Des mythes plus ou moins vrais

Par William Potillion @scenarmag

Pour Joseph Campbell, les mythes sont vrais selon le sens qu’on leur donne. D’un côté, il y a la non-dualité, l’intuition qui transcende la dualité.

Les croyances occidentales, quant à elles, se fondent davantage sur l’intuition d’une dualité. Nos religions, par exemple, tendent à être éthiques dans leurs enseignements, péché & expiation, bien & mal. Et tout commence par un péché.

Considérons le cadre mythique de la Genèse. Avant la tentation et la chute. Il y a un lieu où la mort est inconnue, Eden.

Hans Christian Andersen parmi d’autres a repris ce motif d’un lieu où le temps n’existe pas dans son conte Le Jardin du Paradis et dans lequel un prince succombe lui aussi à la tentation de l’arbre de la science chez l’un ou de la connaissance chez l’autre.

Dans le Jardin d’Eden, l’homme et la femme ne savent même pas qu’ils sont différents. Ils sont créatures parmi d’autres. L’homme n’a jamais été autant à l’image de Dieu qu’avant la tentation d’Eve.

Puis Adam et Eve goûtèrent à la pomme et acquirent la connaissance et la loi des paires d’opposés. De la conscience nouvelle naquit de la honte.
L’homme et la femme comprirent qu’ils étaient différents, que Dieu et l’homme étaient différents. Et l’humanité se distingua de la nature qu’elle tenta de domestiquer parce qu’elle la craignait.

Une philosophie différente

Pour un philosophe orientale, ces paires d’opposés sont difficiles à admettre. Que la nature soit contre l’homme ou l’homme contre la nature ou Dieu contre l’homme ou l’homme contre Dieu, dans un esprit oriental, cela est difficile à concevoir.

Pour Zoroastre (Zarathoustra), il faut se mettre soi-même en accord avec le monde. Car si le monde est effectivement un mélange de bien et de mal, on ne peut s’accorder avec cette vision du monde. Il faut s’identifier au bien et combattre le mal.

Cela a été repris par les traditions chrétiennes et islamiques. C’est très différent des religions et des croyances de la Terre comme par exemple dans le bouddhisme.

Depuis la Chute, et selon Joseph Campbell, la nature est considérée comme corrompue. Ainsi, on est face à deux mythes. Soit le monde entier est corrompu et tout acte spontané est un péché parce que la nature par nature est corrompue et qu’elle doit être corrigée. On ne peut décemment y succomber.

Et de l’autre, la nature est elle-même une manifestation de la divinité. Et l’esprit en tant que révélation de cette divinité est inhérent à la nature.
Selon le point de vue adopté, ce sont deux civilisations totalement différentes, deux modes de vie différents selon que l’on s’oriente vers un mythe plutôt que l’autre.

Une interprétation possible est que la condamnation biblique de la nature serait que cette ancienne idée de la nature se révélant elle-même la divinité nous contraindrait trop et nuirait à notre domination sur une de nos plus anciennes frayeurs : la nature.

A contrario, pour l’hindouisme ou le bouddhisme, Dieu est dans la nature, il n’est pas séparé de la nature. La nature est Dieu. Le monde est Dieu.

Considérez le Shintoïsme. Le Jardin d’Eden est un concept totalement inconnu du Shintoïsme. Pour cette religion fortement liée aux mythes du Japon, les processus de la nature ne peuvent pas être mauvais.

Chacun de nos élans naturels n’a pas à être corrigés mais sublimés, embellis. C’est ainsi que le jardin japonais, issu de la tradition antique japonaise, traduit ce concept de beauté de la nature et de coopération et de coordination de l’homme et de la nature de sorte qu’en ces jardins japonais, on ne distingue plus entre l’art et la nature.

C’est une autre mythologie, une autre expérience, une autre vérité.

Joseph Campbell compare les mythes

Selon la Genèse chapitre 1 versets 26 & 27, Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.
Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez.

