On ne conçoit pas un récit de fiction sans développer ses personnages. Le message que l’auteur souhaite faire passer ne sera pas tant une question d’interprétation de son lecteur. Il sera plutôt ce qu’il est vraiment et les personnages de l’histoire auront à le médier.
Cet effet de communiquer quelque chose au lecteur est habituellement atteint par le moyen de transformer ses personnages (et en particulier le personnage principal) vers une nouvelle approche du monde (qui est censée les rendre meilleurs ou autres car cela dépend de l’intention de l’auteur).
La théorie narrative Dramatica dans sa construction pratique des personnages envisage non seulement des personnages appelés à changer entre le début et le dénouement de l’histoire mais aussi d’autres qui se renforcent dans leurs convictions et leurs croyances (donc ils ne changent pas radicalement).
Comme il s’agit surtout du personnage principal qui est concerné par cette caractéristique, Dramatica distingue alors deux options le concernant :
- Changed Main Character
- Steadfast Main Character
Ce qui importe, c’est de ne pas comprendre qui est le Steadfast Main Character, c’est-à-dire un personnage principal qui serait le même entre le début et la fin de l’histoire, et de se dire qu’il est dénué de toute capacité à être autrement.
Au cours de ses tribulations dans l’intrigue, le personnage principal apprend toujours quelque chose. Il sort toujours grandi de son aventure. Bien sûr, le concept d’arc dramatique sied mieux aux personnages qui changent radicalement en cours de route ou du moins au climax, la dernière rencontre avant le dénouement.
Et effectivement, des personnages qui continuent de voir le monde avec la même constance malgré tous les heurs et malheurs qu’ils ont subis dans l’acte Deux ne sont pas très intéressants à suivre.
Un maître-mot : évolution
Si les personnages n’évoluent pas au cours de l’histoire, l’histoire sera ennuyeuse même si elle est bardée d’actions. The Informant ! de Steven Soderbergh par exemple donne l’impression que les rebondissements sont comme parachutés. Mark Whitacre est identique à lui-même du début à la fin. Certes, ce n’est pas ce que l’on demande à cette histoire mais le public aurait peut-être moins boudé cette histoire si Whitacre avait connu une évolution dans sa personnalité, une rédemption par exemple car, lui aussi, s’est enrichi sur le système.
Ce n’est pas tant que le héros de cette histoire n’apprenne rien. Au contraire, ils découvrent des choses, se surprend lui-même mais dans le fond, il n’évolue pas. Il reste toujours ce même personnage.
Si les personnages n’évoluent pas, c’est l’intégrité structurelle de toute l’histoire qui s’effondre. L’argument ne fonctionnera pas s’il n’est pas soutenu par quelque chose qui se passe chez les personnages.
Ce sont les personnages qui médiatisent le message de l’auteur. Précisons tout de suite que ce terme de message est limitant parce qu’il utilise des mots et à moins d’avoir un langage poétique, les mots sont un carcan étanche.
Peut-être est-il bon de chercher un effet sur le lecteur ou le lecteur/spectateur. Ainsi, on ne le force pas à formuler ce qu’il ressent. Tout empli de cet effet, il se surprendra alors à interpréter. L’interprétation est subjective et personne ne peut avoir davantage tort ou davantage raison que quiconque. L’auteur communique un effet (c’est-à-dire son message), le lecteur le reçoit, le décode et l’interprète.
Et c’est pourquoi certaines interprétations ont trouvé en Mark Whitacre un capital sympathie. Cette appréciation est importante car si l’auteur souhaite mettre en place une compassion ou empathie envers son personnage principal (ce serait même une finalité chez ce personnage), il doit d’abord installer un courant de sympathie. Sans cet a priori sympathique, il ne peut y avoir d’empathie.
Le temps du récit qui opère la synthèse entre des événements, qui s’ils étaient sortis de leur contexte ne signifieraient rien, peut se mesurer en actes. Un cadran solaire nous renseigne sur le passage du temps mais il ne laisse d’être paradoxal de poser le temps insaisissable de nature sur une surface comme si nous voulions marier le temps et l’espace pour se saisir du temps.
Mettre un récit de fiction en actes est plus facile parce que la résolution de problèmes est un processus qui opère par étapes successives.
Les personnages doivent constamment s’adapter aux nouvelles situations et nous avons ainsi un monde en constante évolution.
Steadfast !?
Donc Dramatica distingue Changed et Steadfast. Est-ce que cela veut dire que les personnages Steadfast sont des êtres immobiles, des coupes, des moments figés lorsqu’ils furent arrachés du mouvement qui les rendait légitimes ?
Les personnages Steadfast renforcent leur position face à la montée des tensions. Ils seront mis à l’épreuve lors d’un moment de crise profonde au cours de laquelle ils devront choisir de changer leur façon de faire ou de voir les choses ou bien de non seulement se maintenir dans leurs convictions et croyances actuelles mais aussi de se donner de nouveaux arguments, de rendre plus radical leur discours (qui aurait pu être facilement ébranlé au début de l’histoire).
C’est alors le résultat qui importe chez un personnage Steadfast. Le moyen par lequel il parvient à ce résultat est alors secondaire (et le résultat est comme une révélation pour le lecteur) alors que chez un personnage Changed, c’est ce processus évolutif qui intéresse le lecteur.