Après une période de doute suite à l'échec cuisant de son film "Dodeskaden" (1970), le géant japonais Akira Kurosawa a su rebondir avec le magnifique "Dersou Ouzala" (1975) Oscar du meilleur film étranger, Il se lance ensuite dans une superproduction de pas moins de 6 millions de dollars (somme rare pour une production nippone) mais que le cinéaste a bien eu du mal à boucler le budget. Il doit son salut à l'aide non négligeable de deux admirateurs, Francis Ford Coppola réalisateur de (1972) et "Apocalypse Now" (1979) et George Lucas auréolé de "La Guerre des Etoiles" (1977) justement inspiré entre autres de "La Forteresse Cachée" (1958), qui sont devenus producteurs de la version internationale, malgré qu'ils aient pourtant amputé la version japonaise de plus de 30mn pour la distribution internationale. Le cinéaste co-écrit le scénario avec Masato Ide avec qui il avait déjà collaboré sur "Barberousse" (1965)...
Fin du 16ème siècle, trois clans se disputent le trône. Le chef du clan Takeda est mortellement blessé et pour prévenir sa fin prochaine il fait promettre à ses fidèles de taire sa mort pendant trois ans en usant d'un sosie. Ce dernier, condamné comme voleur, se voit soudain attribuer un poste de pouvoir qui va vite peser sur ses épaules. Entre le poids de la mission, les doutes de certains proches il va faire de son mieux pour jouer son rôle, tromper son monde et survivre aux intrigues... Le rôle de Shingen, puis de Kagemusha (signifie littéralement "Ombre du Guerrier", usage courant de sosie pour tromper l'ennemi) est incarné par Tatsuya Nakadai qui retrouve Kurosawa après "Yojimbo" (1961), "Sanjuro" (1962), "Entre le Ciel et l'Enfer" (1963) et suivra "Ran" (1985), son frère est joué par Tsutomu Yamakazi qui retrouve également Kurosawa après "Entre le Ciel et l'Enfer" (1963) et "Barberousse" (1965)... Le cinéaste s'est inspiré de faits réels, à savoir la mort de Shingen Takeda (Tout savoir ICI !) jusqu'à la bataille de Nagashino (Tout savoir ICI !). Mais surtout le film marque un tournant dans les thématiques du cinéaste (il semblerait que la mort accidentelle particulièrement atroce de son chien l'ai particulièrement marquée), cette fois son héros n'est pas maître de son destin, ni un guerrier chevaleresque mais il n'est qu'un pantin qui ne peut que subir sa condition dans un jeu d'échec qui le dépasse. Tourné avec des moyens importants, on constate pourtant des différences notables, comme si Kurosawa avait fait des choix drastiques sur la distribution du budget. Par exemple il a fait venir plus de 200 chevaux des Etats-Unis, un certain nombre de costumes et armures sont issus de musées japonais, dont quelques-uns sont même considérés comme des trésors nationaux ! Mais il y aussi peu de figurants, entre autre sur la bataille final où on a bien du mal à imaginer les 50000 guerriers face à face.
Mais le plus fascinant reste l'intimité sociale et surtout psychologique de ce Kagemusha, prisonnier à l'insu de son plein gré dans la figure du chef auquel il doit s'identifier coûte que coûte. Sur ce point le film est une pure réussite, on souffre pour lui, on le comprend et on se soucis de lui. A l'inverse Kurosawa se détache des guerres qu'il nous montre la plupart du temps hors champs pour montrer la bêtise et l'incongruité des choses. Si on comprend le parti pris de mise en scène il n'en demeure pas moins qu'on peut ressentir une certaine frustration à ne jamais voir en branle ces armées qui semblent en constante manoeuvre. On remarque d'autant plus les décors austères et les paysages épurés dans un style souvent contempllatif. Kurosawa s'inspire aussi énormément des formes de théâtres traditionnels nippons, le kabuki et le théâtre Nô, notamment dans des séquences qui renvoient à des estampes et/ou à des fantasmagories. Dans la version de 2H30 le film est d'une longueur honorable, mais on peut comprendre que certains puissent trouver le temps long. En effet, très peu d'action, plutôt bavard même si il n'y a rien de superflu, le rythme reste lancinant et laisse le temps marqué le pas pour mieux montrer la solitude et la perte d'égo du kagemusha. Esthétiquement Kurosawa signe quelques plans magnifiques (le ciel rougeoyant, les armées en déplacement...) mais pêche par une qualité pellicule avec un grain qui ne vieillit pas très bien. Dommage... Néanmoins, il s'agit d'un film ambitieux de par son sujet et de par le parti pris pour la narration. Après "Dersou Ouzala" Akira Kurosawa obtient pas moins que la Palme d'Or à Cannes 1980 et le César du meilleur film étranger 1981.
Note :