d’insinuer en Siddhartha devenu le Bouddha après son éveil.
Pour Campbell, ce sont bien là aussi trois tentations. Ce chiffre trois est important par sa symbolique même. En voici quelques sens symboliques : Trois est un symbole pour le passé, le présent et le futur. Il l’est aussi pour marquer la naissance, la vie et la mort ou encore le corps, l’esprit et l’âme et partant, au Père, au Fils et au Saint-Esprit.
Un parcours héroïque
Le symbolisme est fortement ancré dans nos esprits. Jung parle même d’un imaginaire collectif. J’utiliserai moi aussi ce chiffre trois dans une activité plus pragmatique. Nous avons notre héros (notre protagoniste) qui essayera de vaincre un obstacle. Il ne réussira pas la première fois car cela tue le conflit et n’est pas satisfaisant pour le lecteur.
A contrario, j’ai besoin de rendre la situation conflictuelle. Pour cela, il me faut donner aussi du suspense et de la tension dramatique à l’action. Mon personnage fera une seconde tentative.
Il échouera aussi parce que l’intensité de cette séquence n’est pas encore suffisamment puissante. La scène ne fonctionne pas. Il lui manque encore de cette force qui rive le lecteur sur l’action.
Cependant, la troisième fois sera la bonne. Je ne dois plus insister parce que je trouve le conflit beau car le lecteur ne me suivra pas dans cette démarche.
Si mon personnage ne parvient pas à obtenir ce qu’il veut lors de sa troisième tentative, le lecteur se lassera de le voir ainsi s’arc-bouter sur quelque chose qu’il ne peut manifestement pas avoir.
La troisième tentative sera soit un échec définitif ajoutant à l’aspect dramatique ou au message de l’auteur soit elle sera un succès et l’intrigue continuera forte de cette nouvelle information ou condition comme a priori pour continuer son développement.
Joseph Campbell voit un parallèle entre les histoires du Christ, de Bouddah, de Mohammed (Mahomet) ou de Moïse. Il y perçoit les mêmes étapes héroïques, les mêmes actes spirituels dans le fait que ces hommes sont revenus de leur périple, ont choisi des disciples qui les ont aidé à promouvoir une nouvelle conscience, une nouvelle manière de voir les choses selon ce qu’eux-mêmes avaient découvert dans leur retraite ou autre.