Antagoniste, protagoniste, personnage principal

D’emblée, nous devons comprendre que le protagoniste et le personnage principal sont deux entités narratives distinctes. On entend souvent que le protagoniste est celui avec lequel le lecteur s’identifie. C’est faux.
Car si vous acceptez cette définition, vous allez vous priver de l’opportunité de créer une histoire (un contenu narratif) qui défie les conventions. Or une fiction, c’est d’abord une innovation.

Certes, souvent, le protagoniste et le personnage principal sont un même personnage. Et bien sûr, il n’y a rien à redire à cela.
Si votre histoire ne semble pas fonctionner, c’est peut-être que vous ne vous êtes pas posé la question de savoir si vous ne pourriez pas créer davantage de sens en séparant le personnage principal de la fonction de protagoniste.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Terminator, Les faussaires de Stefan Ruzowitzky, The Shawshank Redemption (Les évadés) ou encore La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck sont de parfaits exemples qui ont un personnage principal qui ne fait pas avancer l’intrigue (cette tâche est réservée au protagoniste).

Définir le but

Avant de se décider pour un protagoniste, il est bon de connaître ce que les personnages veulent dans l’histoire. La théorie narrative Dramatica résume cette volonté incoercible de la part d’au moins un personnage comme le Story Goal.

Le Story Goal est une chose qui concerne tous les personnages de l’histoire. Ce Story Goal est au cœur de la question dramatique centrale qui pointe sur le problème majeur de l’histoire.

Ce problème est annoncé dès l’acte Un et il perturbe l’équilibre naturel des choses. Il est l’incident déclencheur qui vient bouleverser le quotidien du personnage principal.

Dans The Shawshank Redemption, par exemple, le problème existe parce qu’un homme innocent a été injustement incarcéré. Si Andy n’était pas innocent, il n’y aurait pas de problème (et partant, pas d’histoire). Ce problème affecte tous les personnages, du directeur de la prison jusqu’à ces codétenus.

Si Andy est libéré, le problème est résolu. Et si le problème est résolu, c’est alors le dénouement. Le problème de l’histoire, le Story Goal, est donc qu’un homme innocent recouvre sa liberté.

Dans La vie des autres, les problèmes dans l’histoire sont possibles parce que Gerd Wiesler, un officier de la Stasi, cherche à prouver la culpabilité, réelle ou imaginaire, d’un écrivain potentiellement subversif.

Ce problème affecte tous les personnages. Dreyman (l’auteur visé par les autorités), Christa-Maria, Hempf, Grubitz et bien sûr Wiesler.

Trouver le protagoniste

Protagoniste et antagoniste sont des fonctions narratives, des éléments narratifs, des contenants. Le protagoniste est défini comme le personnage (habituellement) qui poursuit un but, qui s’arc-boute avec une volonté incoercible (dès qu’il a décidé de prendre son problème à bras le corps) dans la réalisation du Story Goal.

On peut supposer que tant que l’ultime moment de l’intrigue (le climax) ne nous donne pas la réponse, l’objectif (ou Story Goal) n’est qu’un espoir, une possibilité, une contingence.
L’obtention ou non de l’objectif ne sera jamais téléphoné au cours de l’intrigue. Et ce n’est pas dire qu’une comédie au Happy Ending garanti, assure par son genre aux conventions bien établies que l’objectif est gagné d’avance. Les choses peuvent très bien tourner au vinaigre pour les personnages.

Dans The Shawshank Redemption, le protagoniste est Andy. Nous ne le comprenons qu’assez tard dans l’intrigue (le tunnel, les plans d’évasion…) mais cet agir du personnage, ses actions, vont dans le sens de son désir de liberté (le Story Goal).

Trouver l’antagoniste

L’antagoniste est donc la fonction opposée à celle du protagoniste. Ainsi, l’antagoniste est défini comme le personnage ou la chose (une institution, la société, la nature…) qui tentera d’entraver la réalisation du Story Goal.

Notons tout de suite que le protagoniste ou le personnage principal lorsque le protagoniste et le personnage principal sont distincts l’un de l’autre ne se contentent pas de subir les actes du méchant de l’histoire.
Ils réagissent et agissent en conséquence de ces actes qui leur font du mal (même s’ils ne réagissent pas immédiatement car la réaction pourrait se produire dans une scène ultérieure). Cette façon de faire implique le concept de causalité. Peut-être préféreriez-vous autre chose en tant qu’auteur.

Ce qu’il se passe, c’est que les actions de l’antagoniste en quelque sorte font réfléchir ceux sur lesquels elles s’appliquent. Pour la théorie narrative Dramatica, cela signifie que l’antagoniste force les autres à reconsidérer leurs positions dans l’histoire (selon le vocabulaire Dramatica, cette caractéristique est Reconsider).

Dans La vie des autres, le protagoniste est Georg Dreyman et l’antagoniste est le ministre des affaires culturelles Hempf. Georg poursuit inlassablement une ligne de conduite par laquelle ses amis sur une liste noire (Albert Jerska) peuvent avoir une opportunité de s’exprimer, d’exercer leur art.

