Que pourrait-on dire d’emblée du réalisme magique ? Que le quotidien devient magique. Le réalisme magique est un genre qui mêle le fantastique et le mythe dans la vie de tous les jours.
Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui est imaginaire ? Difficile à dire dans le monde au réalisme magique.
Dans ce monde, l’ordinaire devient extraordinaire. Et tout comme dans le merveilleux, la magie est banalisée sauf que, peut-être, dans le réalisme magique, la magie est encore surprenante même si les personnages semblent s’en accommoder.
Un questionnement
C’est effectivement ce qu’est d’abord le réalisme magique. Ce n’est pas tant un genre en fin de compte. Mais un auteur qui s’interroge sur la nature de la réalité.
Pour ce faire, son récit sera à la fois factuel et d’une sorte d’imaginaire transcendant pour révéler certaines vérités à propos de la société des hommes et de la nature humaine.
Des œuvres à la fois réalistes et figuratives suggèrent ainsi un sens caché. Elles prennent un air de mystère et d’enchantement.
Alors que le fantastique est une irruption soudaine dans la réalité d’un monde, par ailleurs totalement accessible au lecteur, le réalisme magique pénètre sans effraction dans la vie de personnages ordinaires. Avec le réalisme magique, on en vient à souhaiter que la magie soit réelle.
Certes, il y a une étrangeté à l’œuvre dans le réalisme magique.
C’est en 1925 que le critique d’art Franz Roh créa le terme de Magischer Realismus pour décrire des œuvres d’artistes allemands qui représentaient des sujets courants avec une distance que l’on qualifie ordinairement d’étrange, voire d’inquiétante.
En littérature, c’est l’auteur cubain Alejo Carpentier qui introduisit dans son essai de 1949 le concept de Lo real maravilloso que l’on peut traduire par le réel merveilleux (le merveilleux est d’ailleurs une notion plutôt latine que anglo-saxonne).
Pour Alejo Carpentier, l’Amérique Latine porte naturellement une aura de fantastique. Et c’est en 1955 que le critique littéraire Angel Flores adopta ce terme de réalisme magique pour définir les travaux d’auteurs latins qui transformaient le commun et le quotidien en quelque chose d’irréel et surprenant.
L’Amérique Latine et son réalisme magique
On admet que Jorge Luis Borges (1899 – 1986) a beaucoup contribué à jeter les bases de ce mouvement artistique en littérature de l’Amérique Latine en distinguant celle-ci des œuvres d’auteurs européens tels que Kafka.
D’autres auteurs latins ont aussi largement contribué à développer le réalisme magique : Isabel Allende, Miguel Angel Asturias, Laura Esquivel, Elena Garro, Romulo Gallegos, Juan Rulfo et bien sûr Gabriel Garcia Marquez.
Un monsieur très vieux avec des ailes immenses est une bonne introduction au réalisme magique en général et à celui de Gabriel Garcia Marquez en particulier. C’est une courte nouvelle dans laquelle Marquez dépeint des événements incroyables d’une manière très simple pour ne pas dire terre-à-terre.
Il est possible qu’il s’agisse d’un ange mais rien ne permet vraiment de l’affirmer.
Le couple enferme l’ange dans leur poulailler. C’est une décision qui semble logique et qui renforce le doute sur la nature de ce vieillard aux ailes racornies. Bien sûr, Pelayo et Elisenda consulteront quelques autorités locales et en particulier le père Gonzaga qui voit dans cet être surnaturel une concurrence qui ne répond pas exactement aux saints canons de l’Église.
La nouvelle de la découverte de l’ange se répand.
Pelayo et Elisenda en font une attraction foraine qui leur permet de se construire une nouvelle maison plus spacieuse. Et l’ange reste dans son poulailler.
Mais il est incapable de miracles. Sa notoriété s’effrite et disparaît totalement lorsqu’une nouvelle attraction fait son apparition : une effroyable tarentule de la taille d’un bélier et avec la tête d’une jeune fille triste.
Bien que le vieillard semblait s’affaiblir, de nouvelles plumes commencèrent à voir le jour et un matin, il s’envola au-delà des mers.
On distingue ici l’un des traits caractéristiques du réalisme magique. La foule réagit aux événements surnaturels dans un savant mélange d’enthousiasme, de superstition et pour finir de déception.
La voix si singulièrement narrative de Marquez s’inspire de Kafka et de Jorge Luis Borges qui dépeignent des mondes fictifs où les actes choquants côtoient de manière tout à fait ordinaire et naturelle les curiosités surréelles.
Le réalisme magique ne nie pas la psychologie
Il s’en inspirerait plutôt. Les goûts changeants comme autant d’effets de mode, la méfiance naturelle envers l’étranger qu’on soupçonne d’être en mesure de déstabiliser les choses que l’on a patiemment posées.
La dialectique qui confronte certaines choses permanentes comme cette puanteur qui ne cesse d’environner l’ange misérable et l’évolution des conditions de vie de Pelayo et Elisenda ajoute aux détails psychologiques convoqués par l’auteur.
Malgré son apparence, cet ange est une figure puissante et inspirante. Certes, cet ange si singulier peut être vu comme un symbole d’une foi perdue ou dégradée car son apparence ne répond pas aux attentes que l’on se fait habituellement de tels êtres.
