La volonté du protagoniste à résoudre l’injustice qui est au cœur de l’intrigue est ce qui donne un élan à l’histoire. Le protagoniste est responsable pour la réalisation de l’ultime objectif.
Si le protagoniste n’est pas clairement et distinctement identifié par le lecteur ou si le but qu’il poursuit est mal défini, le lecteur se désintéressera rapidement de l’histoire, quels que soient les événements qui s’y dérouleront.
Si un récit ne fonctionne pas ou s’il semble déambuler sans un but précis à atteindre, cela est probablement dû à un problème d’identification du protagoniste (on ne sait pas qui tient vraiment les rênes de cette fonction narrative) ou parce que l’objectif (ou Story Goal selon le vocabulaire de la théorie narrative Dramatica) n’est pas clairement établi.
Le protagoniste est arc-bouté sur l’objectif
Souvent (peut-être même trop souvent) protagoniste et personnage principal sont un même personnage. Il peut être utile parfois de reconsidérer ce postulat et de se compliquer un peu la tâche (à l’avantage de l’histoire) en distinguant le personnage principal du protagoniste.
Pourquoi vouloir les différencier, m’objectera t-on ?
D’abord, lorsque vous sentez confusément que quelque chose ne va pas avec votre histoire, il est nécessaire de se concentrer sur un problème à la fois.
S’interroger sur la pertinence de séparer protagoniste et personnage principal est la première question à se poser. Bien sûr, dans notre hâte à réécrire, on peut très bien bouleverser quelque chose qui fonctionnait déjà correctement, le problème se situant résolument ailleurs.
C’est souvent au cours du second acte que l’on évalue que son histoire manque de puissance ou que le rythme s’est dangereusement ralenti. On questionne alors ses personnages sans s’apercevoir que si le rythme s’est soudain emballé, c’est peut-être parce que nous avons fait passer le temps de l’histoire trop rapidement (par le jeu des ellipses inconsidérément posées tout au long des scènes) et si le rythme s’effondre, ce n’est pas forcément à cause des personnages mais peut-être que nous nous sommes laissés aller à trop de descriptions (ce qui crée des pauses dans le déroulement des événements).
Pour parer au plus pressé, nous forçons alors notre personnage principal à commettre des actes qui ne sont pas dans sa nature (notons qu’un héros ou une héroïne sont parfaitement aptes à commettre des actes immoraux même si cela ne correspond pas à ce qu’ils sont vraiment tant que leurs actes sont justifiés) ou bien des actes qui sont incohérents avec le tout de l’histoire (ce tout implique que toutes les pièces qui le constituent travaillent de concert).
Comment savoir si le personnage principal est aussi le protagoniste ?
Considérons l’incident déclencheur.
L’incident déclencheur est ce moment au cours du premier acte généralement (car il peut s’être produit antérieurement au début de l’histoire comme lorsque le récit nous dit que Juno s’est retrouvé enceinte) à partir duquel le monde de l’histoire (et plus précisément le monde tel que le voit le héros de l’histoire que l’on peut admettre comme le narrateur) est bouleversé.
Donc, nous avons un protagoniste qui après quelques hésitations se donnera pour mission de rétablir l’équilibre perturbé du monde. Cette mission consiste à résoudre le problème qui est à l’origine du désordre (le Story Goal, donc).
Les certitudes sont ce qu’elles sont mais dans une œuvre de fiction, autant s’assurer que nous avons bien questionné l’objectif.
Car avant de déterminer qui se mettra à sa poursuite, autant savoir après quoi le protagoniste se prépare à courir à en perdre haleine (et sa santé mentale).
Chaque personnage dans une histoire peut avoir un but personnel à accomplir. Le Story Goal quant à lui concerne tous les personnages. Il devrait toujours y avoir un problème global parce qu’il lie ensemble tous les personnages mais surtout parce qu’il porte le message de l’auteur (ou l’effet qu’il tente de faire ressentir à son lecteur).
Dans Terminator, les problèmes existent parce qu’un machine cybernétique a été envoyée dans le passé afin de tuer Sarah Connor. L’en empêcher est le but de l’histoire, le Story Goal.
Ce problème est mis en place dès l’arrivée du Terminator dont la présence bouleverse l’ordre établi (non seulement le quotidien de Sarah mais aussi de tous ceux qui croisent son chemin).
L’objectif consiste à corriger cette situation tragique.
Le personnage en charge de redresser les tords est Reese. Reese mène la danse puisque sa mission est d’éradiquer la menace du Terminator. Prenant les décisions et agissant en conséquence, il est le protagoniste.
Sarah est notre ticket d’entrée dans l’histoire. C’est à elle que nous nous identifions. C’est envers elle que nous établirons un lien serré d’empathie. Sarah est donc le personnage principal. Malgré le climax où Sarah est forcée de suppléer à Reese, tout au long de l’intrigue, elle subit les événements plus qu’elle ne les initie.
Une poursuite incessante
Il faut que le protagoniste s’arc-boute sur l’objectif à chaque moment. Dès l’incident déclencheur, sa volonté est indéfectible malgré les découragements qui ne manqueront pas de se saisir de lui. C’est cette volonté qui donnera son élan à l’intrigue et à toute l’histoire.
Prenons Zombieland. Le problème majeur de l’histoire est que les zombies ont envahi le monde. Le Story Goal consiste alors à trouver un refuge. Pour une raison quelconque, un parc d’attraction est considéré comme ce refuge.
Ce sont les filles Wichita et Little Rock qui ont en charge de mener le groupe vers ce lieu. Le personnage principal suit le mouvement mais ce qui le préoccupe vraiment, c’est sa propre survie.
Son objectif déclaré est qu’il veut retrouver ses parents. Dans ce récit, pourtant, il est plutôt passif. Il suit les événements alors que les filles les provoquent.
Bien sûr il doit faire face à ses propres problèmes et tenter de les surmonter, de s’en sortir. C’est ce que l’on demande à un personnage principal. S’il nous expose ses problèmes, c’est parce qu’il veut qu’ils cessent.
Et tous les autres personnages n’ont qu’un but. Ils doivent atteindre la sécurité apparente du parc d’attraction. Ils n’ont plus d’autres possibilités.
Alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans ce récit ? Le problème vient des filles. Elles ont l’initiative. Elles occupent la fonction de protagoniste. Le défaut de fabrication est qu’elles n’ont pas la poigne nécessaire ou le charisme que leur engagement exige.
Et lorsque tout le monde se retrouve chez Bill Murray, toute l’histoire semble connaître un arrêt de travail. Il n’y a plus personne qui se préoccupe du parc d’attraction qu’il faut atteindre pour résoudre le problème majeur de l’histoire.
On ne sait plus ce que l’on nous raconte. On se demande même quelle fin il peut maintenant y avoir. Soudain, le lecteur est comme abstrait de sa participation active dans l’histoire. On le prive de l’expérience de l’histoire.
Si au moins l’un des personnages aurait cherché à fuir cet endroit ou rappeler aux autres l’objectif, la tension dramatique n’aurait pas chuté et l’attention du lecteur se serait maintenue parce que l’histoire aurait été plus soudée, plus forte.
LA SOLITUDE DU HÉROS ET DES AUTRES