Lorsque l'univers étendu DC Comics a été officialisé, l'espoir était de mise, celui de voir autrement les films de super-héros. Car depuis plus de 10 ans les CBM (comic book movie) sont devenus monnaie courante au cinéma et Marvel avec son univers cinematographique écrase l'industrie de sa présence, mais surtout de sa réussite, laissant peu de place à la concurrence. Et pour le tandem DC/Warner ça a marché un certain temps, avec des films certes perfectibles, mais qui avaient énormément de personnalités, avant quelques incidents et des films plus consensuels. Si le DCEU existe toujours, grâce notamment aux succès d'Aquaman et de Wonder-Woman, il relève difficilement la tête ! Et je dirai même que son existence semble incertaine, notamment à la vue des projets qui se montent tels que la trilogie Batman, sans Ben Affleck qui désormais vogue loin du masque de la chauve souris, ou encore de l'avènement du « Joker » sous le label encore un peu obscur « DC/Dark ».
Ce label est la porte de sortie idéale pour la paire DC/Warner ! Elle garde le DCEU d'un côté, mais de l'autre elle peut faire des films, loin du modèle inattaquable du « M.C.U » sans avoir la pression du résultat, vital pour pouvoir rendre ça pérenne ! C'est ainsi qu'on trouve un projet comme « JOKER », avec le réalisateur Todd Phillips, derrière la trilogie Very Bad Trip et l'un des meilleurs acteurs de sa génération, l'imposant et charismatique Joaquin Phoenix. Un cocktail inattendu qui a engendré foule d'interrogations, avant de faire taire tout le monde …« Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société. »
Le premier truc qui frappe quand on découvre le Joker, ce n'est pas tant la beauté de la photographie, ni l'atmosphère poisseuse qui se dégage de Gotham, mais bien ce sentiment profond d'un univers tangible et réel, comme s'il était la caisse de résonance fantasmé de notre monde moderne. Mais voilà malgré cette première impression, n'oublions pas que nous sommes avant tout dans un film, un CBM, réalisé par Todd Philips, qui nous raconte l'histoire de l'antagoniste favori de Batman. Un point de vue loin d'être habituel dans cette industrie et c'est bien là, le plus intéressant …
L'histoire que concocte Todd Phillips et Scott Silver (8 Mile, Fighter) nous entraîne sur des sentiers peu fréquentés, loin des carcans habituels du « batmanverse ». S'ils s'inspirent de « The Killing Joke » d'Alan Moore et Brian Bolland d'un côté, ils choisissent malgré tout d'inventer leur histoire et de raconter une autre origine au fameux Joker, qui se nomme ici Arthur Fleck. La vie de ce personnage au combien tragique, ce télescope avec la déliquescence de son monde, un monde plus dur et plus impitoyable, ou plus le temps passe et plus c'est la loi du plus fort (plus riche) qui prévaut ! Un parti pris étonnant, car on sait bien au fond de nous comment cela finira, mais il se révèle malgré tout des plus pertinent. Interrogeant notre conception du bien et du mal, de la justice, de l'égalité, mais surtout il triture cette frontière ténue qui peut voir basculer la plus inoffensive des personnes vers la violence la plus insoutenable.C'est un aspect de l'histoire qui est intéressant et clivant, notamment dans le contexte actuel. Le « JOKER » est la figure du méchant par excellence, mais ici, il trouve un autre rôle, une stature différente qui trouve un écho favorable auprès des gens, notamment dans certains pays en proie à des mouvements sociaux d'envergures. Parce que si on occulte le côté « Comic-Book » du film, « Joker » dépeint quoi ? Un monde polarisé, de plus en plus inégalitaires, ou les élites n'osent descendre de leurs tours d'ivoire, si ce n'est pour mépriser les gens ou simplement pour se réunir ensemble alors que la colère gronde. Le raccourci est peut-être facile, voir grossier, ce que j'entends, mais il existe et le succès phénoménal qu'il connaît n'est pas anodin, car au-delà de la qualité , une partie du public se reconnaît là dedans …
Comme dit plus haut, « JOKER » en plus d'avoir une histoire intéressante, ainsi que des pistes de réflexions pertinentes, il est aussi un film de qualité, ce dont j'ai douté jusqu'à ce que je constate ça de mes yeux. Todd Phillips que je n'avais vu diriger que des comédies, m'a agréablement surpris avec ce film. Il a digéré la filmographie de certains cinéastes, tels que Scorsese, ou encore Lumet, pour nous délivrer ce CBM fort peu commun, en réalisant quelque chose d'anti-spectaculaire, l'antithèse de n'importe quel produit Marvel (désolé pour l'attaque). Construit comme un crescendo, Phillips prend indéniablement son temps, pour qu'on saisisse au mieux la complexité de ce « JOKER », de son joker. Si certain trouve qu'il manque d'ambiguïté, il ne faut pas oublier qu'on a devant nous un personnage qui n'est pas le « joker ». C'est juste un gars, en marge, qui ne sait plus comment faire pour affronter la réalité, qui a force de blessures, d'humiliations, de rejets, de coups et de désillusion, plonge dans une autre qui nous échappe …
Et c'est vraiment bien amener,car on subit les évènements, la gratuité des actes, on a mal avec Arthur Fleck ! Todd Phillips maitrise cela avec talent, le montage est bon, le rythme maîtrisé et il sait aussi livré des instants qui restent en tête, tel la séquence du métro, la séquence de l'escalier (avec une belle adéquation musique/jeu de Joaquin Phoenix) ou encore la séquence sur le plateau tv, qui est pour moi inoubliable. Il ne faut pas oublier aussi, l'immense partition de la compositrice Hildur Guðnadóttir qui est indissociable de l'atmosphère du film, ainsi que toutes les personnes ayant travaillés sur la photographie ou la direction artistique, qui sont toutes les deux vraiment réussies et très agréables à regarder. Quant aux acteurs, si on ne devait en retenir qu'un, cela serait évidemment Joaquin Phoenix, étincelant dans le rôle du Joker.