Choisir une ligne dramatique

Par William Potillion @scenarmag

Victoria Lynn Schmidt propose de faire un choix parmi 4 lignes dramatiques comme la toute première décision à prendre lorsque se profile l’envie de créer une œuvre de fiction.
Une ligne dramatique sommairement posée définit la question centrale de l’œuvre qui donne l’envie au lecteur de tourner encore les pages et au protagoniste (qui est souvent aussi le personnage principal) d’aller de l’avant tout au long de l’intrigue.

Cette question est : Est-ce que le personnage principal réussira ? Échouera ou bien abandonnera en cours de route ?

Sachant que les notions de réussite, d’échec ou d’abandon implique un objet dans l’équation, lorsque vous saurez si cet objet sera ou non concrétisé (car tant que l’objet est désiré, il n’est pas possédé. Au moins, il est une idée) et les conditions dans lesquelles il sera ou non réalisé, vous saurez comment concevoir votre histoire et venir à bout de ce second acte qui a la mauvaise réputation d’être toujours difficile à écrire.

Une formule dramatique simple

Peut-être un peu trop simple (mais seulement en apparence) : si le personnage principal doit réussir, alors le second acte sera écrit de telle manière que sa détermination à réussir (en fait, le personnage principal est arc-bouté sur un objet de son désir) sera testée (tentée écrit-on dans la Bible).

L’aspect pratique de cette déviation du but à atteindre sera de poser des obstacles de plus en plus difficiles à surmonter (jusqu’à donner l’impression qu’ils sont invincibles). Ces tribulations voulues par l’auteur ne sont pas posées là gratuitement. Ce sont en fait autant de leçons que le personnage principal doit apprendre. Ce n’est seulement que par cette connaissance nouvelle de lui-même qu’il trouvera les clefs de son devenir (hors du texte, suggéré par le dénouement).

Les situations et les événements du second acte seront alors inventés pour mener le personnage principal vers ce que l’auteur considère comme un succès. En effet, l’auteur pourrait vouloir la mort de son héros mais avec une finalité de rédemption. Son personnage sera sauvé.

Au cours de ses tribulations de l’acte Deux, le héros développe certaines facultés. Il ignorait qu’il possédait déjà de telles capacités ou pouvoirs. Ces traits de caractère étaient seulement endormis. Les événements ont en quelque sorte réveillés le dormeur.
Par exemple, un personnage sujet au vertige devra vaincre d’abord son anxiété s’il veut réussir son ultime épreuve au moment du climax qui consistera essentiellement à sauter d’une falaise, par exemple.

Pour réussir, le personnage ne peut y parvenir seul. Il sera très souvent accompagné. C’est l’occasion pour l’auteur d’ajouter à son récit quelques personnages qui l’aideront à faire passer son message. Parmi ces personnages, l’archétype le plus utilisé est le mentor. Cet Old man ou woman que l’on rencontre déjà dans les mythes et légendes et dont la principale fonction est de servir d’aiguillon, de précepteur auprès du héros. Ce mentor peut être vu comme un personnage salvifique, une sorte de Paraclet pour le héros.

Distribution de l’information

Une ligne dramatique consiste essentiellement à distribuer l’information tout au long de l’histoire. Rien n’oblige l’auteur à ce que son lecteur et son personnage principal apprennent les choses ensemble. Une ironie dramatique peut être installée alors que le lecteur sait des choses que le personnage ignore ou bien encore le personnage et le lecteur connaissent des choses que les autres personnages ne savent pas.

Selon Victoria Lynn Schmidt, l’auteur peut s’orienter vers 4 lignes dramatiques :

  1. Le personnage principal réussit (ce qu’il réussit est bien souvent un accomplissement personnel)
  2. Le personnage principal échoue. La notion d’échec est elle aussi relative. Par exemple, le personnage pourrait ne pas réussir à obtenir ce qu’il veut mais comme cet échec lui aura apporté beaucoup sur le plan personnel, malgré cet échec apparent, il aura tout de même rencontré un succès.
  3. Le héros ne va pas jusqu’au bout de son désir. L’abandon est un concept intéressant à travailler. On peut l’explorer sous l’angle de la vanité que l’on pense percevoir dans les choses.
  4. Le personnage principal n’a pas d’objectif ou le lecteur lui-même crée l’objectif.