Marquez ne fait que pointer sans ironie sur une foi ridicule en un Dieu anthropomorphique parce que la nature humaine veut tout comprendre et que pour s’expliquer le surnaturel, elle doit lui donner des formes que l’esprit peut saisir.
Mais la foi ne s’explique pas. Et la croyance en des êtres angéliques ne fait pas d’eux des parangons de beauté ou des modèles. Et cet être misérable est puissant et inspirant parce qu’il est aussi une manifestation du divin (ou du sacré).
Cet ange atypique permet certainement à Gabriel Garcia Marquez d’explorer la disparité entre légende et réalité.
Le réalisme magique est dorénavant un genre reconnu par de nombreux auteurs d’horizons et de cultures différentes. On peut nommer parmi eux Salman Rushdie, Neil Gaiman ou encore Guillermo Del Toro.
Ce réalisme magique consiste à prendre des scènes réalistes pour lesquelles l’invention est somme toute facilitée et d’y introduire un imaginaire emprunt de fantastique convoquant aussi légendes et mythes.
Mais alors qu’est-ce qui distingue le réalisme magique des contes de fée par exemple ? Ou encore du fantastique pur ou de l’horreur ou de la science fiction ou encore des dystopies ou bien du merveilleux ?
Quelques caractéristiques du réalisme magique
Des situations et des événements qui dépassent l’entendement
Le réalisme magique est d’abord un monde. Que ce soit celui du Monsieur très vieux avec des ailes immenses de Marquez ou celui des Épices de la passion de Laura Esquivel, le monde dans lequel vivent les personnages est un marqueur indispensable du réalisme magique.
Les épices de la passion est un bel exemple de réalisme magique en ce sens où la magie est utilisée pour révéler des émotions et sentiments intérieurs et normalement réprimés.
Le réalisme magique est ici utilisée comme moyen de lutter contre un monde de traditions, d’attentes sociales (Tita l’héroïne ne peut se marier parce que la tradition mexicaine veut que la plus jeune des filles s’occupe de la mère jusqu’à la mort de celle-ci).
Le réalisme magique ne recherche pas l’effet fantastique. Les larmes que versent Tita dans le plat qu’elle prépare ne déterminent pas une irruption du fantastique dans la lecture.
La magie dans le réalisme magique n’est pas la réalité du monde. Elle s’invite dans le monde et a contrario du merveilleux (la fantasy), elle ne le constitue pas.
La magie du réalisme magique est un outil qui permet l’exploration des personnages et des défis et traumas très réels auxquels ils sont confrontés.
En somme, pour être qualifié de réalisme magique, une œuvre se situera dans un environnement réaliste (un réalisme qui essaie de recopier une réalité quotidienne, à portée de main, sans romantisme) avec des éléments magiques comme la présence d’un personnage mort ou bien la fluidité du temps ou encore de la télépathie.
Des mythes et des légendes
L’étrangeté du réalisme magique dérive du folklore, des paraboles religieuses, des allégories, des superstitions. Les auteurs de ce genre récupèrent des légendes de différentes places et époques et les juxtaposent ou bien les mêlent pour créer des anachronismes surprenants et des histoires riches et denses.
C’est précisément ainsi que fonctionne El laberinto del fauno (Le labyrinthe de Pan) de Guillermo del Toro. Il s’agit d’un monde foncièrement adulte d’un côté et d’un monde féerique (lié à l’enfance) de l’autre.
Un homme descendait la route de Otar Tchiladzé débute avec le mythe de Jason et la toison d’or et les conséquences pour l’obscure cité de Colchide (la Géorgie actuelle) après que Jason ait fui la Colchide avec Médée, elle-même liée à la Colchide par le sang.
L’inspiration de Tchiladzé est une allégorie de la trahison et de la destruction de la Géorgie par la Russie d’abord, les Soviets ensuite qui l’annexèrent. Tchiladzé s’est aussi inspiré de l’épopée de Gilgamesh pour sa propre interprétation de la vie.
L’idée consiste à récupérer des bribes ou des éléments des mythes et des légendes pour faire le constat souvent amer d’une réalité contemporaine.
Contexte historique et enjeux de société
Les auteurs de réalisme magique entendent dénoncer les défauts humains tels le racisme, le sexisme, l’intolérance…
Ils entrelacent pour ce faire des événements politiques ou des mouvements sociaux bien réels (et auxquels le lecteur peut se référer) avec un imaginaire qui servira alors comme moyen d’expression.
Jouer avec le temps
Les figures de style de l’analepse et de la prolepse sont assez chéries en réalisme magique. Les personnages voyagent dans le passé comme dans le futur.
Dans Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez utilise une structure cyclique temporelle. Les soudains changements dans la narration et l’omniprésence de fantômes et de prémonitions laissent le sentiment chez le lecteur que les événements passent par une boucle sans fin.
Un lieu réel
Salman Rushdie note que le réalisme magique a de profondes racines dans la réalité. Malgré les événements extraordinaires qu’ils leur arrivent, les personnages ne sont pas de véritables héros mais des gens tout à fait ordinaires qui vivent dans des lieux parfaitement reconnaissables du lecteur.
Et surtout, les personnages ne questionnent jamais les situations surréelles dans lesquelles l’auteur les jette.