La structure supporte le message

Pourquoi une structure ? Parce que la structure est nécessaire pour communiquer un intelligible message. Sans la structure, c’est le chaos et plus rien n’a de sens.

Lorsque ses rouages fonctionnent à l’unisson, alors le moteur de l’intrigue laissera une impression durable du message que l’auteur espère communiquer.

La note d’intention que l’on écrit comme une préface à son projet ne sert pas à parler de son message. Elle est là pour expliquer pourquoi on a besoin de s’exprimer.

La structure, ce n’est pas seulement la description d’un protagoniste aux actes délibérés rencontrant au cours de ses pérégrinations des complications progressives (en intensité) et comme nous traitons de scénarios (et au reste, si ce n’était pas le cas, il n’y aurait que quelques différences, fondamentales certes, entre tous textes narratifs impliquant une fiction), la structure, ce n’est pas non plus la mise en place d’un système d’images.

On nous dit que les histoires ont des actes.
On peut très bien accepter cette affirmation si on l’admet d’abord comme une hypothèse (ce qui veut dire qu’on la questionne) et qu’ensuite seulement on l’accepte comme un présupposé que, pour un projet donné, nous supposerons valable.

Et l’on peut agir de même avec les arcs dramatiques des personnages, leur évolution dans la durée de l’histoire.

La structure et le sens

La théorie narrative Dramatica s’appuie sur une explication que l’on peut faire sienne le temps d’un projet. La structure narrative serait un moyen de communiquer la manière la plus appropriée pour résoudre un problème.

Une histoire, c’est la résolution d’un problème. Les actes, les scènes, les personnages, le genre sont des outils dramatiques que l’on manie afin d’argumenter sa solution que l’on croit juste et qui permettrait de résoudre un problème.

Ainsi, l’auteur défend un certain point de vue. Il a quelque chose à dire.

La vérité sur Jack de Adam Mazer et Barry Levinson

structureJack Kevorkian est médecin de son état. Il pratique le suicide assisté au début des années 1990 alors que l’idée même d’euthanasie est encore perçue très négativement.

On s’aperçoit dans cette histoire que tout un chacun essaie de sauver quelqu’un d’autre (qu’il le veuille ou non).
Kevorkian essaie de protéger les personnes âgées et infirmes de souffrir d’une mort lente et douloureuse.

De son côté, le procureur Thompson, politiquement conservateur, se sent poussé à protéger l’âme de ces mêmes personnes âgées et malades menacées par la faute du docteur de la mort.

Les deux forces en présence ne s’opposeraient pas si elles n’étaient motivés par des raisons différentes mais la motivation fondamentale pour chacune d’elles est la même : ne pas souffrir dans cette vie ou ne pas souffrir dans l’après-vie.

Si à la moindre difficulté, les personnages faisaient simplement marche arrière et ne prenaient aucune mesure pour défendre ce pour quoi ils agissent, les problèmes finiraient par se dissoudre d’eux-mêmes dans le tic-tac inexorable des horloges.

C’est ce qu’il semble se produire dans La vérité sur Jack au point médian de l’histoire lorsque le procureur adjoint ne suit pas Thompson dans son idée de poursuivre en justice kevorkian.
A partir de ce point, le conflit entre les deux parties belligérantes perd de son acuité.

Et si cette conduite de l’histoire devait se maintenir, pour kevorkian le problème serait résolu et kevorkian serait triomphant.

Mais ce n’est pas ce qu’il se produira. A la suite de l’émission de télévision où kevorkian apparaît, Thompson est de nouveau et plus que jamais convaincu que kevorkian est une menace pour la société (et en filigrane selon l’opinion des électeurs de Thompson).

Une tragédie

Dramatica détermine la tragédie comme une histoire où le personnage principal échoue sur un plan personnel. Il peut réussir son objectif mais, intimement, il a perdu.

Et c’est précisément cette approche dans La vérité sur Jack.
Car, quel que soit votre avis sur le sujet de cette histoire, kevorkian en est le personnage principal et c’est donc lui que vise l’empathie du lecteur/spectateur.

On voit bien que Adam Mazer et Barry Levinson ont fait de kevorkian leur personnage principal et de Thompson et ses zélotes son antagoniste.
Ce que l’on peut peut-être reprocher à ce scénario, c’est que l’argument de l’euthanasie, pourtant au cœur du problème, a été quelque peu effacé au profit des personnages et de l’action.

Thompson ne peut pas vraiment expliquer sa position dans l’argument. Pour qu’une histoire soit entière, il est bon que les deux parties en présence et conflictuelles puissent s’exprimer et se justifier. Le souci avec Thompson, c’est qu’il manquerait de nuances. Il manque de teintes de gris dans la détermination de son personnage.
L’histoire n’en souffre pas vraiment mais le débat sur l’euthanasie aurait été plus fort.

Maintenant pourquoi Thompson est-il l’antagoniste ? C’est une question de théorie. Nous savons que kevorkian est notre personnage principal. Nous savons aussi que la plupart du temps, le personnage principal est aussi le protagoniste. La vérité sur Jack ne distingue pas entre protagoniste et personnage principal.