Les trois premières lignes dramatiques s’accommodent bien avec la structure classique en trois actes : un début, un milieu et une fin. Et chacune de ces lignes dramatiques est résolue au moment du climax. Par exemple, dans la série télévisée Monk, la question dramatique centrale saura de savoir si Monk réussira à savoir qui a assassiné sa femme (ce qui l’a traumatisé et forcé à quitter les forces de police dans lesquelles pourtant il excellait).

Cette question n’aura de réponse que lors des tous derniers épisodes.

Une inversion de valeurs

Une ligne dramatique consiste à partir d’un point A pour aboutir à un dénouement. Au départ, on pose une valeur comme un problème par exemple. A l’arrivée, ce problème aura sa solution. Le problème pourrait être un mystère qu’il faut résoudre.

Nous pourrions avoir dès l’acte Un la mise en place d’une situation hautement conflictuelle (un couple en train de divorcer par exemple [notez qu’il est toujours bon de commencer au milieu des choses, In media res]) et la paix sera enfin trouvée au dénouement (après le climax qui démontre la position de l’auteur par rapport à cette situation conflictuelle (dans notre exemple, l’auteur pourrait très bien vouloir signifier que l’amour est tout à fait possible mais que le vivre à deux mène inexorablement à l’éloignement)).

D’autres inversions sont exploitables : une menace cesse, l’ordre surgit du chaos (ou de la confusion), un dilemme mène à une décision (le dilemme prend souvent en charge la question dramatique centrale), l’ignorance devient connaissance. Voyez comme à toute question sa réponse.

Pour parvenir à un nouvel état, le personnage a à sa disposition quatre moyens. D’abord le courage. En effet, habituellement après un grave moment de crise personnelle, le héros trouvera en lui la force de se relever et de se préparer à son ultime épreuve.

Sommairement, si le protagoniste était un lâche, il se réveillera en lui l’être que nous sommes tous au fond de nous : le héros.
C’est aussi dans cet acte de foi en soi-même que se dessine la notion de sacrifice, un stigmate singulier du héros et de l’acte héroïque.

Un autre moyen de réussir est d’avoir recours à son ingéniosité. Ainsi, le raisonnement l’emporte sur la passion. Certes, nos passions nous entraînent souvent vers des destinées que nous ne souhaiterions même pas à notre pire ennemi mais la vie serait bien terne sans passion.
Si le genre de votre projet est le mystère, le raisonnement du protagoniste est le moyen par lequel il peut résoudre son problème.

Néanmoins, ne négligez pas en lui ce qui en fait aussi le personnage principal, c’est-à-dire celui sur lequel l’empathie du lecteur se versera. C’est davantage en partageant des émotions que l’on pense s’identifier à l’autre.

Le personnage se découvre en lui une capacité dont il ignorait tout. C’est comme le courage mais en moins abstrait. Attention cependant à ne pas créer un Deus Ex Machina, c’est-à-dire une situation qui vous arrange vous l’auteur à solutionner le problème en faisant intervenir un heureux hasard pour vous sortir de l’ornière dans laquelle vous vous serez vous-mêmes jeté.

Cette capacité ne sera pas nouvelle. Le personnage la possédait déjà mais n’avait jamais eu l’occasion de la découvrir. Ses tribulations au cours de l’intrigue lui permettront alors d’ouvrir les yeux sur ce qu’il est vraiment.
C’est au fil des épreuves que nos croyances se révèlent vraiment (je semble dire que l’expérience, notre vécu, est pour beaucoup dans ce que nous sommes. Je vous laisse cependant la liberté de penser autrement. Je dis simplement que les expériences du personnage dans l’intrigue l’amène à découvrir en lui quelque chose qu’il possédait déjà. C’est cela la chose qui importe).