Joseph Campbell rappela cette légende de Unumbotte.
Unumbotte est un dieu créateur de la mythologie du peuple Bassari au Sénégal. La création du monde par Unumbotte est une variation du Jardin d’Eden.

Unumbotte fit un homme. Son nom était Unele. Puis il fit une antilope. Son nom était Opel. Puis Unumbotte fit Ukow, le serpent.

Et Unumbotte leur dit : La terre n’a pas encore été labourée. Vous devez soigneusement battre la terre sur laquelle vous êtes assis. Puis Unumbotte leur donna des graines de toutes sortes et leur dit de les planter.

Selon la Genèse, Dieu vit que cela était bon.

Et Joseph Campbell cite les Upanishad (les textes à la base de la religion hindoue) : le Brahman, tu l’es toi-même ou Je suis le Brahman.

Cela signifie que dans la création, la créature est elle-même créatrice. Pour Campbell, ceux qui comprennent cela (chacun est libre de ses croyances), ils s’identifient avec le principe créateur lui-même. Ce principe est la manifestation de la puissance divine ici-bas.

Le rapprochement que Campbell fait avec la Genèse citée précédemment est que Dieu voit que sa création est bonne et dans les Upanishad, c’est le principe créateur qui est bon. En somme, en substance, pas de différence.

La véritable question

Elle consiste à se demander ce que l’on cherche dans les mythes de création. Pour Campbell, ils sont une façon d’expérimenter le monde. Et c’est important car nous vivons dans ce monde.
Ces mythes ont la particularité de nous dire ce qu’est le monde, d’ouvrir par la transcendance ce qui est un mystère.

Et dans le même temps, les mythes de création et les mythes en général nous ouvrent un autre mystère, nous-mêmes et notre présence en ce monde. Pour Joseph Campbell, c’est cela que notre âme veut.

Ce mystère, on peut l’appeler opacité. Ou comme Campbell, le silence des choses, muettes sur leur vérité.

C’est cette vérité qu’il faut chercher. C’est cette quête que nous partageons tous. Et cette vérité se trouve dans notre monde.
Il nous faut la reconnaître et les mythes sont alors un outil qui nous rendrait apte à voir la présence divine, autrement mystérieuse, inaccessible.

Campbell parle aussi du Añjali mudrā, le sceau de la salutation en Inde. C’est un geste de révérence, de bénédiction, de salutation. Il s’adresse à ce qui est en nous, à la divinité qui est en nous comme une prière à ce Dieu qui nous habite.

Ceux qui croit en cette religion sont conscients de la présence divine. L’étranger qui est invité dans la maison de ces croyants est perçu comme une divinité qui rend une visite. Et la manière dont l’étranger est reçu reflète le sentiment de cette présence.

Cette perception de l’autre qui cherche l’essence est une marque d’hospitalité bien plus précieuse qu’une intersubjectivité où autrui est considéré comme autre.
En Inde, cette essence est divine. L’identité de l’autre a une origine divine.

Dans le même coup, des questions comme qui a fait le monde, ou bien comment a t-il été fait et pourquoi deviennent obsolètes parce que cette religion hindoue voit Dieu partout dans le monde à travers l’autre.

Dans la Brihadaranyaka Upanishad, l’une des plus anciennes Upanishad, nous lisons :
Je suis Celui-qui-est. Vraiment, c’est Moi qui suis la création, car Je les ai tous projetés de Moi ! Qui possède cette connaissance devient lui-même un créateur au sein de cette création.

Pour Joseph Campbell, lorsqu’un Dieu dit qu’il est la création (et non pas le créateur) et que ce qui a émané de lui est créature alors Dieu est dans la créature. Nous-mêmes et l’autre avec qui nous échangeons sont deux aspects d’une seule divinité.

Tout se résume à une recherche d’harmonie.

CONFLIT : L’AGENT DU CHANGEMENT