(Critique - avec spoilers - de la saison 1)
Comme avec la France et ses productions pas toujours défendables (Plan Coeur, Marseille et dans une moindre mesure, Marianne et Mortel, toutes deux fantastiques), entre Netflix et les séries vampirique, on ne peut pas forcément dire que c'est l'amour fou, même si l'on ne peut que saluer la toute récente relecture du mythe de Bram Stoker, signé par le tandem Moffat/Gatiss.
Littéralement le cul entre deux chaises, tant elle est à la fois une création originale made in France ET une série vampirique, Vampires signée par le trio Benjamin Dupas, Isaure Pisani-Ferry et Anne Cissé (et librement adaptée du roman éponyme inachevé - mais publié à titre posthume - de Thierry Jonquet), débarque à un point nommé (coucou confinement) pour être scruté sur toutes les coutures, et être poliment descendue en cas de maladresses trop visibles (coucou confinement bis).
Copyright Emmanuel Guimier/Netflix
Sorte de mélange férocement hybride entre la relecture/dépoussiérage du mythe initié (majoritairement) par Stoker (même si les codes ont sensiblement évolués depuis), le teen drama fantastique souvent pataud - comme Mortel -, le récit socialo-communautaire et l'exploration réaliste au coeur d'un récit initiatique d'une adolescente qui découvre sa vraie nature - autant que sa soif incontrôlable pour le sang d'autrui -, le show fait preuve d'une vraie ambition qu'il assume dès ses premières minutes, instaurant sans trembler une atmosphère lugubre ou être suceur de sang est une maladie que l'on se transmet génétiquement (et donc exclusivement héréditaire, sacré bousculement dans la force), mais qui permet tout de même d'être intégré à la population.
Une approche plutôt culottée - et collant donc à l'idée du cadre inédit - dont on ne peut que louer la dévotion totale pour sa vision, même quand elle se focalise sur son intrigue mère, au dépend de pistes secondaires traitées à la truelle (quand elles ne sont pas expéditives) ou même de ses personnages, hauts en couleur mais à la caractérisation souvent fragile.
Mais, fort heureusement, cette dite intrigue principale fondue en six épisodes majoritairement fluide - même si le rythme est parfois inégal -, en a suffisament dans les tripes pour justement, tenir en haleine son auditoire et captiver même si ses réflexions sont plus qu'éculées.
Copyright Emmanuel Guimier/Netflix
En calquant l'immortalité et la contrainte d'une soif (presque) interdite, à la construction en tant que femme d'une adolescente troublée par son héritage, dont le statut de " monstre " hybride ne fait qu'accélérer son processus d'émancipation et d'acceptation d'elle-même (quitte à pleinement laisser parler ses pulsions dévorantes); Vampires dénote des canons du mythe (ou la femme est soit réduite au statut de victime, soit de love interest irrésistiblement attiré par Dracula et ses clones), et de rapproche de la viscéralité enivrante du merveilleux Near Dark de Kathryn Bigelow, qui bousculait elle aussi les codes en son temps, en renversant les rôles tout en remisant au placard l'hyper sexualisation des prédateurs aux dents acérées.
Dommage en revanche, que toute cette ambition de dépoussiérer le genre via une figure féminine jeune et en pleine mutation autant que par sa famille dysfonctionnelle (impossible de parler justement de sang et d'hérédité dans le mal, sans traiter frontalement les liens du sang), épouse aussi franchement les contours du teen drama sauce Buffy du pauvre - dialogues limités en prime -, ou l'amour (comme dans la vie, c'est vrai) prend une importance conséquente et atteint sensiblement la radicalité de son approche sur certains points.
Copyright Emmanuel Guimier/Netflix
Esthétiquement nourri au bis italien au coeur d'un Paris macabre et underground vraiment emballant (aussi hypnotique qu'il paraît dangereux), plutôt bien incarné (Oulaya Amamra, parfaite en bombe à retardement empathique, porte le show sur ses larges épaules) et aux thèmes universels bien amenés (l'héritage, la tolérance, l'acceptation,...); Vampires, pas exempt de facilités plus ou moins criante et d'une consistance générale un brin fragile, n'en est pas moins une belle tentative de bousculer les carcans de l'horreur à la française, à l'instar d'un Grave auquel on aura aucun mal à le rapprocher.
Espérons que le show connaisse une seconde saison, pas uniquement pour son cliffhanger racoleur, mais bien parce que la série a du potentiel, et ses showrunners de belles choses à dire.
Jonathan Chevrier