Selon le voyage du héros dont l’universitaire Joseph Campbell a figuré les étapes, la fonction du mentor consiste aussi à apporter au héros un instrument (qu’il qualifie de magique) avec lequel il pourra vaincre l’adversité. Par exemple, la confiance en soi du jeune Luke Skywalker ne sera possible que par sa croyance sincère en la Force.

La relation aux autres, l’aspect le plus subjectif d’une histoire, est le cadre narratif qui permet à ces moyens de participer à la réussite de l’objectif du héros.

Et l’échec ?

On peut admettre que la recherche du bonheur est une entreprise vaine. Toutes nos tentatives seraient vouées à l’échec et les événements décrits dans l’histoire vont dans ce sens.
L’échec qui semble s’incarner dans les actes du méchant de l’histoire est en fait une question personnelle. Nous sommes souvent notre propre ennemi.

Certes, c’est un cliché que nous refusons d’affronter nos propres démons. Toutes solutions envisagées causent de nouveaux problèmes. S’il y a une cause première, peut-être celle-ci est trop enfouie ou a causé des dommages irréversibles.

Le conflit, substance de l’intrigue, s’expose dans toute sa brutalité. La lutte du héros contre lui-même est désespérée. Est-il d’ailleurs encore un héros ? Il y a une telle amertume qui se dégage de lui.

On sent bien qu’il mérite de connaître le succès mais il ne le peut pas. C’est ainsi que la vie serait faite. Les circonstances sont déjà en place pour qu’il échoue. Nos actes décidément ne garantissent pas notre salut.

Chez un personnage, on met en avant ce qui le caractérise le mieux, c’est-à-dire sa faiblesse. C’est quelque chose qu’il doit surmonter pour réaliser son objectif. On peut envisager par exemple une obsession trop puissante que le personnage, même s’il est aidé, ne peut canaliser. Son obsession l’entraînera dans l’abîme ou la destruction.

Le personnage n’est tout simplement pas capable de prendre les bonnes décisions. C’est tellement humain après tout. Nos doutes et nos incertitudes sont éminemment destructeurs. Sans pour autant nier l’importance de l’intrigue, observer les personnages dans leurs errements est certainement plus passionnants à écrire et à suivre.

Le désir poursuivi depuis le début de l’histoire n’est pas une obligation. Au cours de ses tribulations, le protagoniste peut s’apercevoir que ce après quoi il courrait depuis l’incident déclencheur de l’acte Un n’est en fait qu’un mensonge ou une illusion.

Le personnage principal est autorisé à abandonner son projet actuel et à s’orienter vers autre chose dont il a eu la révélation. Il a vécu une expérience forte. Cela a entraîné un renversement de sa situation et l’essentiel est maintenant clair dans son esprit.
Tout comme Bridget Jones qui ouvre enfin les yeux sur la véritable nature de Daniel Cleaver qu’elle poursuivait pourtant de son amour (dont l’auteure Helen Fielding nous avait fait croire à la réalité alors qu’il ne s’agissait que d’une illusion).

Sans but

Fixer un objectif, une mission à un protagoniste est certes une convention qui facilite grandement la tâche de l’auteur. Néanmoins, un auteur pourrait vouloir se faire succéder les événements comme dans la vie réelle, peut-être sans chercher à les lier par une quelconque causalité.

La participation du lecteur est habituellement sollicitée dans toutes les histoires (ne serait-ce que par l’empathie que recevra le personnage principal) mais cette participation est plus prégnante, plus provocante, le forçant davantage à interpréter les événements décrits qu’à les subir lorsque l’histoire ne fixe pas particulièrement un objectif pour son héros.

Alors le lecteur se sentira obligé de prendre une longueur d’avance sur ce que l’histoire lui réserve.

PERSONNAGE & DIALOGUE