Voici le premier film de Hirokazu Kore-Eda tourné hors Japon, et le premier tourné dans une autre langue que la sienne et avec une équipe étrangère, le spécialiste des relations familials de "Nobody knows" (2003) à sa Palme d'Or "Une Affaire de Famille" (2018) en passant par "Still Walking" (2008) et "Notre Petite Soeur" (2014) revient en explorant une nouvelle fois les relations intra-familiales. Le cinéaste explique : "Si j'ai osé relever le défi ambitieux qu'est le tournage d'un premier film à l'étranger, dans une langue qui n'est pas la mienne et entouré d'une équipe totalement française, c'est parce que j'ai eu la chance de rencontrer des acteurs et des collaborateurs qui ont exprimé le désir de faire un film avec moi. C'est Juliette Binoche qui a provoqué la première étincelle. Nous nous connaissions déjà depuis un moment lorsqu'elle est venue au Japon en 2011 et qu'elle a émis l'idée qu'on fasse un jour quelque chose ensemble."... Pour ce projet Kore-Eda a repris une pièce de théâtre qu'il avait commencé à écrire en 2003 sur un huis clos dans une loge avec une mère actrice star et sa fille...
Une grande star est en pleine promo pour la sortie de ses mémoires. Sa fille scénariste qui est parti vivre aux Etats-Unis revient en famille pour l'occasion mais un deuil ancien reste un douloureux souvenirs entre elle... Comme à son habitude Kore-Eda signe le scénario également, et pour être le plus juste possible il s'est servi de ses entretiens spécifiques avec ses deux stars dont les propos ont servi aux dialogues du film. Et donc la star est incarnée par Catherine Deneuve, et sa fille scénariste est incarnée par Juliette Binoche, les deux actrices jouent là leur premier film ensemble. Deneuve est depuis quelques années une grande habituée des drames familiaux jusqu'à "Fête de Famille" (2019) de Céric Khan, tandis qu'on a pu voir Binoche "Doubles Vies" (2019) de Olivier Assayas et "Celle que vous croyez" (2019) de Safy Nebbou. L'époux acteur américain de la fille est joué par Ethan Hawke qui a déjà connu la France avec la trilogie "Before Sunrise" (1995), "Before Sunset" (2004) et "Before Midnight" (2013) tous trois de Richard Linklater où il était le conjoint de Julie Delpy, cette dernière étant de la même génération que Binoche avec qui elle a tourné dans "Mauvais Sang" (1986) de Leos Carax. Il y a de petits rôles également, un caméo de Jackie Berroyer et une second rôle interprété par Ludivine Sagnier qui retrouve Deneuve après (2001) de François Ozon. On notera la révélation, dans un rôle secondaire mais central, la jeune Manon Clavel qui a jusqu'ici été vu dans des courts métrages et dans quelques pièces de théâtre... Le réalisateur-scénariste a mis à disposition une note d'intention : "Qu'est-ce qui fait qu'une famille ? Est-ce la vérité ou le mensonge ? Et vous, que choisiriez-vous entre une vérité cruelle et un doux mensonge ? Telles sont les questions que je n'ai eues de cesse de me poser en faisant ce film, et j'espère qu'il sera l'occasion pour ceux qui le verront de chercher à leur tour leurs propres réponses."... Le film repose sur le face à face mère-fille, mais avec une tierce personne à la fois omniprésente et invisible. Sorte de secret de famille sur lequel on apprend les infos qu'au compte goutte.
Mais surtout le film repose sur le sempiternel cliché de la star narcissique qui ne s'occupe jamais de sa progéniture. Ecueil éculé qui tient pourtant la route ici parce que la star est Catherine Deneuve. Cette dernière en pleine auto-dérision joue admirablement de son image froide de star inaccessible et imbue de sa personne, la Grande Catherine. La réussite du film réside surtout sur ce parallèle, qui s'ajoute mine de rien à la vie même de Deneuve, le secret renvoie sans mot dire à une certaine Françoise Dorléac, soeur décédée trop tôt de la star. Ensuite, l'alchimie entre Deneuve et Binoche donne une aura toute particulière au film. Le film repose entièrement sur ce duo étoilé, derrière lequel seule la toute jeune Manon Clavel et la fillette sortent un peu la tête. Par exemple, malgré son statut, Ethan Hawke reste très sous-exploité. Finalement l'intrigue reste un peu fade tant Deneuve impose son statut et marque le scénario à sa propre image fantasmé, le risque étant aussi de flirter avec l'antipathie. Heureusement, Hirokazu Kore-Eda instaure un savoureux mélange des genres, entre le drame et la fantaisie, un goût doux-amer qui ne manque pourtant pas de nous faire sourire parfois. Vis à vis de la note d'intention du cinéaste, on comprend la dimension du secret et du mensonge, voir de l'hypocrisie, mais ça reste trop en filigrane pour convaincre pleinement. Par contre on adhère sans soucis à la question du rapport de l'acteur à son métier et à ses conséquences ou non sur leur vie privée.
Note :