Le récit est souvent raconté sous un point de vue particulier. Parfois, ce peut être le narrateur qui, du haut de son omniscience, voit tout, sait tout et nous dit tout.
Parfois ce narrateur lui-même est dans le récit, il en est un personnage qui nous donne son point de vue selon ce qu’il sait et ce qu’il voit à ce moment de l’histoire.
La théorie narrative Dramatica, quant à elle, considère que le point de vue fait les personnages subjectifs, c’est-à-dire que c’est par eux que se transmet l’émotion ressentie par le lecteur.
Alors, si l’auteur effraie le point de vue par lequel le lecteur/spectateur perçoit l’histoire à ce moment singulier du récit, alors le lecteur sera lui aussi effrayé. Voilà une équation qui me semble des plus simples.
Alors que le protagoniste mène l’histoire, le personnage principal est celui qui sera dépositaire de l’empathie du lecteur. Donc, c’est en tant que personnage principal (au reste, bien souvent protagoniste) que le lecteur ressentira ce que le personnage ressent.
Un point de vue qui ne sait pas
Il est tout aussi pertinent pour créer du suspense ou une attente angoissée chez le lecteur, d’avertir celui-ci par des signes que le personnage (à travers son point de vue) ignore.
Par exemple, cette jeune femme se prépare joyeusement à un bain de minuit alors que nous, lecteurs impuissants, savons que l’eau est infestée de requins (ce type de séquence se fonde sur ce qu’on appelle une ironie dramatique).
La peur se décline et se manifeste sous des formes différentes. Dans les scènes où vous envisagez un moment de frayeur ou de suspense, vous devriez songer à peut-être une mais probablement plus efficacement à plusieurs types de peur.
Le suspense
C’est l’attente & l’anticipation. Qu’est-ce qu’il va se passer ? Comment cette situation actuelle va se résoudre ? On a envie de tourner la page pour avoir la réponse.
Dans les séries, c’est le principe narratif du cliffhanger. On reste suspendu à la fin de l’épisode précédent sur une question dramatique.
L’anticipation est bien la fille du suspense. Alors qu’un personnage nous donne son point de vue sur une situation et qu’il ne semble pas alarmer par celle-ci, nous pourrions anticiper que les choses vont sérieusement se compliquer.
Généralement, il est conseillé de prendre son lecteur à contre pied de ses attentes. Ici, peut-être qu’il serait utile de lui servir sur un plateau d’argent le choc qu’il attend mais pas celui qu’il attend.
Il serait autrement déçu. Il faut du suspense tout au long de l’intrigue. Seulement, son intensité doit être modulée. De fortes tensions dramatiques alternent avec des moments de suspense, certes, mais moins élevés, avec moins de conséquences sur les battements du cœur de votre lecteur.
Une inquiétude
L’inquiétude est une forme mineure de la peur. Le personnage ne sait pas s’il y a une menace ou quel type de menace. Il ressent seulement un sentiment de malaise.
Décidément, quelque chose ne va pas. Mais quoi ? Et nous aussi nous l’ignorons parce que l’effet recherché est un sentiment de malaise.
C’est dans la posture, le comportement du personnage que se représente visuellement l’inquiétude. Le personnage pourrait se croiser et se décroiser les bras sans même s’en rendre compte. Il pourrait rire nerveusement ou faire les cent pas. Il pourrait avoir peur de se retourner. Ou bien son malaise pourrait se ressentir par ses lignes de dialogue.
Le genre dans lequel vous écrivez n’influe pas sur les comportements du personnage. On a donc un catalogue important de postures pour décrire une telle peur liée à l’angoisse, à une inquiétude.
L’anxiété
L’inquiétude et l’anxiété se représentent à l’identique dans une situation (comportements, postures, attitudes, lignes de dialogue sont les mêmes).
La différence est que le personnage connaît la menace. C’est ce qui provoque l’anxiété.
L’attente chez son dentiste est anxiogène, par exemple. C’est la situation elle-même qui est anxiogène. Et elle l’est parce qu’il n’y a pas d’inconnu dans l’équation de celle-ci.
Le personnage sait, par exemple, que la porte sur laquelle il frappe le carillon est celle du méchant de l’histoire.
Ce point de vue du personnage sur la situation crée du suspense chez le lecteur/spectateur. Un conseil souvent donné est ne pas insister trop longtemps sur la description de cette anxiété. Car le lecteur aura tendance, si cela se répète trop souvent, de juger votre personnage sur une qualité qu’il ne possède pas comme de le considérer lâche en toutes circonstances (à moins que ce soit cet effet que vous recherchiez).
