[CRITIQUE] : La Vérité

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Hirokazu Kore-eda

Acteurs : Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Japonais.
Durée : 1h47min.
Synopsis :
Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver...


Critique :

Pour #LaVérité, Kore-eda confond réalité et fiction/cinéma avec force, s'interroge tout du long sur les notions de vérités et orchestre sa guerre intime familiale entre ressentiments et impatiences, avec des notes d'humour et de compassion merveilleusement authentiques. Un bijou. pic.twitter.com/F13uShnVKi— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 23, 2019

Si depuis le sublime Nobody Knows, le metteur en scène nippon Kore-Eda Hirokazu faisait partie des cinéastes asiatiques que je suivais avec un intérêt certain, c'est véritablement avec le prodigieux I Wish, que celui-ci a réellement su conquérir pour de bon, mon cœur dur - mais fragile également - de cinéphile endurci.

Narrant la bouleversante histoire de deux frères séparés par le divorce de leurs parents, et qui faisaient tout pour se retrouver, le film s'imposait comme l'une des grosses claques de l'année ciné 2011, mais surtout comme l'un des plus beaux films sur l'enfance depuis très, très longtemps.
S'affirmant, logiquement, comme l'un des seuls metteurs en scènes capable aujourd'hui, de filmer avec grâce, l'insouciance - souvent bafouée et violée par la dureté de la vie - de l'enfance, on l'avait laissé l'an dernier avec pas moins de deux bijoux : le bouillant The Third Murder (qui lui avait fait quitter les drames familiaux pour le terrain plus tortueux du thriller psychologique complexe), mais surtout la Palme d'Or Une Affaire de Famille, chronique familiale intime, pudique et d'une simplicité percutante, tendant vers une profondeur tragique déchirante dans son dernier tiers.
Un chef-d'oeuvre, rien de moins.

Peut-être un chouïa moins exceptionnel, La Vérité, son premier long tourné loin de son Japon natal, n'en reste pas moins un drame majeur qui se classe sans forcer, dans le haut du panier de sa riche filmographie.

Nouvelle exploration fascinante sur les failles familiale, de la faillibilité de la mémoire face aux supposées certitudes, en passant par la manière souvent particulières dont nous nous assènons nos vérités intimes, le film s'articule autour de la relation conflictuelle entre une immense actrice, Fabienne, et sa fille scénariste, Lumir, la première ayant sensiblement privilégié sa carrière au détriment de son rôle de mère.
Alors que celle-ci sort ses mémoires, sa progéniture, accompagnée de son mari et de sa propre jeune fille, vient lui rendre une visite à Paris histoire de bien lui faire comprendre les mensonges béants de la représentation d'elle-même qu'elle se fait - une matriarche attentionnée et adorée -, et qu'elle balance à la face du monde (notamment un mari quelle dit mort alors qu'il est bel et bien vivant).
Tout ça alors que Fabienne tourne un long-métrage au pitch ne rendant que plus douloureux les conflits entre les deux femmes : une histoire science-fictionnelle sur la jeunesse éternelle, ou une mère contrainte par la maladie, de vivre dans l'espace, revenant la Terre uniquement tous les 10 ans et restant du même âge pendant que sa fille, logiquement, vieillit.
Soit une métaphore puissante et douloureuse de la dure réalité, sur les fréquentes et longues absences de Fabienne pendant l'enfance de Lumir, alors que son aura d'actrice ne la faisait absolument pas vieillir, tandis que sa fille elle, ne cessait de grandir et de subir les affres du temps et de l'absence.
Au coeur de cette confrontation entre rancunes tenaces et enfouies, et secrets palpables et inavoués, Kore-eda montre clairement que Fabienne comprend parfaitement les choix et les sacrifices personnels qu'elle a fait au cours de sa carrière, là ou sa fille se montre tout aussi peu fiables dans ses souvenirs, et dans sa vision de la vérité (telle mère, telle fille en somme, en plus complexe évidemment).

Tel un chef d'orchestre à la baguette légère et enlevée, il confond réalité et fiction/cinéma avec force, s'interroge tout du long sur les notions de vérités (celles cachées, bonnes à dire, à tordre, à reprocher, à rappeler...) et orchestre sa guerre intime entre ressentiments et impatiences avec des notes de grâce d'humour et de compassion merveilleusement authentiques, et une gestion des espaces proprement grandiose (superbe photographie d'Eric Gauthier, quelques mois après son travail remaquable sur Ash Is Purest White).

Magnifié par la partition de Catherine Deneuve, absolument dantesque et dont l'aura incroyable ne peut que pousser à un double sens troublant, mais également par celle d'une Juliette Binoche bouleversante de fragilité et d'amertume (Ethan Hawke n'est pas en reste non plus, dans la peau d'un acteur en difficulté), La Vérité est un grand et beau drame sur des âmes liées par leur sang, devant comprendre comment se comprendre justement, et même tenter de se pardonner.
Une preuve probante et même irréfutable, que même loin de son Japon natal, l'orfèvre Hirokazu Kore-eda n'a pas son pareil pour capturer les subtilités fascinantes de la condition humaine.


Jonathan Chevrier