Deux amies, Thelma et Louise, frustrées par une existence monotone l'une avec son mari, l'autre avec son petit ami, décident de s'offrir un week-end sur les routes magnifiques de l'Arkansas. Premier arrêt, premier saloon, premiers ennuis et tout bascule. Un événement tragique va changer définitivement le cours de leurs vies.
"Ta bonté d'âme sera connue de tes ennemis avant même que tu ne les combattes" disait un certain Imad dans le film de Ridley Scott "Kingdom of Heaven". Une phrase certes un peu rude, mais qui résume assez bien le rapport que l'on peut avoir aux films dit "Culte". Pourquoi ? Puisque tout simplement, ils viennent à nous, avant qu'on ne s'y penche dessus. Ça passe par la musique du film, ces acteurs, une réplique ou encore une scène choc, une scène culte. Tout le monde connaît, même ceux qui ne l'ont pas vu, le bullet time de Neo dans "Matrix", la scène du vélo dans "E.T l'extraterrestre", le fameux "Mon nom est Bond, James Bond" ou le thème musical de "Mission Impossible" par exemple et je pourrais en citer bien d'autres comme évidemment "Thelma & Louise". Je connaissais grossièrement l'histoire, notamment la fin, ou quelques images comme le "selfie" au début du film, mais j'avais surtout entendu parler de ce fameux saut, de cette scène que je ne demandais qu'à voir pour enfin comprendre cette aura qui l'entourait.
Thelma & Louise connaîtra un franc succès lors de sa sortie ! À tel point qu'il suscitera bien des polémiques. L'audience étant partagée par celles et ceux qui y voient un manifeste féministe et les autres qui y voient un film ultra-violent, voir carrément misandre. Mais avant d'être tout ça, ce film est surtout l'histoire d'une femme, d'une productrice et scénariste, mme Callie Khouri. Eté 88, après une longue journée de travail, Callie Khouri qui produit des clips vidéos, à une phrase qui lui vient à l'esprit, "deux femmes qui commettent une série de délits" ! Cela sera le point de départ de son scénario, qu'elle mettra prés de six mois à écrire. Une histoire loin des carcans habituels qui sera empreinte de son vécu, mais aussi de celui de ses amies, qui retrouveront un peu d'elle dans les personnages de Thelma et Louise. Une fois terminé, Callie Khouri pense réaliser le film. Pour ça elle contacte son amie Amanda Temple pour le produire et elle voit déjà Holly Hunter et Frances McDormand dans les rôles-titres. Sauf qu'elles se heurtent à la peur, voir l'animosité du milieu qui ne croit pas en ce projet. Ce n'est que grâce à la rencontre avec Mimi Polk Gitlin qui dirigeait à l'époque la société de production des frères Scott, que tout se débloque. Elle aime ce scénario et elle le présente à Ridley Scott qui donne son aval pour le produire, avant qu'il ne le réalise lui-même après que le projet est connu une longue période d'incertitudes.
Pour incarner nos deux héroïnes, bien des noms d'actrices ont émergés, tel que Holly Hunter/ Frances McDormand, Jodie Foster/ Michelle Pfeiffer ou encore Meryl Streep/ Goldie Hawn avant que les rôles ne reviennent au tandem Geena Davis et Susan Sarandon. Un choix que je trouve profondément judicieux. Thelma et Louise sont deux femmes normales, qui vivent une vie normale, coincés dans des positions qui ne leur plaisent guère. Thelma est une femme d'intérieur soumis aux désirs de son macho de mari et Louise une serveuse soumise à ses clients, jusqu'au jour ou toutes deux partent enfin en week-end. Une décision anodine qui changera leurs vies à jamais.
Cette histoire qu'écrit Callie Khouri peut paraître banale en apparence, encore plus si vous l'imaginez avec un homme et une femme, ou encore deux hommes par exemple, mais en prenant le contre-pied de cela, elle va contre son époque et les habituelles demoiselles en détresse, elle place les femmes au centre de l'intrigue. Cela peut sembler anodin, mais ça change tout, car la vision du monde est différente.
[SPOILER] L'élément déclencheur de la cavale de Thelma et Louise, est un viol, celui de Thelma par un homme qu'elle rencontre le soir dans un bar et le meurtre de cet homme par son amie Louise qui prend ça défense. Un acte répréhensible, mais qui semble légitime, car elle tue l'homme qui agresse son amie. Sauf que Louise sait instantanément que personne ne les croira parce que tout le monde aura vu Thelma avec son agresseur plutôt dans la soirée, danser, sourire, flirter ou encore rire et je ne parle même pas de l'acte de Louise ... Et que tout leur retombera dessus.[FIN DU SPOILER]
À ce moment-là, le constat est clair ! Une femme n'a pas les mêmes droits qu'un homme et si elle a le malheur d'aller contre l'ordre établie, de sortir des clous, elle en payera le prix fort. Les deux personnages principaux n'ont plus le choix, elles répondent avec les armes des oppresseurs, avec ces symboles masculins que sont trop souvent la voiture et une arme a feu. Elles entament ensuite un voyage intérieur, débarrassée des entraves d'une société patriarcale, pour naître une seconde fois, devenant des femmes réellement libre. C'est un récit que je trouve très fort, forcément cathartique et émancipateur, ou Callie Khouri insuffle ce sentiment de liberté dans les mots que disent nos héroïnes. Et il y a presque vingt ans, c'était un cri du cœur écrit par une scénariste qui s'est battue pour ne faire aucune concession, un cri du cœur qui malheureusement résonne encore et toujours actuellement.
Et Ridley Scott s'empare de cette histoire avec tout le sérieux qui peut le caractériser. Il respecte les intentions de C. Khouri, tout en mélangeant les genres et en faisant prendre à ce récit l'autoroute des grands mythes américains. Un choix pertinent, qui sied à merveille au chemin que prennent nos héroïnes. Nous sommes constamment sur la route, loin des villes, et plus elles se délestent des poids qui leur pèsent, plus les décors urbains se raréfient, quant à contrario, les grands espaces deviennent de plus en plus prenant et signifiant. R.Scott nous ramènent avec un usage du ratio 2:35 vers le Cinémascope et l'image d'épinal de ce qu'on appelle "l'Ouest américain", celui du western, mais surtout des pionniers qui ont conquis ces terres nouvelles. Un retour symbolique vers des horizons vierges de tout, ou nos deux personnages se métamorphosent pour devenir de vrai icônes, des modèles de femmes qui en imposent et qui sont les égales des hommes. Un film qui ne serait pas ainsi sans cette fin, puissante et terriblement évocatrice. C'est le point final d'une quête existentielle, magnifiquement mise en scène par Ridley Scott. Il maîtrise un récit à l'équilibre constant, au rythme qui va crescendo, ou les genres qui s'entrechoquent ne se parasite pas l'un l'autre et qui est visuellement irréprochable. À cela n'oublions pas un casting xxl, avec des acteurs comme Michael Madsen ou Harvey Keitel, mais celles qui font le film, qui le porte sur leurs épaules ce sont les excellentes Geena Davis et Susan Sarandon. Un duo à l'unisson, complice et complémentaire, qui délivre une performance de premier ordre, capable de nous faire rire et sourire comme profondément émouvoir.