L’appréhension
Intime du suspense, du malaise, de l’anxiété, l’appréhension est une peur mineure. On connaît la menace, lecteur et personnages, mais on ne sait pas quand elle peut surgir.
L’appréhension n’use pas la patience du lecteur. C’est un outil plus dramatique que narratif. Il crée l’ambiance.
Le pressentiment
Le personnage croit ressentir (le pressentiment peut être illusoire) que quelque chose de mauvais se prépare. Il ne sait pas trop quoi et nous, lecteurs, partageons le doute sur ce qu’il croit percevoir de la situation actuelle.
Ce qui est intéressant dans le traitement du pressentiment, c’est que le personnage ne cherche pas à convaincre autrui de son intuition. Car il craint d’être tourné en dérision.
Pour mimer un tel comportement chez son personnage, l’auteur peut faire quelques recherches s’il ne connaît pas lui-même ce que l’on ressent en de telles occasions.
Cependant, il est préférable de ne pas abuser du pressentiment dans son récit. Le lecteur/spectateur apprécie ce point de vue qu’il connaît bien pour l’avoir souvent éprouvé lui-même (la chose qui compte, c’est la reconnaissance d’émotions partagées entre le lecteur et le personnage principal), mais comme souvent dans la vie réelle, l’abus fait perdre l’intérêt inaugural de la chose.
Peut-être que le pressentiment serait utile avant que l’événement terrible et ainsi annoncé ne se produise. Maintenant, reste à savoir jusqu’à quel point cette annonce de l’événement ne risque pas de gâcher la surprise.
L’excitation
Pourquoi lier cette émotion à la peur ? En fait, l’excitation est un mélange de peur et de joie. Il est aussi question de volonté dans l’excitation. Le personnage est conscient du danger mais prend le risque volontairement.
Peut-être que l’excitation est aussi l’illusion qu’on croit garder le contrôle sur une situation. Voyez comme tous ces comportements sont faciles à reproduire.
Au reste, ce n’est pas l’attitude ou la posture du personnage qui compte. Lorsqu’il donne une situation, l’auteur cherche à créer une atmosphère.
Il se sert alors d’une peur et lui donne à son tour une forme qui participe à cette atmosphère. Lorsqu’il décide de prendre son problème à bras le corps, le héros ressent souvent une certaine excitation. Ne serait-ce que celle de la peur de l’inconnu.
De se jeter dans un monde qui lui est totalement étranger. Ou du moins, dans lequel il est d’abord un étranger (d’où la nécessité souvent d’un mentor pour informer le héros des lois de ce nouveau monde).
Dans la première partie de l’acte Deux, les difficultés seront facilement résolues. C’est d’un revers de la main que le héros croit s’en débarrasser. Il ne voit pas encore les signes d’avertissement qu’on lui donne non pas qu’il en soit inconscient (certes, il manque encore de maturité dans son accomplissement) mais parce qu’il est tout rempli de sa quête.
Les risques qu’il s’apprête à prendre valent la peine. L’excitation œuvre en surface. On prend les choses telles qu’elles nous sont données.
L’excitation se joue rapidement dans une scène. On ne se pose pas pour se lancer dans des réflexions qui seront utiles plus tard. Et c’est un bon sentiment de ressentir de l’excitation de temps en temps.
L’excitation n’est pas restreinte par le genre du récit. C’est un sentiment que le lecteur apprécie énormément. S’il doit pénétrer votre histoire, l’excitation serait un bon moyen d’accès.
L’effroi
Horreur et thriller ont le béguin pour l’effroi. L’effroi se perçoit physiquement. Il suffit de perler de sueur le front de son personnage pour communiquer l’effroi.
Il y a de l’effroi lorsque la nature de la menace est inconnue. Ni le personnage, ni le lecteur/spectateur ne savent ce qu’il se trame dans l’ombre.
On pourrait même avoir une scène dans laquelle le personnage principal n’oserait même plus surprendre le regard de celui ou celle qui l’accompagne.
La terreur
C’est bien par la terreur que l’effet de réel se fait sentir. La menace est connue et le personnage se sent impuissant à prévenir le danger. L’intensité dramatique monte crescendo jusqu’à ce que le personnage sombre dans une profonde crise.
La terreur aiguise les sens. C’est cette sensibilité extrême qui donne à la scène son réalisme. Le personnage entend, voit, sent et ressent des détails qu’il ne saurait remarquer dans une situation normale.
Ce qui est paradoxal, c’est qu’en se focalisant sur les détails, le personnage néantise tous les autres objets de la réalité qui l’environne. Le détail masque ce qui est en train de se passer autour de lui.
