L’émotion est une caractéristique essentielle de la fiction. Tout comme le conflit est inhérent à l’intrigue, l’émotion est nécessairement afférente à l’histoire.
Pour instiller l’émotion, les mots qu’utilisent l’auteur, les comportements qu’il décrit de ses personnages (c’est un langage affectif), à tout cela, le lecteur réagit émotionnellement bien que cette réaction soit régulée par le contexte et les forces déployées dans les scènes où l’émotion est elle-même déployée.
Notre expérience personnelle
Notre vécu et l’expérience de la scène que nous observons nous font immédiatement reconnaître l’émotion lorsqu’elle est présente. C’est une expérience frontale. Et c’est par un personnage interposé ou même un narrateur que ce contenu émotionnel nous atteint et nous affecte (en tant que lecteur).
Le monde de l’histoire est constitué de réalités factuelles et émotionnelles. Il y a les faits et ils s’accompagnent de réactions émotionnelles des personnages aux faits qu’ils éprouvent dans leur chair et dans leur âme.
L’auteur tente de nous émouvoir avec ces deux réalités. Par exemple, le personnage pourrait errer dans un lieu tout imprégné de tristesse. L’information serait donnée dans les didascalies pour un scénario. L’auteur veut que nous éprouvions des choses similaires (mais rien n’est jamais vraiment identique) à ce que les personnages ressentent.
Ou bien l’auteur souhaite que l’effet émotionnel nous dresse contre son personnage ou que nous ressentions la passion violente de l’étreinte des deux personnages observés dans une scène.
Pour qu’il y ait communication entre un auteur et son lecteur, le lecteur doit accepter la façon de s’exprimer de l’auteur. Il doit aussi apprécier le genre de l’histoire (c’est très souvent d’emblée par le genre qu’un lecteur décide de passer du temps dans un monde fictif).
En tant qu’auteur, il faut être responsable de son texte. Il faut assumer les mots parce que le mot seul ou l’assemblage de quelques mots ou de quelques phrases est étonnamment révélateur de l’auteur que les mots voilent à peine. Le texte crée, en un sens, un profil émotionnel de son auteur.
L’intention de l’auteur est de créer une réponse émotionnelle chez son lecteur. Parfois, l’auteur a une autre intention de communiquer quelque chose et l’émotion s’invite dans l’équation.
Le lecteur réagira d’abord par une émotion et peut-être qu’après ruminations (l’avantage d’un scénario est qu’il est un texte que l’on peut poser alors que le film ne laisse aucune pause), le lecteur pourrait déceler un sens plus profond, comme caché par l’apparence donnée par les mots du texte.
Un partage
Pour qu’il y est interprétation ou décodage comme le laisse entendre la théorie narrative Dramatica, on peut supposer que la mémoire du texte qu’il est en train de lire permettra au lecteur d’apprécier et de reconnaître ou de faire sens de ce qu’il lit. L’interprétation ne sort donc pas des limites du monde fictif.
Le lecteur peut aussi se servir de ces propres expériences de lecture et comparer ce qu’il a lu d’autres textes (ou d’autres films qu’il a vus) car il y a nécessairement une intertextualité à l’œuvre en toutes œuvres.
Souvent, ces deux types d’approche servent à comprendre un texte (ou un film). Pour qu’il y ait une reconnaissance immédiate de l’émotion, il faut donc que l’auteur et le lecteur soit en quelque sorte sur la même longueur d’onde.
Cultures et langages peuvent être différents. La chose qui compte est de mettre en place un terrain partagé à la fois par l’auteur et son lecteur.
Ils vivent dans le même espace narratif ou le même temps narratif. Ainsi, on peut espérer qu’une émotion (qui appartient toujours au domaine du sensible) soit ressentie fondamentalement à l’identique (mais le vécu singulier de chaque lecteur viendra colorer différemment l’émotion ressentie sans que cela soit relatif ni à la culture du lecteur ni à son langage).
Une fois la communication établie, l’impact émotionnel peut être réalisé par différents moyens : les mots et ce qu’ils décrivent, le style de l’auteur et dans le cas d’un scénario, d’autres éléments filmiques participant au sens (et à l’émotion) comme la musique ou le jeu des ombres et de la lumière (cela sera suggéré par le scénario mais non imposé car ce sont des décisions qui ne relèvent pas du scénario).
En fin de compte, tout ce qui sert à la construction du monde fictif ou plutôt de cette réalité imaginée qu’elle soit narrée ou peinte.
Edgar Allan Poe faisait dire à son narrateur dans La chute de la maison Usher qu’il sentait qu’il respirait une atmosphère d’intense tristesse qui imprégnait tout.
Voyez comme les mots renvoient à l’image et immergent le lecteur dans un monde teinté par un sentiment si mélancolique. D’autres mots renverraient de la joie ou de l’horreur avec une même efficacité.