Et Hempf fait tout ce qu’il est possible en son pouvoir pour l’en empêcher jusqu’à lui voler sa petite amie Christa-Maria dont il est tombé amoureux.

Identifier le personnage principal

Le personnage principal est d’abord un point de vue. Plusieurs points de vue sont possibles. Pour la théorie narrative Dramatica qui se veut pragmatique, le point de vue n’est pas porté par le protagoniste mais par le personnage principal.

Or dans The Shawshank Redemption (Les évadés) ou dans La vie des autres, nous ne faisons pas l’expérience des événements du récit par les yeux de leurs protagonistes respectifs.
C’est par le personnage principal que nous faisons l’expérience de l’histoire.

A aucun moment, nous ne ressentons ce que c’est que d’être dans ce tunnel avec Andy. Nous le voyons y entrer et nous le voyons en sortir. Et lorsqu’il met la musique dans les hauts-parleurs de la prison, nous ne sommes pas avec Andy. Nous percevons cette action de l’extérieur.

C’est donc l’influence de Andy dans sa fonction de protagoniste que nous percevons. Nous observons ce que fait Andy.

C’est bien à travers les yeux de Red que nous sommes les témoins oculaires des événements. Nous ressentons ces événements dans une immédiate émotion. Nous percevons des choses directement par nos sens.
Mais nous n’interprétons pas encore. Nous ne rajoutons pas non plus de références à d’autres films ou littéraires ou historiques ou symboliques ou allégoriques ou encore paraboliques. Cette recherche se fera à la suite de la lecture ou du  visionnage du film en prenant connaissance des critiques et du discours de l’auteur sur son œuvre.

C’est un effet que nous ressentons en nous (sans même avoir à le formuler).

Red est un narrateur à la première personne. Ils nous impliquent dans les thèmes de son discours. Nous sommes émotionnellement investis avec l’arc dramatique de Red (son évolution dans cette histoire).
Et cet effet est renforcé par les choix esthétiques que Frank Darabont a retenu pour Red.

Par exemple, toutes les fois que Red fait cette longue marche pour se rendre à ses audiences de libération conditionnelle, nous assumons sa position.
Il est parfaitement entendu que c’est sur Red que les auteurs souhaitent que soit versée l’empathie du lecteur. Et Red est un narrateur intradiégétique (il fait partie de l’histoire) ce qui facilite le courant de sympathie envers lui, a priori de l’empathie.

On peut dire la même chose de La vie des autres. Le personnage principal est Wiesler. L’histoire parvient à nous faire pénétrer l’intimité de ce personnage. Nous sommes émotionnellement investis en lui parce que le lecteur est invité à partager avec Wiesler des choses sur sa vie que les autres personnages ignorent. Ce n’est pas de l’ironie dramatique.

L’ironie dramatique est un procédé utilisé essentiellement pour créer du suspense (par exemple, nous savons qu’une bombe est sur le point d’exploser sous la table des deux convives qui ignorent tout de cette menace).
Avec Wiesler, nous avons accès à des choses intimes sur lui comme la vie pathétique et solitaire qu’il mène ou bien encore ce regard mystérieux lorsqu’il procède à ses écoutes.

C’est ainsi à un regard subjectif sur le personnage auquel les auteurs nous convient et l’effet nous envahit. D’ailleurs, la question véritable de La vie des autres est de savoir si des êtres puissamment conditionnés peuvent ou non avoir un libre-arbitre (ou bien le reconquérir).

Effet significatif

De même dans The Shawshank Redemption, la question très subjective sera de savoir si Red pourra être différent. A travers lui, nous pouvons ressentir ce que c’est que d’être en quelque sorte institutionnalisé et de cet état même perdre tout espoir.

Avec Wiesler, nous pouvons ressentir cette étiquette que d’autres sont si promptes à nous attribuer. Wiesler ne fait rien d’autre que de lutter intimement, intérieurement, avec cette image de mauvais homme. L’effet subjectif de l’histoire sera de savoir si Wiesler peut résoudre ce problème personnel.

Effectivement, il s’agit d’un effet et c’est sur cet effet souhaité sur le lecteur que l’auteur entend bien peut-être donner à ses lecteurs un autre point de vue sur le monde, une autre ligne de conduite à tenir dans nos vies, nous dire que nous pouvons vivre autrement soit en suivant l’exemple de ses personnages ou a contrario nous démontrer qu’en suivant l’exemple de ses personnages, nous suivons dans nos vies un mauvais chemin.

L’effet subjectif est une interprétation personnelle que se fera le lecteur de l’histoire. Peut-être en sera t-il illuminé après coup.

Si votre histoire s’y prête, voyez si en séparant le protagoniste du personnage principal, votre histoire gagne en cohérence et en complétude. Si non, dans ce cas, protagoniste et personnage principal seront un même personnage avec un double aspect : logique dans sa fonction de protagoniste (il fait partie du récit), émotionnel dans son côté subjectif et il appartient ainsi à l’histoire qu’il emplit toute entière de son émotion.

SCÉNARIO MODÈLE : TOY STORY

Scénario