Les scènes de terreur sont à manier avec précaution. D’abord, l’effet de terreur s’évanouit dans la durée. Puis, comme dans la vie réelle, s’habituer à la terreur tue la terreur.
De plus, cette peur aiguë fonctionne bien dans l’horreur et le thriller mais pour d’autres genres, elle est décidément trop intense.
La révulsion
Parmi ce système de signes lié à la peur, la révulsion combine un sentiment de peur et de dégoût. Le dégoût est une forme de la haine envers un objet (qu’il soit humain ou non).
Il peut être utile d’expliquer les origines de cette haine. Bien que cela soit plus facile dans une série que dans un film où la durée du film est une contrainte.
Il y a un mouvement de recul. Si c’est le personnage principal qui ressent ce sentiment de révulsion, cela est difficilement compatible avec la proactivité dont il fait montre dans sa détermination même. Peut-être que ce sentiment peut accabler le personnage principal dans la première partie de l’acte Deux et devenir ensuite une des conditions a priori à remplir (donc ici à surmonter) pour qu’il puisse enfin tenter de mener à son terme son objectif.
En fiction, la révulsion est difficile à communiquer. Elle serait plutôt l’apanage des poètes (si vous avez un avis sur la question, les commentaires vous accueilleront volontiers et merci pour votre participation).
Il est vrai aussi que la révulsion n’est pas un sentiment agréable à partager entre un lecteur et le personnage. Certes, c’est peut-être l’intention de l’auteur. Si c’est le cas, il faut continuer.
Ce que je cherche à dire, c’est que puisque ce partage est ce qu’il faut obtenir entre le personnage et le lecteur, la révulsion comme moyen de communiquer la peur n’est peut-être pas le sentiment le plus adapté.
Si la révulsion est néanmoins nécessaire à l’histoire, il vaut mieux ne l’utiliser qu’une seule fois au cours de celle-ci.
La stupeur
Alors que la terreur est un sentiment qui se prépare car le personnage ne peut y succomber d’un coup, la stupeur peut le saisir immédiatement.
Pour décrire tous ces sentiments car c’est la description qui compte, c’est ce que percevra le lecteur qui agira d’abord sur lui, il suffit de se documenter. Et c’est d’autant plus facile de nos jours que l’information est disponible en grande quantité (mais pas souvent en qualité, il faut garder l’esprit critique).
On peut utiliser la stupeur dans tous les genres. Si elle s’avère nécessaire, une seule fois sera grandement suffisante sinon ce comportement s’il se répète risque fort d’ennuyer le lecteur.
La panique
La panique est une peur brève et intense. La fuite est souvent la réponse donnée. Pourquoi la fuite ? Parce que l’on ne raisonne pas dans la panique.
Une chose intéressante avec la panique, c’est qu’elle suinte l’adrénaline. Et on peut faire admettre à son lecteur que son personnage pris de panique soit capable cette fois-là seulement de faire quelque chose qu’il lui serait impossible d’accomplir dans des circonstances normales.
Par exemple, blessé mais paniqué, le personnage peut oublier pendant quelques instants la douleur de ses blessures et peut-être tourner à son avantage le résultat de la scène ou de la séquence.
Ou inversement, il peut être amené à faire des choses stupides ce qui rend la menace encore plus triomphante. La panique participe à l’intrigue parce que la réaction du personnage saisi de cette peur panique orientera l’histoire dans une autre direction. Ce peut être un bon moyen de bifurcation.
Est-ce que la panique peut être utilisée pour décrire un personnage ? Dans ce cas, elle permettrait de dire que parmi les traits de la personnalité de ce personnage, la schizophrénie serait assez prégnante.
Et l’objectif intime, personnel du personnage serait de vaincre cette attitude naturelle qui est sienne de paniquer à la moindre sollicitation.
L’horreur
Autant finir avec l’émotion la plus intense. L’horreur et la terreur sont sœurs. A la différence de la terreur, l’horreur est conscience. Alors que la terreur se focalise sur les détails annihilant tout le reste, l’horreur englobe toute l’horreur de la situation.
L’horreur peut être teintée de révulsion. Alors que c’est toute la situation qui fait horreur, la sensibilité du personnage peut être diluée, comme anesthésiée par la terrible compréhension que le personnage (et le lecteur par personnage interposé) se fait de la situation.
Ce qu’il y a de bien avec cette peur, c’est que l’horreur ressentie ne dure pas. Cette brièveté autorise l’auteur à avoir recours autant que nécessaire à cette peur générique.
LA FABRICATION DU RÉCIT