Maintenant, le Story Goal, le problème qui concerne tout le monde dans le récit, est de convaincre que l’idée même de l’euthanasie devrait être un droit inaliénable de l’existence humaine.

Un protagoniste est toujours en quête de ce Story Goal. C’est comme cela dans la fiction. Et ce qui est aussi comme cela, c’est qu’à la fonction de protagoniste s’oppose celle d’antagoniste. On ne se débarrasse pas si facilement de cette ancienne tradition du dualisme.

L’antagoniste doit donc aller contre la volonté du protagoniste. La force antagoniste (quelle qu’elle soit) se verra alors en charge d’empêcher le Story Goal de s’accomplir.

La vérité sur Jack est donc une tragédie parce que kevorkian est vue comme juste, qu’il remporte quelques victoires de ci-de là mais au bout du compte, il échoue et ne parvient pas à convaincre sur ses idées.

Une biographie

Malgré tous les détails qui rapprochent la biographie de la vérité, un biopic comme on l’appelle est d’abord une œuvre de fiction.
L’histoire d’un être humain ou d’une idée ne s’accorde pas naturellement avec les exigences de la fiction et de son intrigue, de sa réorganisation temporelle et des décisions arbitraires qu’elle impose sur le choix des événements.

Et la dramatis personnæ qui peuple de telles histoires est souvent modifiée et arrangée pour que le récit reste cohérent (une fiction est un petit morceau du chaos qu’elle nous présente d’une façon à le rendre intelligible).

C’est donc ce choix des événements qui finit par expliquer la chute de kevorkian.

Il apparaît naturel aussi qu’après les événements que nous connaissons tous au quotidien, certains d’entre eux influent grandement sur notre personnalité. Nous changeons.
En fiction, le personnage principal connaîtra lui aussi une évolution. C’est ce qu’on nomme un arc dramatique.

Souvent, cette transformation personnelle est plutôt positive. Le personnage change pour le meilleur. Thomas dans Matrix en est un bon exemple.
Sa prise de conscience de sa véritable nature sera la clef pour résoudre le Story Goal, le problème qui touche tout un chacun dans Matrix. Car Neo en cessant de douter de lui-même, en acceptant l’idée qu’il est l’élu, pourra vaincre l’adversaire Smith (la matrice).

Concernant kevorkian, le choix des événements mène son arc dramatique à l’échec.

Changer n’est pas toujours la solution

Dans sa fonction de protagoniste, kevorkian martèle qu’on ne peut rester les bras croisés devant la souffrance d’autrui. Certes, son éthique médicale est de protéger la vie, mais globalement dans cette histoire, ce sur quoi kevorkian se focalise est que de ne rien faire ne peut être une option.

S’il s’était maintenu sur cette idée, et selon les auteurs Adam Mazer et Barry Levinson, sa croisade pour offrir aux malades en phase terminale ce qu’il considère comme une option humaine et digne – le suicide assisté, aurait pu aboutir.

Mais la conviction est devenu entêtement. La théorie narrative Dramatica a prévu ce comportement où l’arc dramatique n’aboutit pas à un changement drastique de personnalité mais plutôt à un renforcement des croyances déjà présentes chez le personnage au début du récit.

Et cette consolidation a permis au problème de persister et à la tragédie de s’ensuivre. La structure de l’histoire communique ce message qu’en ne faisant rien, nous nous assurons une fin tragique. C’était aussi la position de Martin Luther King.

Comprenez qu’ici, mon expression de ne rien faire signifie que de s’obstiner, de se buter dans une opinion ou une décision tempère ses propres motivations bien que l’élément positif dont on se sert dans notre combat soit juste.

Et au bout du compte, c’est la tragédie.

Cette dynamique aboutit à un dilemme. C’est ce moment où Kevorkian doit décider s’il doit ou non prendre position pour sa propre défense.
Dramatica nomme ce moment un acte de foi (Leap of Faith). Le personnage est mené à un point où il hésite sur l’approche à adopter. C’est ce moment où Luke doit décider à un moment crucial s’il doit déconnecter son ordinateur de bord.

Pour créer ce sens de dilemme, la structure est nécessaire. Car c’est elle qui construit l’histoire pour que cette décision ait du sens et soit acceptée par le lecteur/spectateur et comprise de lui.

Si la structure n’avait assuré cette signification, le dilemme et la décision aurait été inutile.

Kevorkian décide de ne pas assumer sa défense. Silencieusement, il abandonne le combat. Il décide ainsi de ne plus laisser cette volonté incoercible de prémunir l’être humain de la souffrance dicter ses actions.

Ne rien faire intentionnellement est sa façon pour lui de résoudre les profonds problèmes psychologiques qui le minent depuis son expérience avec sa mère.

La solution

Cette solution personnelle (encore un concept Dramatica) permet de résoudre le Story Goal en faveur du méchant de l’histoire. Cette solution est partie prenante de la structure. Et elle peut être la raison qui fait qu’une œuvre de fiction n’est pas simplement un divertissement.

Si vous avez quelque chose à dire, travailler sa structure est un moyen efficace pour le dire. Tous les éléments dramatiques qui interviennent dans la structure (le passage entre les actes, l’incident déclencheur, les arcs dramatiques… tout cela a pour finalité de servir le message, votre message.