© MGM
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#80. Mississippi Burning d'Alan Parker (1988)
Il y a des oeuvres qui, par la rudesse des maux abjects de l'humanité qu'elle s'échine à mettre en images, vous marque à un tel degré de puissance que même des années après sa vision, son souvenir et sa rugosité reste intacte, quitte à vous mettre de sacrés frissons rien que d'en parler ou d'écrire à son sujet.
Le chef-d'oeuvre Mississippi Burning d'Alan Parker est fait de ce bois-là et mériterait des visions régulières - et encore plus en ces temps sombres -, tant il dépeint avec fureur et une rigueur incroyable, l'imbécilité révoltante du racisme qui gangrène encore aujourd'hui le pays de l'oncle Sam.
Catapulté au coeur d'une petite bourgade du Mississippi rural en pleine 60's (avec une connaissance aigu du temps et du lieu), dont il connaît intimement la vérité qui est d'ailleurs, aussi fou que cela puisse paraître, jamais cachée à la face du monde, Parker pénètre à l'intérieur de la haine envers les noirs, et la pertinence de son regard est tout du long indiscutable.
© MGM
Le film est basé sur une histoire vraie, puisqu'il s'inspire des vraies disparitions de trois jeunes travailleurs des droits civiques qui faisaient partie d'une campagne d'enregistrement d'électeurs au Mississippi.
Lors de la découverte de leurs cadavres, leurs assassinars constituaient un témoignage irréfutable contre les responsables qui s'étaient plaints que toute l'affaire n'était un coup de publicité (sic), imaginé par les libéraux du Nord et les agitateurs extérieurs, faisant de facto de cette affaire, l'un des jalons des droits civiques.
Loin du documentaire retraçant avec acuité les faits, Mississippi Burning use de cette affaire pour mieux incarner un polar noir rugueux et sanglant, un regard brulant sur l'effort passionné de deux agents du FBI pour mener à bien une enquête que l'on veut clore dans la banalité du silence; un vieux briscard charismatique (Anderson, campé par un Gene Hackman tout simplement immense) et un jeune loup idéaliste (Ward, campé par le génial Willem Dafoe) dont les méthodes et les égos vont se percuter - ils ne s'aiment pas, et le mot est faible -, avant de s'unir pour mieux faire tomber des hommes sournois pensant être libre de jouir de tous les droits, même du droit de tuer son prochain sans être puni.
Comme ce petit merdeux - pour être poli - de shérif Pell (Brad Dourif, génialement imbuvable), raciste assumé et mari toxique, dont la femme sera la pierre angulaire du plan de destruction massive de ce petit microcosme gerbant.
© MGM
En laissant ses héros traîner, faire parler la rue et le quotidien de la ville, Parker épouse tous les codes du polar avec une simplicité et un respect sans bornes (enquête fascinante, interrogatoires, perquisitions, espoirs de faire bouger les choses,...), codes auxquels il ajoute un contrepoint romantique et émotionnel subtile et déchirant, entre Alderson et la femme de Pell (sublime et bouleversante Frances McDormand), entre amour sincère et volonté - impossible - d'extraire cette femme craintive soumise par les coups, de son quotidien horrible.
Rejetant les ficelles faciles du mélodrame, le cinéaste privilégie le réalisme et la compréhension crue du mal pour mettre en images les exactions du KKK et la terreur des représailles, autant pour les familles noires-américaines que pour ceux qui savent la vérité, mais ne peuvent se résoudre à publiquement la scander (on voit ce qui arrive à ceux qui pensent pouvoir le faire).
Sans tambour ni trompette, mais avec une rage maîtrisée et électrisante, Mississippi Burning montrait plus de deux décennies après la plus grande période de l'histoire américaine moderne (les mouvements pour les droits civiques du début des années 1960), que la nécessité de réveil d'une nation n'ayant jamais grandit dans l'idée banale que tous les hommes ont été créés égaux et dotés de certains droits inaliénables (encore tout récemment refusés aux personnes de couleurs), n'avait pas fondamentalement chamboulé les choses, et le constat que l'on porte au contexte social de cette oeuvre plus de trente ans plus tard, à une heure ou l'avènement politique de Trump est un put*** de retour en arrière, fait même franchement froid dans le dos.
© MGM
Captant la sensation et l'odeur putride du racisme comme peu de films auparavant (le montrant même comme un moteur attirant, presque un sport exaltant pour les racistes et membres du KKK), transcendant sa pure valeur de divertissement nécessaire (il est une déclaration importante sur pellicule, sur une époque et une condition à ne surtout pas oublier) et incarné à la perfection par une galerie de comédiens habités, Mississippi Burning est une oeuvre majeure à tous les niveaux, et sans aucun doute l'un des plus grands films policiers américains de ses trois dernières décennies, aux côtés de Heat, Se7en, Police Fédérale Los Angeles ou encore L.A. Confidential.
Jonathan Chevrier